« Vous ne savez pas trop ce qu’est l’islam, mais surtout vous ne connaissez pas les autres religions ». Ce constat d’apparence un peu sévère était dressé par l’islamologue Mohamed Bajrafil à des élèves de seconde du lycée de Sada.
L’universitaire, natif des Comores, venait de les interroger sur la définition de l’islam pour eux, pour en venir à un enjeu : comment vivre l’islam au XXIe siècle.
Mais les élèves ont eu toutes les peines du monde à répondre à la première question. Faire la prière ? Les autres religion la font aussi. Le jeûne alors ? Les autres religions le font aussi. Les ablutions ? Les juifs les font, et oui, les trois religions monothéistes ont toutes un Livre.
« L’islam c’est obéir à Dieu » tente un élève. Pas mal ! Si toutes les religions « obéissent à des pratiques pour obéir à Dieu » rappelle l’universitaire, l’islam se définit comme une soumission volontaire à Dieu. Vous faîtes le choix de vous soumettre à un ensemble de règles, dont vous croyez que l’initiateur, c’est Dieu. »
« Le mot obéir est important, souligne son collègue Adrien Leites, enseignant à Paris IV. Mais attention. « On n’obéit pas juste par imitation, mais parce que l’on croit. Si on croit par contrainte, ce n’est pas de la croyance. C’est pour ça qu’on ne peut pas obliger quelqu’un à devenir musulman. Croire, c’est nécessairement une décision libre, ça ne peut pas nous être imposé par nos parents ou par les fundis. »
« Dès l’instant où l’acte volontaire n’existe pas, il n’y a plus de foi, renchérit Mohamed Bajrafil. Ce serait être hypocrite, munāfiq en arabe. L’ancien enseignant rappelle aux élèves ce qu’ils auraient du apprendre à l’école coranique : l’histoire d’Abraham, le prophète qui observait les étoiles en se disant « c’est mon Dieu ». Puis les voyant disparaître à l’aube concluait que « ça ne peut être mon Dieu ». Peut-être la lune alors ? Ou le soleil ? Même constat. Ces observation le menèrent dans le Coran à la conclusion que « Dieu est celui qui gère les étoiles, le soleil et la lune. Ça découle d’une interrogation personnelle » explique le chercheur.
Une interrogation qui « peut être simple, rassure Adrien Leites, ça ne veut pas dire qu’il faut vous creuser la tête pendant des heures. Mais à la source de la foi, il y a quand même le questionnement personnel, ça doit venir de moi. »
Etre dans le mimétisme, c’est anti islamique
Un choix qui doit donc être libre. « Quand je peux faire le choix de croire, je peux aussi faire le choix de ne pas croire » continue M. Bajrafil.
Venait alors la question de la pratique de la religion. Selon les élèves, il y a certes des obligations, mais ils étaient une majorité à juger l’islam « difficile » et à placer les interdictions au dessus des obligations. L’influence du voisin compte aussi pour beaucoup. Ainsi l’islamologue posait une question à laquelle le Coran donne la réponse. « Si vous êtes perdu dans le désert avec rien d’autre à manger que du porc, et rien d’autre à boire que de l’alcool, est-ce que vous avez le droit ? »
Oui, s’écrie une élève sure de son fait. Avant de changer pour un timide « non », face à la désapprobation de son voisin. « C’est de l’hypocrisie de vous rétracter » lui lance le conférencier, donnant raison à sa première réponse. La religion doit être un moyen de facilité, et non de difficulté. C’est dans le Coran ça. Ce qui m’intéresse c’est que vous compreniez qu’en 2018, on peut être musulman et suivre des études, et dès que la religion devient une entrave, vous vous dîtes qu’il y a un problème. Il faut que quand vous agissiez, vous le fassiez volontairement. La volonté doit émaner de vous-même, c’est cela être libre, prendre des décisions pour soi-même. En 2018, pratiquer l’islam c’est faire preuve de liberté et donc, de volonté. »
Des notions un peu complexes pour ces jeunes de 15 ans pour qui l’apprentissage de la religion s’est souvent fait par mimétisme ou par répétition. « L’idée c’était de montrer qu’en 2018 on doit en finir avec les idées reçues et les pratiques dénuées de sens. L’idée in fine, c’est de les immuniser contre les pratiques de nature sectaire qui mènent à ce que l’on sait. La pratique doit être raisonnée et raisonnable. C’est la raison pour laquelle on travaille sur le libre-arbitre. »
L’islamologue explique n’avoir pas eu l’impression d’avoir affaire à des jeunes qui connaissent leur religion. « Ils ont vu les gens faire, et pratiquent par héritage. Mais on n’a pas le droit d’être dans le mimétisme, c’est anti islamique. C’est d’ailleurs le message du livre que je viens de sortir, en finir avec cette inflation d’interdits, provoquer le débat, casser les idées reçues. »
Mais n’est-il pas paradoxal de se heurter à une telle méconnaissance de jeunes qui vont à l’école coranique ? « Ce n’est pas paradoxal quand on sait le niveau des enseignants, et l’importance qu’on y accorde, c’est plus un passe-temps qu’autre chose. Aux Comores, on avait des cours de théologie dès 2 heures du matin. Aujourd’hui c’est peu approfondi. Sur 30 élèves très peu savent ce qu’est l’islam. Cette influence du voisin est à la fois inquiétante et intéressante pour nous, chercheurs, d’où ce travail sur le mot Munāfiq. »
Finalement, il reste difficile de dire si les réponses des élèves sont le fruit d’une réelle ignorance, ou d’une profonde timidité, reste que le théologien se trouve « content de l’échange, ça devrait être multiplié pour sortir du mimétisme. Prévenir la radicalisation, c’est surtout ne pas leur interdire de parler. Créer de la frustration, c’est ce qu’il y a de pire. »
Y.D.