« Mayotte c’est la galère », 60% des jeunes veulent partir selon une enquête

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Le sociologue analyse une jeunesse optimiste mais marquée par le contexte de l'île.
Le sociologue Philippe Labbé a bravé la chaleur en hommage à l'idole des Jeunes
Le sociologue Philippe Labbé a bravé la chaleur en hommage à l’idole des Jeunes

Le forum de la jeunesse n’était pas du luxe. Alors que la population de Mayotte est à plus de 50% âgée de moins de 18 ans, une enquête sociologique vient révéler un profond malaise chez cette jeunesse, très attachée à son île, mais qui voit son avenir ailleurs.
« Une politique jeunesse n’est pas une politique pour les jeunes, mais une politique avec les jeunes » entame Philippe Labbé, sociologue à l’université de Rennes, dans son propos liminaire. Dans la salle surchauffée du cinéma Alpa Joe où la climatisation était en panne, le scientifique a enfilé un blouson de cuir le temps d’un hommage à Johnny Halliday, avant de rentrer dans le dur.
Ce scientifique spécialiste des politiques publiques depuis plus de 30 ans a présenté une enquête menée auprès de 252 jeunes Mahorais, issus de toutes les communes, d’âges et de milieux socio-professionnels variés. 16% des interrogés sont mineurs, 64% sont des femmes et 83% sont âgés de 18 à 23 ans.

Ils ont été interrogés sur cinq grands thèmes : les loisirs, l’identité résidentielle à l’échelle du village ou du département, l’école, les comportements déviants et leurs aspirations. Si certains résultats étaient prévisibles, d’autres interrogent particulièrement.

Moyennement sportifs mais ultra connectés

Les jeunes interrogés sont globalement peu investis dans le tissu associatif et/ou sportif. Seuls 40% disent connaître un équipement socio-culturel dans leur commune. Un chiffre logiquement plus élevé chez les jeunes de Mamoudzou. 46% à peine disent pratiquer une activité sportive, essentiellement des garçons. Chez les filles, les danses notamment traditionnelles et le shopping se distinguent davantage. Tous en revanche citent dans leurs loisirs privilégiés : la plage, la musique et… les réseaux sociaux.

En effet, une large majorité des jeunes, soit 93,7%, ont un téléphone portable. La totalité de ceux qui ont un emploi ont un téléphone mobile. 90% disent avoir un compte sur les réseaux sociaux, Facebook en tête. Signe pour le sociologue d’une « jeunesse qui est entrée de plain-pied dans la néo-modernité ».
Enfin 80% disent avoir une passion et être « bien dans leur peau ». Comme pour les téléphones portables, les jeunes qui disent avoir une passion sont plus nombreux parmi ceux qui ont un emploi. Les 20% restant évoquent comme cause de leur mal-être le surpoids, un handicap ou le manque de confiance en soi.

Avides de nouveaux horizons

Le sociologue analyse une jeunesse optimiste mais marquée par le contexte de l'île.
Le sociologue analyse une jeunesse optimiste mais marquée par le contexte de l’île.

58% des jeunes interrogés voient leur avenir en métropole, et la majorité souhaite au moins déménager vers une plus grande commune, particulièrement les jeunes des zones rurales. Des chiffres qui s’expliquent par une déception palpable. 60% des sondés se disent « insatisfaits de ce que propose leur commune ». Seulement 30% disent avoir connaissance d’un comité jeunes chez eux. 58% seulement connaissent le nom de leur maire, et 43% ont voté à la présidentielle. Un chiffre cohérent avec les 54% d’abstention à ce scrutin à Mayotte.
Plus des deux-tiers des jeunes estiment que « Mayotte c’est la galère », évoquant principalement la difficulté à trouver un emploi, et l’insécurité. Pour 33%, « Mayotte c’est super », grâce à ce que le sociologue appelle « l’esprit de communauté villageoise ». Les sondés disent apprécier « le calme » et le fait que « tout le monde se connaît ».

L’école, « planche de salut » incontestée ?

