Collusion de l’Etat avec des intérêts privés à Mayotte, dénonce un courrier à la ministre des Outre-mer

C’est une tribune bien sentie que Intersyndicale et Collectif livrent, sous la forme d’un courrier rendu public, adressé à la ministre des outre-mer. On en reconnaît d’ailleurs la plume qui souligne les engagements d’Annick Girardin lors de la fameuse rencontre du 13 mars, en réponse à une Mayotte en « sous-France », où règne une "machine à privatiser l'argent public".

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La piste de l'aéroport de Mayotte

Un grand nettoyage ! Tant dans les services de l’Etat que dans les rangs des élus dont certains ont versé dans la corruption, c’est ce que veulent les organisateurs de la mobilisation Sécurité. Les propos d’un courrier à la signature collective adressé à la ministre des Outre-mer (Lire Lettre ouverte MOM 301 avril 2018 – Point manquant), entérinent les échanges « sans tabous » dont on connaît donc maintenant la teneur, et qui listent les blocages structurels propres à Mayotte où le développement peine à être enclenché.

Après avoir acté les mesures sécuritaires, dont le démantèlement des bandes, il faut créer les conditions du développement de l’île que l’Etat est accusé de freiner intentionnellement, comme le rappelle régulièrement l’écrivain Mahamoud Azihary : « Des fonctionnaires passent leur temps à bloquer les projets, notamment d’aménagement du territoire et d’aménagement urbain. Pire, nous vous avons relaté de nombreux exemples de collusion de l’Etat avec des intérêts privés des groupes du BTP qui agissent en véritables machines à privatiser l’argent public, et des groupes de la grande distribution dont les profits s’apparentent à un impôt féodal prélevé dans les poches d’une population démunie. »

A plusieurs milliers de kilomètres de là, un autre territoire, la Nouvelle Calédonie, avait dirigé la même critique envers l’Etat, accusé de « machine à privatiser l’argent public »…

Des fonctionnaires aguerris qui ont « fait l’Afrique »

Annick Girardin avait annoncé l’arrivée durable de compétences

Le courrier reprend les exemples des deux plus grosses infrastructures de l’île : « le monopole d’Air Austral est conforté à Mayotte par la DGAC », et « la façon dont le port de Longoni a été abandonné aux mains d’une structure privée ». Il dénonce « une collusion entre l’Etat et les grands groupes d’un côté et, de l’autre côté, la corruption ambiante sur des marchés importants pour le développement de l’île, ont pour conséquences, entre autres, de favoriser des ouvrages de très mauvaise qualité à des coûts excessifs et par conséquent d’enfoncer Mayotte dans son sous-développement chronique ».

Alors qu’elle allait reprendre l’avion mi-mars, la ministre Annick Girardin semblait en convenir puisqu’en réponse à la demande de l’Intersyndicale-Collectif de « revoir toute l’administration locale d’Etat pour ne mettre que des personnes honnêtes, compétentes et expérimentées », elle nous avait laissé entendre que les services de l’Etat allaient être renforcés au départ de ses émissaires, et conformément à ce qui lui a été demandé, pas par « des fonctionnaires venus faire leurs preuves de début de carrière, des personnes dont les autres Collectivités ne veulent plus ou des personnes ayant ‘fait l’Afrique’ ».

Même ressenti de blocage envers l’institution judiciaire, qui donne « l’impression de fermer les yeux sur la corruption et les fraudes diverses pourtant maintes fois dénoncées par la presse et par les magistrats eux-mêmes. »

L’ingénierie comme clef de voûte

Une étude sur plusieurs tracés du contournement de Mamoudzou et de desserte maritime

Pour (re)lancer la machine, les organisateurs de la manifestation demandent de lister tous les projets identifiés et non réalisés, et de s’assurer de leur réalisation effective, « notamment l’aéroport, le port et la voie express de contournement de Mamoudzou », au sein d’un plan qui ne serait pas un Mayotte 2025-bis.

L’objectif du courrier qui entérine les échanges et en rend publique la teneur, est de dénoncer un 15ème point manquant qui aurait sauté dans les engagements de la ministre (Engagements en 14 points pris par la MOM au nom du Gouvernement), celui qui porte sur la mise en place d’ingénierie, « condition clé d’un développement durable, inclusif et harmonieux ».

Et propose de le rajouter sous cette forme : « L’Etat s’engage à revoir l’organisation des services de l’Etat pour s’assurer que les compétences, l’ingénierie et l’expérience mises en place seront à la hauteur des enjeux du développement de Mayotte. De la même façon, l’Etat s’engage à veiller à ce que l’institution judiciaire soit réorganisée de sorte à éradiquer toutes les formes de corruption susceptibles de détourner l’argent public vers un objectif autre que le développement de Mayotte et le bien-être de sa population. »

Le préfet Dominique Sorain avait assuré que cet engagement d’apport d’ingénierie serait respecté au cours d’un point presse, et il semblerait qu’une plateforme soit montée localement à cet effet.

Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com