Le déplacement de la délégation de trois hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, poursuivait plusieurs objectifs : la présentation du projet de loi sur la justice qui devrait être appliqué dès l’année prochaine, et les échanges avec les personnels judiciaires et les acteurs institutionnels locaux sur les diverses questions de justice à Mayotte.
On se souvient que la réforme de la justice avait été accueillie par les avocats à coup de tracts à Mayotte comme en métropole, dont le bâtonnier Me Idriss qui avait dénoncé une logique purement économique », avec notamment « la suppression de certaines juridictions, et la fusion des Tribunaux d’Instance et de Grande Instance, une volonté de déjudiciarisation à grande échelle, avec une privatisation de la justice, et une dématérialisation qui aboutira à la fin des audiences et un traitement robotisé des affaires ».
La délégation présentait ce jeudi à la presse le projet de loi de réforme comme une simplification des procédures et un renforcement des moyens, « un montant de 1,6 milliard d’euros supplémentaire sera dégagé ».
Concrètement, il s’agit de fondre des juridictions, comme les TGI et les Tribunaux d’Instance, de remplacer la Cour d’Assises par un « tribunal criminel », de réduire les distorsions entre les peines prononcées et celles qui sont réellement exécutées, de développer les alternatives à la prison notamment au moyen de bracelets électroniques ou de travaux d’intérêt général, de prohiber les peines inférieures à un mois, de développer la visioconférence pour alléger certaines procédures comme les extractions judiciaires, et les plaintes pourront être déposées en ligne.
La paix sociale, une donnée judiciaire ?
Ce qui suppose de régler plusieurs problèmes à Mayotte, comme ont fait remonter les personnels, « ce matin, la Chambre d’Appel nous a remonté un problème sur un logiciel de traitement des contentieux, le bâtonniers nous a fait part de ses difficultés, nous allons faire remonter les doléances », Peimane Ghaleh-Marzban se voulait rassurant.
Valérie Delnaud assurait que les problématiques de Mayotte seraient prises en compte : « Nous devons aborder les spécificités de votre île dans l’application des nouvelles procédures ».
Le contexte Mahorais, notamment la récente crise, a rattrapé la délégation : « Nous avons compris que les questions de séjour irrégulier remplissaient le quotidien des acteurs de terrain, et que le maintien de la paix sociale était une donnée importante. » Un sujet qu’il aurait été intéressant de développer, car à trop vouloir la préserver, la paix sociale peut basculer en guerre sociale… « Un déplacement trop court », glissera Rémy Heitz.
Rappelons que les demandes de la préfecture de prolongation de séjour au CRA, qui avait provoqué l’ire du syndicat de la magistrature locale, en particulier sur des procédures vouées à l’échec en raison de l’impossibilité actuelle de reconduites, mais qui mobilisaient une foule de personnel pour rien, « un mouvement isolé et marginal », expliquait le procureur Miansoni, qui s’expliquait sur la forme, « nous avons été saisis, donc les audiences doivent se tenir. »
Le nouveau procureur général cible la délinquance financière
Se pose aussi la question de trouver un cadre juridique ou non aux collectifs de surveillance des quartiers, qui ont obtenu des résultats significatifs en terme de chute de la délinquance, mais dont des débordements ont été constatés : « Il faut tirer les conclusions de leur action, mais aussi évoquer les limites de ce type de collectifs, il est important que les lois de la République s’appliquent. »
Les avocats n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent dans ce projet de loi, « on simplifie les recours pour ceux qui auront fait l’objet d’écoutes téléphoniques abusives », rapporte Remy Heitz. Lors de leur rencontre ce mercredi à 19h, ils ont surtout fait remonter leurs difficultés locales, comme l’explique au JDM Me Ahmed Idriss, le bâtonnier : « Nous leur avons expliqué qu’avec une surmobilisation des avocats sur les procédures pénales, nous ne pouvons pas assurer le traitement des affaires civiles ». Eu égard à son activité, le barreau semble sous-dimensionné, « vous devriez être 100 ! », leur aurait lancé Peimane Ghaleh-Marzban, quand ils ne sont que 36. Un problème d’attractivité là encore.
Le nouveau procureur général de la cour d’Appel de Saint-Denis (La Réunion) était de la partie. Pour les médias locaux, Denis Chausserie-Laprée est revenu sur le discours d’installation prononcé quelques jours plus tôt chez nos voisins réunionnais : « Mon action aura trois priorités, la prise en charge des mineurs, pour laquelle j’ai rencontré le président du conseil départemental de Mayotte, la délinquance économique et financière, dont il faut réduire les délais de traitement pour prendre en compte un grand nombre d’affaires, notamment évoquées par la Chambre régionale des Comptes dernièrement, et les violences faites aux femmes. » Le juge d’instruction qui sera notamment chargé de la délinquance en col blanc, arrive comme prévu en septembre.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com