Un « mouvement aux allures bon enfant » qui « exprime une rupture » : Tribune d’Issihaka Abdillah pour mettre élus et Etat devant leurs responsabilités

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Issihaka Abdillah
Issihaka Abdillah lex-conseiller général de Bandraboua

« Pourquoi est-il si difficile pour les élus locaux de s’engager dans les politiques de lutte contre l’insécurité et l’immigration clandestine ? Pourquoi tant d’inertie des services déconcentrés de l’Etat? La ministre des outre-mer a reconnu d’ailleurs leur défaillance. Et pourtant, les Maires, le Président du Conseil Départemental et le préfet disposent encore et toujours de pouvoirs très élargis en matière de sécurité. C’est facile de se désolidariser d’un mouvement social légitime, de se mettre en première ligne pour négocier avec un Ministre. Mais négocier quoi pour qui ? C’est encore plus facile en même temps flagrant que de publier de communiqués pour demander la levée des barrages. C’est même illusoirement facile d’évaluer les besoins financiers de nos communes à 1 milliard 800 millions ? Mayotte en vaut plus, beaucoup plus, certainement encore plus ! La ministre l’a rappelé à ceux qui voulaient l’entendre. Mayotte ne vaut pas non plus que 15 mesures. Le mouvement initié par l’intersyndicale et le collectif des associations a ouvert grandement la porte pour enfin poser les vraies bases du développement de Mayotte. Pourquoi les élus cherchent-ils à passer avec force la fenêtre ?

Dans moins de 23 ans, Mayotte commémorera 200 ans de présence continuelle française. À l’échelle de notre humanité, c’est peu mais suffisant pour sortir un pays, pardon une île de moins de 300 000 habitants de sa pauvreté.
Et pourtant, cette île, département français et région ultra périphérique de l’Europe s’enfonce à vue d’œil dans la catégorie des pays du tiers-monde des années 60: bidonvilles, insalubrité, insécurité et violence, trafic en tout genre, pauvreté et sous-éducation… Classée au 88ème rang à l’indice de développement humain (2011) avec une moyenne de 0,750, Mayotte figure bien dans le groupe des pays en voie de développement bien loin derrière des Pays comme les Seychelles et l’île Maurice. Elle est aussi loin derrière le département de la Réunion et la France continentale avec qui nous partageons le même drapeau depuis bientôt 2 siècles. Elle est bien loin des standards européens et pourtant c’est une RUP.

C’est aussi facile d’accuser l’intersyndicale et le collectif de rigidité et d’immobilisme. Mais, prenons un moment et posons-nous les questions plus sérieusement. Qu’a fait mon maire pour ma liberté, ma sécurité et celle de mes biens ? Les effectifs scolaires qui explosent d’année en année. Qui est responsable des inscriptions scolaires débordantes, de la traçabilité d’un dossier scolaire? Le territoire communal est occupé par des constructions sauvages, les rivières et les cours d’eau sont quotidiennement pollués. La déforestation et la culture sur brûlis sont visibles à l’œil nu et gagnent du terrain chaque jour. Qui en est responsable ? La pêche sauvage fait des ravages dans et l’extérieur du lagon. Les espèces marines se raréfient et le lagon agonise lentement mais sûrement. Pour rappel, Mayotte est une RUP et les directives européennes en matière de pêche s’appliquent ou devaient s’appliquer.

Les « contradictions insolentes » des Comores

Rond-point des 4 îles à Moroni
Rond-point des 4 îles à Moroni (Grande Comore)

Les PMI débordent de patients de tous horizons. Sont-elles déficitaires ? Si tel est le cas, qui comble le déficit ? L’Etat, le Conseil Départemental ou la CSSM ? Le CD a-t-il les moyens financiers pour supporter seul le fonctionnement de ces structures ? Depuis peu, 11 vaccins sont rendus obligatoires pour chaque enfant vivant à Mayotte. Qui payera la facture lorsqu’on connaît le coût d’un vaccin? Ailleurs, de plus en plus les PMI facturent aux CPAM les actes (consultations médecins PMI, injection vaccins… afin de diminuer leur déficit structurel) pour les patients couverts par la sécurité sociale. Ici, qui prend en charge les patients en situation irrégulière? La ministre des Outre-mer indique que la moitié de la population mahoraise est d’origine étrangère. Une fois le constat fait, quelles mesures a-t-on pris? Quelle conséquence pour les finances du département qui dépriment déjà depuis plus d’une décennie ?

