« Croire ou ne pas croire »… S’approprier sa religion, au lycée de Sada

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Leila Al Ardah-Miri, Adrien Leites et Mohamed Bajrafil
Les élèves intéressés par la teneur sans complaisance des propos des conférenciers
Les élèves intéressés par la teneur sans complaisance des propos des conférenciers

« Le Coran, encore le Coran, rien que le Coran, restez collés au texte ! » : les références utilisées par Mohamed-Soyir Bajrafil, Chercheur associé au Laboratoire de Linguistique Formelle au CNRS, face aux élèves de terminale du lycée de Sada, sont puisées dans les textes sacrés, histoire de prouver que l’on y trouve ce que l’on veut bien y chercher, résumé dans sa citation d’un chanteur rap « Ce n’est pas ce qui est beau qu’on aime, mais ce qu’on aime qui est beau ».

Inutile de dire que cette façon légère et facile de se balader entre la littérature française, « vous avez tous lu Andromaque ? », le langage djeuns, dont l’incitation à se méfier des comportements « chelous », et le Coran en arabe dans le texte, ont conquis son public. Et au bout des deux heures, les élèves auraient bien retenu les conférenciers, les doigts levés pour d’ultimes questions.

Il s’agissait de savoir s’il fallait « Croire ou ne pas croire », telle était réellement la question de fond, avec une constatation : vous avez la liberté de choix. Parole de musulman, qui s’appuie sur la parabole de Pharaon dans le Coran, « il menace de crucifier aux tiges des palmiers ceux qui croient au Seigneur d’Aaron et de Moïse, et leur interdit de croire sans sa permission ». Volontairement provocateur, Mohamed Bajrafil poursuit : « Ne croyez vous pas que certains musulmans sont pharaoniques ?! Et pourtant prétendument au nom d’une religion ! »

Des menaces pharaoniques

Mohamed Bajrafil: "La liberté vous sauvera"
Mohamed Bajrafil: « La liberté vous sauvera! »

Ne se contentant pas d’un acquiescement de masse, l’universitaire leur donne des armes : « Quand vous entendez, ‘si vous changez de religion on va vous tuer’, répondez, ‘ce n’est pas le Coran qui dit ça, c’est pharaon !’ Ces musulmans sont antimusulmans sans s’en rendre compte. Le Coran indique que Dieu a voulu que nous soyons différents, certains sont chrétiens ou juifs, d’autres ne croient pas. Est-ce moi qui vais forcer quelqu’un à croire ? »

Il passe à la vitesse supérieure, « si vous voulez forcer quelqu’un à croire, comment vérifier sa croyance ? On pousse les gens à l’hypocrisie ! » En invitant les élèves à interroger les membres de leur famille sur les raisons de leur foi, « vous allez entendre, ‘tu me fatigues avec tes questions philosophiques’, ou bien, ‘parce que c’est comme ça !’ » Hilarité dans la salle.

En réponse, Mohamed Bajrafil définissait la foi : « C’est un espace de liberté. Dans le Coran, il y a trois types de personnes qui seront dispensées de comptes au jugement dernier, les enfants, les fous et ceux que l’on a forcé à faire quelque chose. Donc, on n’hérite pas de la foi de ses parents ou de son fundi, vous avez la liberté de choix ». Et insistait sur le respect des autres religions : « Il est écrit que s’il y a des temples, des églises et des mosquées, c’est parce qu’on y parle de Dieu, et que Dieu l’a voulu. Donc, si on détruit des églises au nom de l’islam comme l’a fait Daech, c’est en se prétendant plus divin que Lui ».

A chacun sa foi, pour le meilleur

Leila Al Ardah-Miri, Adrien Leites et Mohamed Bajrafil
Leila Al Ardah-Miri, Adrien Leites et Mohamed Bajrafil

Cette autonomie de décision, Adrien Leites, Maître de conférence à Paris 4 Sorbonne, la conditionnait à une démarche, prônée par un savant musulman Mohammed Al-Ghazali, « celle de l’acceptation des preuves données par les prophètes, notamment sur l’unicité divine, décrite à plusieurs endroits dans le Coran ». Chacun doit donc s’approprier et approfondir sa croyance, « et cela commence par la maîtrise de l’arabe, langue de rédaction du Coran, pour comprendre les mots que vous avez mémorisés », les élèves, tous arabisant dans la classe de Leila Al buvaient du petit lait.

« Vous avez l’air de penser qu’on nous a forcé à croire ! », réagissait une élève. « Non, mais si vous voulez suivre ce que vos parents vivent, construisez votre foi dans une démarche personnelle. Quand vous croiserez un juif ou un chrétien, vous vous mettrez alors à sa place ». Une paix interreligieuse, avant de penser à un dialogue, qui revient à plusieurs reprises dans sa bouche : « Chacun pense que sa foi est la meilleure. Je dois comprendre ça, et chercher ce que l’on va pouvoir construire ensemble plutôt ».

Le savoir en préambule

Pour « construire sa démarche religieuse personnelle », l’enseignant documentaliste du lycée invitait les élèves à venir faire un tour au CDI pour « apprendre » : « La connaissance précède la parole qui précède la pratique ».

Plusieurs élèves, s’interrogeaient sur la méthode à adopter vers leur propres enfants : « Faudra-il leur enseigner la religion ? » Mohamed Bajrafil citait encore le Coran, « au moment du sacrifice, Abraham demande à son fils ‘qu’en penses-tu ?’, c’est un manière de responsabiliser son enfant. Il faut les accompagner en sachant que la meilleur arme contre la barbarie, c’est le savoir. Et n’oubliez pas, la liberté vous sauvera. »

Un message que la cinquantaine d’élèves de terminale STG, Bac pro et générale, gardait en mémoire à la sortie de la salle, « je retiens que je dois vivre mon propre islam, que ce n’est pas celui de mes parents », parfaitement illustré par Takidine, émerveillé par Mohamed Bajrafil, « je suis Soufi comme lui, alors que mes parents sont de simples musulmans ».

Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com

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