Il serait sans doute exagéré de dire qu’à la fin des 6 séances de travail sur l’art de manier la langue de Molière, l’écrivain Nassur Attoumani était vu comme un dieu, quoique : « Il m’a beaucoup aidé à prendre la parole en public, c’était impossible avant », nous confie Fayka, élève de seconde, « moi je suis contente, parce que je n’arrivais pas à bien formuler mes phrases, ma rédaction est plus fluide maintenant », rajoute sa voisine.
L’atelier d’écriture mis en place au tout nouveau lycée de Mamoudzou Nord a été impulsé par plusieurs énergies. Celle de deux enseignantes de Littérature et d’Histoire géographie, pour commencer : « Lors du lancement de l’option ‘littérature et société’ de la classe de seconde, Nassur Attoumani est intervenu pour expliquer les raisons qui l’avaient poussé à écrire. Les élèves ont voulu pousser plus loin la découverte des secrets de l’écriture, et au bout de 6 séances les vendredis, les 20 plus assidus sont toujours là », rapporte Neima Ali Hared, l’enseignante d’Histoire.
Le proviseur a immédiatement saisi l’opportunité en appuyant la démarche, et l’annuel concours Franco Jeunes fut une opportunité supplémentaire à saisir pour ces jeunes, tous fanas pour y participer. Créé en 2002, le festival Franco-Jeune réunit pendant une semaine, des activités pluridisciplinaires pour les jeunes auteurs francophones de moins de 25 ans originaires de Mayotte, Madagascar, Union des Comores, Tanzanie et Kenya. Ils doivent composer des poèmes, des nouvelles ou des contes autour de 10 mots de la langue française.
Des étoiles à la mouche
D’un niveau en français « assez bas », les élèves ont appris au cours des séances à différencier les différents styles d’expression, « ils confondaient le conte, la poésie et la nouvelle, et faisaient beaucoup de fautes de syntaxe », souligne Nassur Attoumani qui remarque aussi leur inhibition dans la prise de parole.
Partis à 100 ils ne furent donc que 20 à l’arrivée, « alors qu’il s’éparpillaient dans leurs textes en partant de l’environnement pour poursuivre sur l’immigration clandestine en passant par leur quotidien à la maison, ceux qui sont restés ont pu mesurer les progrès en 5 séances. Je leur ai demandé d’établir un listing de tous les mots à utiliser autour d’un thème, et de construire leur expression avec. Et ils ont produit des textes extrêmement beaux », tient-il à préciser.
C’est Amadi qui se lance le premier, « si tu étais fleur, je serais tes pétales si tu étais galaxie, je serais tes étoiles… », puis Hadidja, enchaine, elle n’a que l’embarras du choix, ayant écrit plusieurs feuillets, elle choisira « Ohé », « au pays de l’alphabet, « o », « h », et « e », se rencontrèrent », suivront Fahid « Quelle belle journée », et Fayka, qui donne la parole à « La mouche », avec gestuelle assortie, s’il vous plaît !
Page blanche pour les écrivains Mahorais
L’un d’entre eux est à l’écart, il ne veut pas être photographié, et comble de l’énervement, il a oublié son texte chez lui. Abdou en profite pour travailler, un grand atlas de géographie ouvert devant lui : « J’ai écrit une nouvelle sur notre quotidien à Mayotte, sur les embouteillages notamment, mais surtout pour dénoncer la délinquance, on ne peut pas sortir sans crainte de se faire frapper ou racketter. J’y explique que ce n’est pas à l’Etat mais au conseil départemental de trouver des solutions. » Et nous glisse, « avant, je ne connaissais pas Nassur Attoumani, d’ailleurs je crois que c’est le seul écrivain Mahorais. »
Devant notre stupéfaction, Neima Ali Hared confirme : « La quasi totalité des élèves ne connaissaient aucun auteur Mahorais. Il y a des projets pour la diffusion de la littérature locale, mais ils se heurtent dans leur pérennité au turn-over qui sévit ici ». L’enseignante a déjà sa petite, grande plutôt, idée : « Dans le cadre de l’option Littérature et société, il faut inviter plusieurs écrivains et créer un Pôle d’ouverture à la culture locale et internationale. »
Il faut déjà poursuivre cet atelier d’écriture pour qu’il s’impose chaque année, et les regards sont déjà tournés vers le mois de mai et le Festival Franco jeunes, y aura-t-il un lauréat ou une lauréate originaire de l’île ?! Les copies doivent être rendues en mars.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com