On n’a pas tous les jours 20 ans… Pour marquer le coup, l’Association pour le droit et l’initiative économique (Adie) qui délivre des microcrédits aux exclus du système de prêts bancaires classiques, avait organisé une grande soirée de bilan de son action : un succès absolu sur quasiment tous les fronts.
C’est à l’AFD de La Réunion que nous devons son arrivée dans la région, alors que la structure n’avait que 8 ans d’existence en métropole. Une polonaise, Maria Nowak, avait alors importée l’idée en France après sa rencontre avec le professeur Yunus, fondateur de la Grameen Bank et prix Nobel de la paix. Elle est l’auteur de deux ouvrages « qui résume la philosophie de l’Adie », soulignera le préfet Frédéric Veau, « La banquière de l’espoir, celle qui prête aux exclus », et « On ne prête pas qu’aux riches ».
Sur un territoire en voie de développement comme le nôtre, l’Adie s’est révélée être l’outil idéal : un tissu économique formé à 90% de Très Petites entreprises, une économie informelle faite de petits boulots exercés à son compte, et qu’il faut régulariser… Ce sont 1.000 crédits qui ont été octroyés en 2016, soit 20 emplois pérennisés par semaine. Quasiment tous les emprunteurs remboursent, et le taux de pérennité de l’entreprise après 2 ans est de 80%, et de 75% à 3 ans, « c’est le meilleur de France », souligne Sébastien Laot, qui rapportait l’étude d’impact de l’association à Mayotte.
Comment ça marche…
Et pourtant, 64% des bénéficiaires sont sans diplôme, dont 25% illettrés, 90% vivent sous le seuil de pauvreté. Alors, comment font-ils ?! « Nous instaurons une relation de confiance avec les adhérents. Nous commençons parfois avec un petit prêt pour aider à officialiser l’entreprise, puis nous accompagnons lorsque l’activité se développe. Les 17 salariés de l’Adie Mayotte parlent tous shimaoré et shibushi, ce qui facilite les démarches administratives », explique Emmanuel Legras, directeur de l’Adie Mayotte.
Et du coup, 89% des entrepreneurs sont satisfaits d’avoir créé leur entreprise et 75% déclarent que leur activité va bien, 84% ayant pu s’insérer dans l’emploi. Le revenu mensuel net moyen n’est pas élevé, de 463 euros contre 720 euros en métropole, mais une majorité estiment que leur situation financière s’est améliorée. C’est à 70% dans le commerce et à 65% par des femmes que ces activités sont créées, le reste concerne le transport, les services aux particuliers, l’agriculture et la pêche.
Les taux d’intérêt pratiqués sur les microcrédits sont supérieurs à ceux des banques, autour de 7 à 8% actuellement, l’Adie devant elle-même se financer auprès des institutions bancaires. Bonne nouvelle, sa capacité d’intervention vient d’être portée de 10.000 à 15.000 euros.
Donner un coup de jeune
Lors d’une interview croisée mise en scène par le cabinet de com « Bouche à Oreille » à la mairie de Mamoudzou, deux entrepreneurs disaient tout le bien qu’ils en pensaient : « J’ai obtenu mon prêt de 10.000 euros assez simplement, et j’ai été bien suivi. J’ai démarré il y a 4 mois, et sur mes 20 stagiaires, 12 ont déjà le permis », expliquait Moustoifa Imrane, lauréat du concours Talents pour sa société de bateau-école Somabahari. Zaitoune Anli Daoudou, elle, avait travaillé pour amasser un petit apport, « et ne pas dépendre de la banque pour lancer ma boutique de prêt à porter ‘Elégance mahoraise’ à Mgombani », la cliente rêvée en quelque sorte, « j’ai créé ma boutique parce qu’il n’y avait pas de choix à Mayotte. L’Adie a toujours répondu présent, ils font un travail extraordinaire ».
Un secteur où l’on voit tout en rose, on n’en a peu l’habitude à Mayotte, la soirée a donc redopé le moral des troupes. Un des axes à développer pour le directeur régional Emmanuel Landais, au look de Roberto Benigni, c’est le rajeunissement des bénéficiaires : « La moyenne d’âge de 46 ans mérite d’être relevée ». Pour drainer les jeunes, plusieurs partenariats sont envisagés, avec les lycées professionnels, avec le vice-rectorat ou avec les associations de quartier.
Des schémas proches du terrain
Dégageant les raisons de cette belle réussite, Nathalie Infante, Directrice régionale de la Caisse des Dépôts et consignations, parlera de « capacité à s’adapter à l’écosystème. Vous avez compris que la libération des initiatives privées est un facteur de croissance ». Appuyée par le directeur de la BRED, « vous alliez humanisme et efficacité ».
Reste à savoir si ce schéma made by Adie est transposable aux banques ou même, soyons fou, à la consommation des fonds européens. Se pose le problème de s’affranchir de la langue, c’est d’ailleurs un frein pour Moustoiffa Imrane qui appelle des ses vœux des boitiers électroniques de traduction pour faire passer son permis bateau, une demande peu habituelle qu’il va porter auprès des Affaires maritimes.
Une réussite qui incitait Emmanuel Landais à se projeter : « Il y a 20 ans, nous avions une centaine de bénéficiaires, et 1.000 par an actuellement, pourquoi ne pas rêver d’atteindre les 10.000 dans 10 ans ! »
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com