Le soleil est déjà haut dans le ciel quand, vers 9h30, le tractopelle renverse les premiers pans de mur en tôle, et les broie contre le sol dans un fracas assourdissant. Un tuyau d’eau percé par la machine crée une petite gerbe. L’électricité avait quant à elle été coupée par EDM au préalable. Aucun compteur sur place pourtant. L’usager qui rétrocédait à ces logements n’est pas pour l’heure identifié.
Les derniers occupants viennent de quitter les lieux. Pendant quatre heures, depuis l’aube, ils ont eu pu déménager leurs affaires et les charger sur un camion.
A l’intérieur des bangas, dans lesquels les habitants nous ont invités à entrer une dernière fois avant de les voir rasés, seules quelques babioles restaient. Ici, un ventilateur. Là, un avion en plastique. Près d’un grand sac, des cahiers et livres de collégien gisent au sol, victimes d’un carton qui a dû lâcher pendant le déménagement précipité. Dans l’un, un matelas posé à même le sol, ne sera pas récupéré. Idem pour ce lit recouvert d’une moustiquaire, qui ne serait pas passé dans le camion.
La décision de justice était en attente d’application depuis 2016, et la famille Batrolo, propriétaire du terrain, avait dû verser une provision importante à l’huissier pour permettre le début des opérations. Début avril, la préfecture avait annoncé que des destructions d’habitat illégal auraient lieu dès la fin de la trêve cyclonique.
« Le but n’est pas de les surprendre au petit matin »
La police est donc arrivée sur place vers 6h. La veille, les 31 personnes occupant les quatre bangas avaient été prévenues de l’opération. « Le but n’est pas de les surprendre au petit matin, explique un officier du commissariat, c’est pour ça que tout se passe bien. »
En effet, l’opération s’est déroulée dans le calme. L’arrivée des forces de l’ordre à l’aube a juste généré des craintes chez les habitants du terrain situé plus haut, rapidement rassurés quant au fait qu’ils n’étaient pas visés, pour le moment du moins. La police assure qu’une trêve sera respectée pendant tout le mois du Ramadan. Ensuite, les forces de l’ordre « poursuivront cette action conformément à la décision de justice ». Les quelque 400 logements recensés sont donc en sursis.
L’opération de ce vendredi matin était a minima un signal adressé à toutes ces familles qui ont assisté à la scène. Beaucoup ne croyaient pas que la décision de justice serait un jour appliquée. « Pour moi c’est du n’importe quoi, ils nous disent que c’est une décision de justice mais on pensait que c’était juste une rumeur, explique un habitant délogé. »
Talmidhi Anlim, bénévole de l’association Amis des Îles qui intervient régulièrement selon lui dans ce quartier estime quant à lui que les habitants n’ont pas été dûment avertis avant la veille et qualifie les décasés de « victimes »
Ces familles avec enfants, toutes en situation régulière, bénéficient officiellement d’une proposition de relogement. Mais plusieurs ont annoncé qu’ils seraient plutôt hébergés chez des proches.
En fin de matinée, un autre câble électrique, soigneusement enterré, a été sectionné par la pelleteuse, causant un début d’incendie. Les pompiers ont dû intervenir, causant d’importants troubles à la circulation. Le propriétaire du compteur pourrait être poursuivi.
Le « terrain Batrolo », vaste zone en pente de part et d’autre de la côte Sogéa est devenu au fil des ans un symbole de la lutte contre l’habitat illégal à Mayotte.
Y.D.
Premières destructions sur le "terrain Batrolo" à Kawéni
Annoncées de longue date, les destructions sur le terrain situé en bordure de la côté Sogéa ont commencé ce vendredi matin. Une première parcelle de quatre bangas a été rasée. Il en reste près de 400 sur les hauteurs, mais aucune autre opération n'aura lieu d'ici la fin du Ramadan.