L’Etablissement public foncier s’attaque à la bulle foncière à Mayotte

L’Etablissement Public Foncier, qui gère aussi l’Aménagement à Mayotte, n’est pas un magicien qui sortirait des terrains de son chapeau. Mais bien que ses moyens soient pour l’instant limités, il apporte déjà beaucoup à la régulation foncière. C’est ce qu’est venu expliquer Jacques Touchefeu, président du conseil d’administration de l’EPFAM, venu fêter le 1er anniversaire d’implantation de la structure à Mayotte.

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Au bout d’un an de fonctionnement, une première certitude pour Jacques Touchefeu, « le foncier n’est pas rare à Mayotte », prenant le contrepied de la croyance populaire. Trois grosses problématiques freinent sa libération : les nombreuses indivisions, la présence d’habitat illégal, et les gros propriétaires terriens qui veulent logiquement tirer le meilleur bénéfice de leur bien. Mais au prix de montants fantasmés, que les élus ne perçoivent pas toujours comme tel : « Certains se tournent vers nous pour que nous réalisions l’opération à leur place, et à des prix qui ne leur permettraient pas de revendre ou de valoriser ensuite leur investissement ».

Yves-Michel Daunar, le directeur général de l’EPFAM, cite l’exemple d’une parcelle à Longoni pour un foncier à vocation sociale sur le projet de rénovation urbaine, « elle est à la vente à 200 euros le m2 », pire à la ZAC Hamaha, « à 300 euros », des terrains viabilisés mais qu’il est impossible ensuite de valoriser.

Il indique que le prix moyen d’un terrain agricole est de 25 euros le m2,  de 5 euros à 80 euros. Des prix affichés qui cassent le marché, beaucoup vont déchanter, mais pour l’Etat, l’EPFAM et les collectivités locales il s’agit de proposer du foncier à des prix supportables pour les agriculteurs.

Une sorte de bulle foncière s’est donc créée, et qui ne peut éclater que si les élus pensent leur aménagement « en terme de modèle économique, et de manière globale, à l’échelle du territoire, pour rentabiliser leur investissement par de multiples utilisateurs. » Il faut donc pouvoir mobiliser un foncier qui est bien présent, « ce n’est pas le foncier brut, mais le foncier aménagé qui manque. »

Pour éviter la cohabitation collège et prison…

La carte derrière Jacques Touchefeu détaille les opérations d’aménagement

L’Etablissement Public Foncier qui se charge d’Aménagement à Mayotte comme en Guyane, contrairement à la métropole où chaque pôle, Foncier avec l’EPF et Aménagement, avec l’EPA, est bien distinct, ne fait pas « à la place », mais « avec » : « L’EPFAM porte des terrains pour le compte d’un autre opérateur, et les viabilise ».

Il ne les achète pas toujours, il peut en faciliter l’acquisition en négociant le prix estimé par France Domaine, « c’est ce que nous faisons pour le vice-rectorat sur les projets de construction d’établissements scolaires. »

C’est avec des premières billes que l’EPFAM souffle sa première bougie ce 21 juin. Huit opérations d’acquisition de terrain portant sur 360 hectares au total, sont dispatchées sur l’ensemble de l’île, « dans les communes qui nous ont contactés ». Mais l’EPFAM ne fait pas du coup par coup, au petit bonheur la chance, « tout est pensé dans une logique de cohésion entre les structures implantées ». Pour éviter par exemple qu’un collège se retrouve derrière la prison ?!…

Sur les 8 opérations menées, on peut citer les 90 ha sur Dembéni, qui seront prêts à accueillir 1.500 logements pour l’opérateur qui sera intéressé, et en opérations d’aménagement, les 40 ha d’un site touristique tourné vers la mer à Hanyoundrou, les 80 ha de Longoni, à la fois tournés vers le développement urbain et agricole. A ce sujet, l’EPFAM propose des préfinancements européens de projets agricoles, et vérifie leur bonne utilisation.

L’EPFAM montre les dents en cas de refus

Yves-Michel Daunar donnait les prix exorbitants, peu compatibles avec l’aménagement de logements sociaux

Difficile de faire plus en acquisition foncière, car le budget n’est pas extensible en l’état : « Nous sommes financés par une taxe additionnelle sur les impôts fonciers payés par les habitants. Mais si elle avoisine les 15 euros par habitant sur la Petite Couronne à Paris, elle n’est que de 50 centimes ici », indique Jacques Touchefeu. Le budget n’est donc que de 400.000 euros, que l’Etat complète par une dotation de 3 millions d’euros. Le préfet a d’ailleurs confirmé au JDM une montée en puissance de l’EPFAM. Et avant de penser à augmenter les recettes, donc la fiscalité, il faut apporter des preuves tangibles de l’utilité de la structure, « surtout en permettant aux mahorais de se loger à des prix abordables ». Leurs capacités d’aménagement sont telles qu’ils peuvent concrétiser des opérations de 3.000 logements, « dont certains en auto-constructions, avec une partie réalisée par une entreprise, et l’autre par le propriétaire pour diminuer les coûts. Sans cela, on prend le risque de pérenniser les constructions de bangas en tôle. »

Pour transformer les rêves en réalité, l’EPFAM s’est attaqué en priorité au foncier « balisé », c’est à dire, rapidement mobilisable, « où il n’y a pas trop d’habitations illégales ». Mais sur certains sites, ça coince toujours, notamment pour la 3ème retenue collinaire de l’Ouroveni, « mais personne ne nous a sollicité sur ce dossier ! », ils sont donc en attente d’une demande du Sieam, le Syndicat des Eaux.

Quand la négociation à l’amiable ne marche pas, la préemption ou la Déclaration d’utilité publique, restent les armes numéro un, la demande a d’ailleurs été déposée auprès de la préfecture sur le dossier de la retenue collinaire, mais des outils de pression encore peu utilisés à Mayotte.

L’avenue des Crêtes pour contourner Mamoudzou

La ZAC du Soleil levant

L’un d’entre eux est le très attendu contournement de Mamoudzou, dont on craint toujours l’abandon ou la trop faible participation de l’Etat comme ce fut annoncé à Paris en mars dernier. Or, aucun investissement n’a été effectué dans le réseau routier depuis 20 ans alors que la population a doublé pendant ce temps. Les dirigeants de l’EPFAM nous ont rassurés, « cela va se faire ». Appelé désormais « Avenue des Crêtes », par Jacques Touchefeu et Yves-Michel Daunar, qui y travaillent, en nuançant, « il ne faut pas répéter les mêmes erreurs qu’à La Réunion ».

Mais tout cela ne pourra se faire sans les élus, « qui doivent porter une vision stratégique du territoire », et leur volonté de débloquer du foncier sur un territoire ou le conseil départemental grand propriétaire terrien, mais qui ne le libère pas facilement.

Pour finir, un outil supplémentaire doit arriver sur le territoire, tel que l’avait annoncé le premier ministre : l’OIN, l’Opération d’Intérêt National : « L’Etat définit les périmètres stratégiques pour le département, qualifiés alors d’intérêt national, et achète ces terrains. » Les zones d’intérêt stratégiques devraient être définies rapidement, alors que celui qui aurait déjà dû définir leur périmètre, le Schéma d’aménagement Régional (SAR), « ne sera opérationnel que dans deux ans et demi. Nous travaillons donc sur les deux outils simultanément ».

Un foncier pas rare donc, mais peu disponible, l’EPFAM va l’éprouver pour s’attaquer maintenant aux situations plus complexes. Mais avec des outils que personne ne maniait jusqu’alors.

Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com

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