Par ailleurs, les Comores, nos voisins immédiats sombrent d’année en année dans le sous-développement. Après 43 ans d’indépendance, le pays ne décolle pas. Après plusieurs années d’instabilité politique due aux nombreux coups d’état, le pays a retrouvé un équilibre démocratique. Cependant, il se vide de ses forces vives, un état de fait qui augure un appauvrissement sur tous les plans. La coopération économique française bien que présente et en première ligne depuis des années, ne donne pas tous les résultats escomptés. Les systèmes économiques, de santé et d’éducation agonisent depuis trois décennies. L’élite politique locale est empêtrée dans des contradictions insolentes: réclamer Mayotte à la France, demander le départ de la France de Mayotte et s’appuyer sur l’aide financière de la France si ce n’est demander la double nationalité.

Ce double jeu entretenu longtemps par les différents gouvernements français doit cesser. Car il est néfaste pour les comoriens les plus nécessiteux et a pour conséquence, la monté de l’extrême pauvreté pour l’immense majorité des populations et la déstabilisation de Mayotte. La France doit aux Comores un discours franc, ferme et plein d’à propos mais amical. Trop longtemps, la France a entretenu un discours de complaisance avec les gouvernants comoriens et une diplomatie laxiste parfois ambiguë au demeurant improductive pour ses intérêts dans la sous-région. Le refus comorien d’accueillir sur son sol ses propres ressortissants en situation irrégulière à Mayotte est une illustration de la bêtise de l’élite politique des Comores. La diplomatie du visa d’entrée sur le territoire français, dans l’espace Schengen et de délivrance de cartes de séjour n’a plus cours. Elle doit s’arrêter.

Élus et État attendus sur les politiques publiques

Lavage en rivière
Lavage en rivière dans toutes les communes de l’île

De ces interrogations, nous sommes en droit de penser que les mesures et les engagements de l’Etat ne seront efficaces que si les pouvoirs locaux, communes, Département et les services déconcentrés de l’Etat sous l’égide du Préfet, les accompagnent avec des initiatives fortes et que chacun prenne ses responsabilités. Une action forte engagée au niveau du territoire par les différents pouvoirs locaux accouplée aux revendications légitimes de l’intersyndicale et du collectif permettra de quadriller le terrain. La réussite des politiques publiques de lutte contre l’insécurité et l’immigration clandestine dépend certes de la volonté de l’Etat à s’impliquer davantage dans ses obligations régaliennes mais aussi de l’implication sans faille des pouvoirs locaux. Menées de concert avec tous les acteurs, il sera enfin permis d’espérer de meilleurs résultats.

Plusieurs actions peuvent immédiatement être engagées :

1- Les maires s’engagent sans délai dans un processus de démolition des habitations clandestines implantées dans leur territoire communal. L’Etat et le Département doivent faire autant en ce qui concerne leur terrain respectif. Il n’y a rien qui les empêche même si la procédure peut s’avérer être longue. Le maire de Mamoudzou a initié le mouvement, c’est un début de réponse plus qu’encourageant.
2- Les maires doivent s’engager à maintenir les effectifs scolaires dans la limite des effectifs réglementaires par classe. La commune de Koungou a eu gain de cause devant le tribunal en refusant d’inscrire des élèves au delà de ses capacités. La démonstration est faite qu’il n’y a pas de fatalité. L’obligation scolaire oui mais pas à n’importe quelle condition. Cela ne peut pas être un sujet tabou. Il en va de la survie de notre système scolaire.
3- Interdire le lavage en rivière pour éviter la pollution des eaux, interdire l’abattage des arbres à proximité des cours d’eau, la déforestation et la culture sur brûlis. Les maires doivent exercer pleinement leurs compétences en matière de protection de l’environnement que la loi leur confère.
4- Dérivée de la PAC (Politique Agricole Commune) la politique européenne de la pêche vise avant tout la conservation et la gestion durable des ressources. Il n’est plus acceptable de laisser une surexploitation sauvage et effrénée des ressources marines. La pêche est une activité réglementée et les espèces doivent être protégées. Le prélèvement des espèces tout azimut et tout au long de l’année est préjudiciable à la fois pour l’environnement mais aussi pour la biodiversité. La pêche sauvage sur le littoral, dans et à l’extérieur du lagon doit être interdite. L’Etat doit se donner les moyens de réglementation, de contrôle, de surveillance et punition.
5 – Accueillir dans les PMI que les patients couverts par la sécurité sociale, les  autres actes inhérents aux patients en situation irrégulière devant être facturés au prix coûtant. Le sujet n’est pas tabou car les mêmes actes sont payants chez le médecin privé.
6- La coopération régionale entre les Comores et Mayotte est un fiasco qui ne dit pas son nom. Elle doit être repensée en profondeur. Il faudra changer de méthode car une coopération n’est pas une action humanitaire. D’abord Mayotte n’a pas les moyens et ce n’est pas de son ressort. Une coopération appelle deux parties négociant d’égal à égal dans la transparence et dans des secteurs touchant au grand nombre jugés essentiels au développement.

