C’est une procédure à la base désespérément banale. Un kwassa est intercepté, son pilote est arrêté, on lui remet une convocation au tribunal parfois pour plusieurs mois après, et on l’expulse à sa sortie de garde-à-vue. Il en résulte des centaines de dossiers qui engorgent le tribunal et se retrouvent traités dans des audiences fleuve particulièrement répétitives. Le 29 novembre dernier, pas moins de 79 dossiers ont ainsi été programmés pour une journée d’audience.
Mais ce type de procédure pose un problème de fond. Etant jugés en leur absence, la condamnation des prévenus est dite « contradictoire à signifier ». C’est à dire qu’elle ne peut être inscrite au casier judiciaire tant que le condamné n’a pas pris connaissance du jugement. Le plus souvent, ce dernier est informé de sa condamnation quand il revient à Mayotte et se retrouve devant la justice pour les mêmes faits, ce qui s’est produit le mois dernier. La justice a donc affaire à un récidiviste dans les faits, mais qu’elle ne peut pas juger comme tel. En effet, le jugement antérieur n’est pas inscrit au casier judiciaire, et comme le condamné vient d’en prendre connaissance, il peut encore faire appel. Il est donc jugé une seconde fois, comme un primodélinquant.
Une décision aux conséquences notables
C’est ce non-sens judiciaire que les trois juges siégeant en audience collégiale ce 29 novembre ont décidé de condamner, en décidant de faire reciter 40 des prévenus actuellement aux Comores. « 80 dossiers, c’est irrationnel et contraire aux prescriptions qui exigent des audiences calibrées, avec un temps suffisant pour rendre une bonne justice » explique le vice-président Daniel Rodriguez. « Ce qui pose problème, poursuit-il, c’est de juger des gens en sachant qu’ils seront absents ». Face à « ce qui peut apparaître comme une distribution de peines à des gens qui ne peuvent pas se défendre », le tribunal a ordonné le renvoi de la moitié des affaires, en faisant jouer un article peu usité du code de procédure pénale. « Le tribunal a décidé de faire application de l’article 411 alinéa 3 qui dit que le tribunal peut exiger la comparution personnelle du prévenu, ce qui oblige le parquet à le reciter. L’enjeu, de ces décisions techniques, c’est la possibilité de chacun d’être entendu par le tribunal.
Mais de manière indirecte, cette décision qui relève strictement du droit, aura un impact politique et diplomatique.
Les 40 dossiers qui auraient dû être jugés et qui le seront le 30 mai 2018 seront remontés à la Chancellerie , ce qui aura pour effet d’intéresser de force le ministère de la Justice à la réalité mahoraise. Ensuite, le ministère devra transmettre l’ensemble de ces dossiers à l’ambassade de France de Moroni, qui aura à charge de demander aux autorités locales la transmission de ces convocations en justice aux prévenus. On peut dès lors imaginer la délicatesse de la démarche. L’Etat comorien acceptera-t-il de transmettre à ses citoyens des convocations devant la justice française, qui leur reproche l’entrée illégale sur un territoire que Moroni considère comme partie intégrante de l’Union des Comores ?
C’est dire si cette décision de justice va, avec ces 40 renvois, obliger un tas de gens à se pencher sur l’aspect judiciaire de ces traversées, et, peut-être, réveiller des consciences aux Comores mais aussi à Paris.
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