Après avoir eu entre les mains le rapport de la Chambre Régionale des Comptes flinguant les abus de subventions du Département jusqu’en 2016, il faut du lourd pour impressionner. La gestion de la commune de Koungou depuis 2013 peut y prétendre. Avec un côté beaucoup plus inquiétant : certaines irrégularités ne sont même pas voulues, signe d’un manque de compétence flagrant.
Avant de nous y pencher, rappelons l’évolution de la législation. Avec l’introduction le 1er janvier 2014 de la fiscalité directe locale, les ressources des communes mahoraises qui étaient composées presque exclusivement des dotations de l’Etat, ont diminué de moitié. En même temps, l’indexation des salaires de 40% a plombé leur masse salariale. Un effet ciseaux qui a incité la mairie à « augmenter ses taux d’imposition de 113% en 2015 », provoquant l’ire des administrés, puis à les baisser de 35% en 2016, pour les augmenter à nouveau en 2017.
Résultat, pour ses 13 millions d’euros d’investissements, essentiellement des travaux de voieries, bien qu’ils soient subventionnés à prés de 90%, la mairie a emprunté pour 8 millions d’euros… qui ont finalement servi à équilibrer les comptes.
Pour dégager des marges, la commune devra faire des économies de masse salariale, « notamment sur les non titulaires, l’entretien de la voirie et des bâtiments », préconise la Chambre. Mais surtout, devra faire preuve de moins de laxisme dans ses dépenses, et surtout ne plus laisser passer l’occasion de récupérer des recettes : un je-m’en-foutisme détaillé sur 44 pages… (Lire Rapport CRC 2018)
Prés d’un million d’euros à récupérer sur 3 opérations
Premier exemple : en 2013, la commune a bénéficié d’un financement de 125.000 euros pour réaliser l’adressage, « un financement non utilisé, devenu caduc en 2017, le produit de la taxe d’habitation s’en trouve réduit »…
Les magistrats de la Chambre évoquent aussi de nombreuse « lacunes » dans la gestion des recettes : le fonds de soutien de l’Etat à la réforme des rythmes scolaires de 90 euros par élève versé depuis 2014 à toutes les communes, a bien été encaissé, mais la commune n’a pas vérifié son effectif d’élèves qui était bien supérieur aux montants versés, « le manque estimé est de 372.060 euros ». Ça peut se rattraper selon la Chambre.
Idem sur les emplois aidés : l’Agence des services de paiement (ASP) a versé 92.205 euros au titre de leur formation en 2016, alors que la commune a payé plus de 480.000 euros pour leur formation. Une perte de 400.000 euros. La Chambre rappelle que des structures comme le Centre de gestion ou le CNFPT peuvent assurer ces formations. Sur ces 3 « oublis », prés d’un million d’euros est à récupérer !
Avec beaucoup d’ironie, les magistrats titrent « la commune ne veille pas à ses intérêts », sur les transferts de personnels municipaux chargés de la collecte au SIDEVAM 976. D’accord, lesdits personnels s’étaient mis en grève refusant ce transfert, et acculant le maire Assani Saindou Bamcolo, mais d’un autre côté, ledit maire est le président de ce SIDEVAM, or, il a « continué à rémunérer les agents pour le compte du syndicat ». Les tribunaux ont même condamné la commune, « faute de défense ».
« 13, 14, 15… bass »*
Les fragilités de la commune concernent aussi la gestion des ressources humaines. Les emplois aidés et les contractuels représentent maintenant plus des trois quarts des agents, or, légalement, ils ne peuvent durablement remplacer un emploi lié à l’activité normale de la société. Le maire aurait-il été un visionnaire des volontés Macronienne ?…
En matière de gestion des agents, celle de l’état civil est croustillante : il s’agit d’un des inculpés dans l’affaire des fausses facturations à Mtsangamouji, dont la mise à disposition gracieuse par le Département avait pris fin en 2013… « tous les actes signés postérieurement pourraient être reconnus irrégulier ».
Venez habiter à Koungou, il fait bon y être parent ! Le Supplément familial de traitement (SFT) accordé aux agents en fonction du nombre d’enfants à charge, représente 7% des charges de la commune en 2016, il est en effet de 4.284€ par agent, le double de la moyenne des autres communes. Et pour cause : un agent ayant déclaré 15 enfants à charge a perçu 1.753 euros de SFT pour un salaire de 1.504 euros, mais l’attestation des droits aux allocations familiales ne porte de sur 4 enfants, avec « des justificatifs anciens, voire expirés », et « deux enfants sont comptés deux fois avec des mères différentes ». Le versement devrait être ramené à 312 euros selon la CRC, « le trop versé est de 17.000 euros par an ». A multiplier par le nombre d’agents… on arrive à une somme de 300.000 euros, « sur la base des autres communes mahoraises ».
La bibliothèque comme vernis
Du côté des abus sur les subventions, on n’arrive pas à la cheville du conseil départemental, mais avec un peu de persévérance… Sur 800.000 euros de subventions versées aux associations sur la période 2014-2016, la principale bénéficiaire est l’Amicale des usagers de la bibliothèque, 309.950 euros, avec un mode de fonctionnement sujet à contentieux : avec comme activité principale le Festival de Koungou (curieux !) et un méli mélo de moyens avec le budget communal, sans contrôle de comptes pour ce niveau de subvention.
En matière de marché, l’absence d’un service dédié à la commande publique, là encore pour la 2ème plus grosse commune de l’île, laisse place à toutes le dérives : « les travaux, fournitures et services sont commandés par chacun des services concernés ». De ce fait, « le nombre de marchés conclu est anormalement faible puisque 27 opérations ont fait l’objet de marchés publics entre 2013 et 2016 », plus de 70% concernent des travaux pour lesquels la commune se repose sur un maître d’œuvre aux pouvoirs exorbitants.
En découle une absence de mise en concurrence : « Elle est le mode de fonctionnement habituel de la collectivité ». Cinq sociétés bénéficient du système, « deux d’entre elles ont réalisé pour plus de 1,5 million d’euros de travaux sur la période 2013-2016 sans aucune mise en concurrence. »
La gestion du foncier laisse à désirer, notamment « la commune n’agit guère contre les constructions illégales, estimées à environ 3.000 », et « passe outre la plupart des refus de permis de construire émis par la DEAL. »
En résumé, « l’absence de mise en concurrence, le non respect des seuils de procédure et de publicité et le fonctionnement irrégulier des achats pourraient engager la responsabilité de la commune ». Nous avons interrogé le maire de Koungou sur tous ces sujets, à lire dans un prochain article.
Sur cette période, c’est Abdou Salam Baco qui tenait les manettes en tant que Directeur général des Services, il a quitté son poste en 2016. Celle qui lui succède Ketty Gob-Grantor fera-t-elle mieux, ou plutôt moins bien dans le laxisme ?!
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* En référence au slogan de planification des naissances « 1,2, 3… bass » il y a 10 ans (pas plus de 3 enfants)