Lieu de rencontres privilégié, loin des pressions familiales ou villageoises, « l’école représente la planche de salut » analyse le sociologue. L’enquête menée à ce sujet ne mériterait à ses yeux « que des commentaires laudatifs ». 90% des jeunes se disent satisfaits de leur scolarité dans le premier degré. 89% disent avoir pris plaisir à aller au collège. Mais ces chiffres aux allures de plébiscite cachent des réalités plus sombres. Pour deux-tiers des sondés, « tout le monde n’a pas les mêmes chances de réussite ». 60% d’entre eux jugent les conditions de travail à la maison « moyennes ou catastrophiques ».
Pour l’école primaire, le troisième meilleur souvenir évoqué par ces sondés concerne les repas . »Signe d’une jeunesse gourmande, ou qui a faim ? » s’interroge, soucieux, le sociologue. Plus d’un tiers des sondés ont mal vécu l’école primaire à cause des violences, vols et rackets et 27% disent avoir fait l’objet de violences de la part d’enseignants. « Ils nous frappaient » dit l’un d’eux. 20% disent avoir souffert de « difficultés scolaires » et 19% des « sanctions et exclusions, suivies de la double peine, les sanctions à la maison ». Grand point commun avec leurs camarades de métropole, la plupart des Mahorais placent « les grèves » parmi leurs meilleurs souvenirs d’école.
Au collège, les mêmes considérations reviennent. 32% ont souffert des rivalités et bagarres et 28% de violences venant d’adultes. 26% citent « les mauvaises notes ».
A l’inverse, les bonnes notes, l’accès au sport, l’apprentissage des langues et les sorties culturelles, théâtre etc. marquent les bons souvenirs de cette période.
Enfin au lycée, on retrouve parmi les bons souvenirs : la réussite scolaire, l’obtention du bac, les premières amours, les sorties et visites et « le goût d’apprendre ». L’éducation sexuelle aussi.
Et sans grande surprise, les mauvaises notes, l’insécurité « autour et dans le lycée » sont en tête des mauvaises expériences. 7% des lycéens déplorent enfin les conditions d’accessibilité et de transports.
Ainsi, si l’école reste « un espace privilégié de socialisation et d’altérité », elle est aussi le témoin de malaises sociétaux profonds.

La conférence avait lieu dans un cinéma sans clim
La conférence avait lieu dans un cinéma sans clim

Pire que la drogue ou le vol : frapper sa maman

La partie de l’enquête portant sur les actes déviants révèle aussi un important marquage culturel. Globalement, notant leur seuil de tolérance sur 20 (20 étant absolument intolérable), les jeunes montrent « un faible taux de tolérance » à l’ensemble des faits présentés. En tête de ces faits, le fait de « gifler sa mère » récolte un 19/20 unanime, suivi par l’usage de drogues, d’alcool, puis les fausses rumeurs sur les réseaux sociaux, et enfin le vol et le manque de respect aux aînés. En revanche, le fait de tromper son/sa petit(e) amie(e), de faire des graffitis ou de fuguer leur semble moins grave.

Mais du coup, que veulent-ils vraiment ?

Un bon métier. En toute première position. Suivi de l’espoir d’avoir une belle maison, de gagner beaucoup d’argent, de voyager et, en 5e position, de trouver le grand amour. Un seul des 256 sondés a accordé de l’importance au fait d’avoir « une belle voiture ». En revanche, 6 d’entre eux ont manifesté l’espoir d’avoir « une journée de gloire dans les médias ». Il est intéressant face à ces chiffres de les comparer avec une enquête bien plus vaste menée auprès de 50 000 jeunes de métropole. Ce sondage révélait que la première aspiration en métropole était d’avoir beaucoup d’amis, puis beaucoup de temps libre, ensuite de fonder une famille, d’être amoureux et en 5e position seulement, d’avoir un bon métier et de gagner de l’argent. « Les choses ne sont pas du tout organisées de la même façon » s’intéresse Philippe Labbé qui évoque en analyse « la faiblesse du marché du travail » et un certain « deuil des aspirations pour cette jeunesse ».

Optimistes malgré tout

Malgré les difficultés évoquées ci-dessus, la jeunesse mahoraise reste globalement optimiste. 90% des sondés pensent qu’ils vont « réussir leur vie ». La statistique monte à 100% parmi les jeunes actuellement en formation. En revanche elle s’effondre à 20% chez les jeunes au chômage.
On voit là selon le sociologue « une jeunesse optimiste, qui veut réussir et qui prend ses responsabilités », la plupart des sondés estimant que leur avenir dépend de leur propre travail. Le chercheur évoque « une double acculturation : de jeune à adulte, et d’une société traditionnelle à une société mondialisée et connectée ».

Cette double acculturation (passage d’une culture à une autre) impose « d’impliquer les jeunes dans les espaces qui leurs sont dédiés, comme des conseils d’administration de jeunes, de mettre le paquet sur les pratiques sportives des femmes. »

Y.D.

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