Prenez une feuille de route plus secrète que la dernière technologie d’Apple, rajoutez lui la fuite d’un grand quotidien du soir annonçant un reformatage régional Communauté de l’archipel des Comores, terminez par un glaçage de pétition avec son lot de révélations, saupoudré d’une instrumentalisation des reconduites façon Azali, et vous obtiendrez un largage, pas celui de Mayotte Française, mais des élus de l’île, qui, manquant d’informations, perdent pied.
Une réunion importante se tenait entre les élus du département ce mardi 8 mai d’Armistice, qui n’a pas eu le succès escompté. Quelques conseillers départementaux et quelques maires, un seul parlementaire était représenté. Un armistice qui n’avait pas gagné l’hémicycle où deux clans sont apparus, les pro manif, et ceux qui veulent attendre les propositions de la ministre.
Le président Soibahadine était de ceux là, « et si les réponses ne satisfont pas nos attentes, je serai le premier à descendre dans la rue, mais pas avant. » D’autres s’alignent sur sa position, mais pas la majorité des élus présents.
Il avait gros à jouer le président du conseil départemental ce mardi. Car il s’agissait pour le président de la coordination des maires, Mohamed Bacar, de remettre en cause le « toilettage institutionnel » qui effraie tant. Cela fait pourtant deux ans que le chef de l’exécutif mahorais porte ce projet qui permettrait à Mayotte d’assumer pleinement son rôle de région en plus de département. Mais il est vu dans le contexte actuel comme une boite de Pandore à travers laquelle l’Etat pourrait insinuer un potentiel changement de statut de département. Un chef de parti local nous avait même confié voir dans Soibahadine Ramadani un « indépendantiste ». C’est dire le malaise.
Une carrière d’indépendantiste à 69 ans ?
Ce dernier revenait pourtant sur les enjeux, certes techniques, mais qu’on ne peut s’abstenir d’essayer de comprendre si l’on veut juger ce toilettage que son 4ème vice-président proposait de rebaptiser « Clarification du statut de Mayotte » : « Le volet régional existe bien sur le plan juridique, mais nous n’en avons pas les compétences effectives. Pour ce faire, il faut trois points : l’organisation administrative, les compétences, et les finances. Il n’y a qu’une loi pour cela. Qui ne pourra pas changer le statut de notre département, figé par une loi organique* et une loi ordinaire. Et pour ceux qui ont encore des craintes, notre parapluie c’est le référendum du 29 mars 2009** ». Signifiant qu’on ne peut le défaire sans un autre référendum. Il émettait d’ailleurs un communiqué dans la soirée pour entériner ces dires. (Lire Communiqué-de-presse_PCD_coopération-avec-les-Comores)
« Personne ici ne va remplacer le statut départemental par un autre ! », appuyait le président du Département, dans la lignée d’un De Gaulle interpellant, « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? ».
De dictateur, peut-être pas pour le sexagénaire Soibahadine Ibrahim Ramadani, 69 ans, mais de rétention d’information, oui. Aucun des maires présents n’avaient eu la feuille de route entre les mains, et coup de théâtre : interpellé par Anchya Bamana, la maire de Sada à ce sujet, le président répondait que « à la demande du quai d’Orsay, nous formulons des contrepropositions à cette feuille de route, nous sommes en phase de signatures », ce que tous les élus découvraient avec stupéfaction.
L’agitation comorienne
Bien que celui qui en est chargé, le député Kamardine, soit un veilleur de tous les instants de la situation mahoraise, les maires n’étaient pas rassurés et appelaient à plus de transparence : « Nous sommes en droit d’avoir cette information pour qu’il y ait un minimum de confiance » pour Anchya Bamana, « nous voulons connaître la teneur de ces contrepropositions », rajoutait le maire de Mtsamboro. « Chacun son travail, vous devez avoir confiance, vous ne demandez pas aux parlementaires les détails de leurs écrits ! », s’agaçait le président, en reconnaissant ne pas avoir communiqué cette feuille de route.
Alors que l’orage grondait avec un Mohamed Bacar appelant tous les élus à la démission « pour dénoncer l’échec de la diplomatie du gouvernement face aux Comores », et toute la population dans la rue ce jeudi, « notamment pour dire aux clandestins de repartir chez eux », l’ancien président du Département Douchina, LR, qui avait émis quelques minutes auparavant ses « doutes » sur les intentions du président Macron, revenait sur la réalité des enjeux :« Cette feuille de route existe depuis Sarkozy, et nous en avions refusé la teneur. Ce n’est pas parce que de l’autre côté on fait du bruit, que nous devons nous désespérer et arrêter de travailler au développement de notre territoire. »
Laisser les grands élus « faire du lobbying à Paris », et mobiliser les énergies pour répondre aux besoins structurels du territoire pour prouver à Paris la détermination à évoluer, et non pour tomber dans le piège d’un épouvantail perturbateur de la cohésion de l’île agité par les dirigeants comoriens, une position prise par deux autres voix à Mayotte, le sénateur Thani, et sur l’instrumentalisation des Comores, l’ancien conseiller Issihaka Abdullah.
Seront-ils entendus quand tombent des sentences comme « le droit d’un peuple à disposer de lui-même est menacé ! » ?
C’est un des motifs en tout cas de la mobilisation de ce jeudi 10, avec l’échec diplomatique sur le conflit territorial, l’arrêt des reconduites, etc. Mais cette abondance va-t-il la noyer ou l’amplifier ?
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Dans ce cas, inscrite dans la Constitution
** Le référendum de la départementalisation de Mayotte qui devait recueillir le consentement de la population mahoraise à l’évolution vers un statut de collectivité unique régie par le dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution et appelée « Département ».