« Rupture avec l’ancien temps »

Présentation de la Table revendicative
Présentation de la Table revendicative par « la jeune génération »

La convertibilité du franc comorien est garantie par le Trésor français. La France dispose dans ce cadre d’un levier d’influence sur la politique comorienne. Donner plus serait une des solutions et la clé pour sortir du marasme économique dans lequel le pays s’enfonce mais exiger plus en terme de bonne gouvernance en ciblant les secteurs clés du développement du pays :
– l’éducation et la formation,
– la santé et le social,
– l’agriculture et la pêche,
– la lutte contre la migration.

Enfin, ce mouvement s’annonce comme celui de tous les défis à Mayotte :
– le défi de la restauration de la confiance entre Mayotte et la métropole lointaine,
– le défi de la restauration de la confiance entre un territoire et ses élus,
– le défi de la lutte contre l’insécurité, la violence et l’immigration clandestine,
– le défi de l’éducation et la formation,
– le défi de l’enseignement supérieur, la recherche et l’excellence,
– le défi du logement et de l’habitat,
– le défi du développement économique, social et culturel,
– le défi de la protection de l’environnement, de la biodiversité et des ressources naturelles.

Parce que ce mouvement aux allures bon enfant est différent des autres, il exprime une rupture, un divorce et un mal-être. Une rupture franche est engagée avec l’ancien temps, les vieilles méthodes paternalistes héritées de la colonisation. Jean-Jacques Brot, ancien préfet de Mayotte parmi les émissaires envoyés par le gouvernement pour négocier une sortie de crise en a fait les frais. Inaudible, il incarne le passé et par voie de conséquence les retards cumulés. Denis Robin a vécu les prémices de ce changement de mentalité en 2011. Il était aussi inaudible lors des négociations portant les revendications contre la vie chère. La sonnerie avait retenti, il y a de cela quelques années mais la France n’a pas tiré la leçon. Les colliers de fleurs, jadis symbole de l’hospitalité mahoraise sont remplacés désormais par les pancartes et les slogans revendicatifs.

La jeune génération a engagé un nouveau rapport de force qu’il convient de prendre en compte. Les initiateurs du mouvement social ont mûri. Ils constituent une ribambelle d’acteurs du dialogue. Ils sont incontournables à bien d’égard parce qu’ils sont représentatifs de plusieurs sensibilités. Ils sont présents dans les administrations, les entreprises, dans les associations, chez les sans-emplois. Toutes les couches sociales sont représentées. Ils disposent d’une communication rodée et fluide. Ils ont changé le paradigme. La France doit changer à l’égard de Mayotte son logiciel. Il n’y a pas de remise en cause de l’appartenance de Mayotte à la France. Les enjeux sont tout autre. La France se doit d’affirmer son attachement à Mayotte. Le discours consistant à répéter inlassablement que « Mayotte est française tant que les mahorais le souhaite » ne fait plus recettes. D’abord qu’il est honteusement prononcé et historiquement biaisé. Mayotte est française depuis 1841 et c’est sur cette base que son avenir doit être envisagé. Les mahoraises et les mahorais, dans leur immense majorité sont fiers de porter le drapeau français. Ils sont fiers d’être français. Ils réclament humblement un même destin. »

Issihaka ABDILLAH

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