On peut à la fois remercier les organisateurs de ce moment culturel en présence de fins lettrés, et dire la frustration que le format conférence de 2h suivie d’un débat d’une heure, n’ait pas permis un temps d’échanges plus conséquent, la pause méridienne ayant stoppé net les débats de fond sur le mode de transmission de l’islam dans la région, et son devenir.
La démonstration de Jean-Claude Penrad, maitre de conférence à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, était implacable : l’extension de l’islam en Afrique de l’Est n’a rien du mode rapide, à coup de conquêtes guerrières du nord et de l’ouest de l’Afrique, « elle suit l’horlogerie naturelle des mousson, véhiculée par les marins et négociants qui voyageaient au gré du vent ». On déchargeait notamment du requin séché sur l’île de Lamu au Kenya, en provenance de Somalie, des échanges qui mettent en présence des acteurs de religions différentes.
Lors de l’avènement de l’islam, plusieurs branches se créent, « dont les chafiites très présents dans la région », initiatrices de troubles au 10ème siècle dans la péninsule arabique. Des marins décident de fuir et de s’installer avec leurs familles dans certains comptoirs visités, comme l’ont fait quelques siècles avant eux des commerçants.
« La France que l’on mérite »
De ces échanges et ces fixations, nait la langue swahili, « une des six cents langues bantous, africaine dans sa construction, même si 80% des mots viennent de l’arabe, créée par les commerçants par la nécessité de se faire comprendre.
Mais l’islam n’est encore répandu que sur la côte, c’est le sultan de Zanzibar qui, au XIXème siècle, dans une volonté de contrôler les approvisionnements en provenance de l’arrière pays, va organiser des caravanes qui vont permettre à la religion du prophète Mahomet de pénétrer le continent est-africain.
Parce qu’il est désormais difficile de ne pas évoquer l’islam en faisant table rase de l’actualité, Tareq Oubrou, le Grand Recteur de la Grande mosquée de Bordeaux, théologien et penseur musulman réformiste, se disait soulagé : « Cet exposé rassure les musulmans sur leur histoire et sur le fait que leur religion n’est pas inflexible à la logique de la réalité, et est bien compatible avec la République. On voit que l’environnement, le contexte, est un facteur déterminant. Musulmans, vous avez la France que vous méritez, et Français, vous avez les musulmans que vous méritez ! »
« Les ‘croisades’ musulmanes »…
Cette vision de la transmission d’un islam pacifique était interrogée par le public, notamment de façon provocatrice sur l’existence ou non de « ‘croisades’ de l’islam dans la région, et encore actuellement ? » Cette référence au Moyen Âge de la chrétienté et à ses expéditions militaire du XI au XIIIème siècle, souvent utilisée pour comparer ce que vit actuellement l’islam n’a pas lieu d’être pour Jean-Claude Penrad : « Il n’y a pas eu l’équivalent de ‘croisades’ en Afrique de l’Est. Les troubles des années 1000 ont fait s’affronter les musulmans eux-mêmes, et aujourd’hui, les plus grandes victimes sont les musulmans en Syrie, en Irak, au Yémen…
Paradoxe, alors que le commerce a été vecteur de diffusion paisible de la religion, c’est lui qui au XXIème siècle va l’enflammer : « La guerre actuelle entre sunnites et chiites est une aberration, car au centre, c’est le pétrole qui est en jeu. La guerre de Syrie a été lancée autour du passage d’un oléoduc. On utilise la religion ».
Kassim Mohamed-Soyir Bajrafil, Chercheur associé au Laboratoire de Linguistique Formelle au CNRS, a une réponse à cette évolution : « On ne sait plus dialoguer, on passe à la guerre ».
Repenser l’interprétation des textes sacrés
Plusieurs interventions dans le public, pour alerter sur un islam « d’à-côté », qui viendrait menacer la tolérance de la pratique mahoraise, « en 1986, le Grand Mufti des Comores avait écrit un livre sur la planification des naissances, or, il y a un mois, un imam prêchait sur un nombre illimité d’enfants, en avançant « l’islam l’autorise », ou encore, « dans les îles là-bas (aux Comores, ndlr) depuis 2011, on note le développement d’un islam violent. Il faudrait chercher pourquoi ! »
C’est le résultat d’une « société-monde », dans laquelle nous sommes entrés, pour Tareq Oubrou, qui, en tant que réformiste, appelle à « changer de paradigme en repensant l’interprétation des textes dans un monde qui n’est pas le même, pour une théologie simplifiée, plus fluide ».
Justement, un appel à projet du bureau des Cultes portait sur la diffusion de l’islam tolérant pratiqué à Mayotte et à La Réunion, mais hélas, l’équipe régionale, dont Mohamed Bajrafil, n’a pas été retenue, au profit de Rouennais… bien éloignés.
En réponse à des différences régionales de tolérance, Jean-Claude Penrad répondait « Il n’y a qu’un seul islam, il devient ce que les gens en font ». Un sujet qui passionne Mohamed Bajrafil : « Il faut accepter que des crimes puissent avoir été commis au nom de l’islam, et pas seulement de Daech. Le Prophète était pragmatique, quand les religieux, eux, se braquent. Le Pacte de Médine devrait nous éclairer, qui réunissait des musulmans, des juifs et différents croyants sous une seule communauté, les Ummas. Pourquoi ne pas faire une Umma française ?! », et, s’adressant à un des intervenants, « l’important, ce n’est pas ce que vous croyez, mais la façon dont tous les deux on va vivre. »
Comme une promesse d’avenir heureux, Mohamed Bajrafil concluait : « Tout ce qui nous pose problème actuellement, demain on en rira. Le rouleau compresseur de l’Histoire, personne n’a pu y résister ! »
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com