Piste longue, prix des billets… le directeur de l’aéroport Yves Christophe sans détour

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Le JDM : Depuis votre arrivée le 1er novembre 2016, quelles transformations avez-vous supervisées en tant que directeur de la Société d’exploitation de l’aéroport de Mayotte
(SEAM) ?

Yves Christophe : « Tout d’abord, l’externalisation de la sûreté vers une société privée dont c’est le métier, Mondial Protection. Nous sommes alors passés de 90 à 40 salariés à partir du 1er septembre 2017. A partir d’une certaine taille d’aéroport, les services doivent être spécialisés, et nous atteignions alors presque les 400.000 passagers. La crise sociale a fait ensuite chuter la fréquentation alors que nous tablions sur une croissance de 5% sur le premier semestre 2018. Les personnes qui avaient réservé leur séjour ont anticipé leur départ, d’autres ont annulé.
La seconde évolution porte sur la mise en place de ‘lits d’arrêt’ de sécurité à chaque extrémité de la piste, nous avons reçu l’assurance que les banques vont s’engager. »

Les lits d’arrêt, un dossier de longue haleine sur lequel s’était expliqué votre président Gérard Mayer, en expliquant que l’impact financier sera finalement assumé par les passagers. A-t-on l’assurance que tout soit bouclé avant la fin de l’année 2018, comme la réglementation nous y oblige  ?

L’aérogare de Mayotte

Yves Christophe : « Le financement des 13 millions d’euros de l’installation des lits d’arrêt, reste à l’identique : 500.000 euros de l’Etat et la même somme du conseil départemental, à noter que ce dernier perçoit chaque année 4,50 euros de taxe d’embarquement par passager, soit un million d’euros par an. Le gestionnaire EDEIS, va emprunter 9 millions d’euros, qui sera récupéré sous forme de redevance impactant le prix des billets d’avion, les 3 millions d’euros restant viennent du fonds FEDER. Sauf que le délai pour obtenir ce fonds européens, s’allonge. Alors que le dossier était sur le bureau du SGAR depuis février, nous n’avons reçu la réponse que fin mai. Doublé d’erreurs dans le remplissage des dossiers. Rappelons que par un tour de passe-passe du temps du préfet Morsy, la somme qui devait nous être affectée est partie au port, qui bénéficie sur le dernier CRUP* d’une nouvelle enveloppe. J’ai averti que si nous manquions le coche cette fois encore, au 31 décembre, on pouvait dire adieu aux 737, et revenir aux petits porteurs ! Nous sommes limites en dates, mais sauf fortes pluies, tout devrait être bouclé avant le 31 décembre. »

« Pas de volonté de l’Etat d’allonger la piste »

La ministre évoque une « étude » pour l’allongement de la piste, doit-on comprendre que le projet est définitivement enterré ?

Yves Christophe : « La piste longue ne se fera pas d’ici 2026 car elle n’est pas inscrite à la Délégation de Service Publique remportée en 2011 par Lavallin, maintenant EDEIS, qui se termine à cette date. Tout simplement parce qu’il n’y avait pas de volonté de l’Etat de la faire. Il se désengage d’ailleurs à l’échelle nationale de tous les grands ouvrages, autoroute, chemin de fer, aéroports externalisés, et ne veut plus de Grand Port Maritime. Lorsque l’on regarde en arrière, on voit que la construction d’une piste longue à Tahiti était destinée à mener les essais nucléaires à Mururoa, qu’en Guyane, c’est Kourou qui l’a imposée, et que dans les années 70-80, la Nouvelle Calédonie en a été dotée, car le nickel abondait les caisses du territoire. A La Réunion ou aux Antilles, la forte démographie et un pouvoir d’achat conséquent, notamment lié à un tourisme rassuré par la stabilité de ces îles, a permis de rentabiliser ces infrastructures aéroportuaires. Et, ce qui ne gâche rien, à La Réunion, la région est actionnaire de l’aéroport en plus de l’être d’Air Austral.
Mayotte dans tout ça arrive trop tard. Quand ces politiques structurelles ont été menées, il n’y avait que 15.000 voyageurs par an, c’est très peu, ce qui avait malgré tout valu l’allongement de la piste de 1.350 m aux 1.930 m actuels en 1995. Dans cette période de désengagement de l’Etat, l’économie mahoraise est encore trop balbutiante. »

Le kérosène impacte moins que la concurrence

Les possibilités d’agrandissement de l’aérogare

Dans la même mesure 37, on parle d’agir sur le prix du billet. Par quel procédé ?

Yves Christophe : « S’il s’agit de diminuer le prix du kérosène, c’est insuffisant. En le baissant de 10% quand il pèse pour environ 40% du prix du billet, la diminution sera de 4%, ridicule sur un billet à 800 euros. La seule façon d’infléchir les prix, c’est la concurrence, et donc l’allongement de la piste. Mais le transport dépend désormais d’un ministère couplé avec l’Ecologie, donc peu enclin à empiéter sur le lagon.
Et pour s’éviter cette dépense, l’Etat s’abrite derrière l’idée que les avions sont de plus en plus performants, mais ils doivent malgré tout opérer des arrêts techniques pour se ravitailler, à Tananarive pour Corsair, et à Nairobi pour Air Austral. De plus, la taille des avions va suivre l’accroissement du nombre de passagers, il faut donc une piste de 2.500m à 3.000m.
Dans cette mesure du plan d’actions, il est évoqué un rallongement sur la partie terrestre, mais on oublie qu’il y a un village, et gagner au bas de la colline ne fera pas atterrir un avion qui la survole, plus tôt. »

Y a-t-il d’autres investissements dans les cartons ?

Yves Christophe : « Cet aéroport est prévu pour accueillir 600.000 passagers, mais étalés sur la journée. Or, les avions qui arrivent de métropole décollent tous le matins ou le soir, et engorgent l’accueil aux mêmes heures. D’autre part, les indicateurs économique de l’île devraient repartir à la hausse, il faut donc anticiper une montée en puissance de la fréquentation, et prévoir dans la prochaine DSP une extension symétrique de l’aérogare et un parking à avions proche du Centre d’Affaires.
La société Eden Island du réunionnais Akbaraly porte le projet de l’hôtel de gamme de type Campanille, avec piscine, prévu pour le deuxième semestre 2018.
Le Centre d’Affaire, dans les locaux de l’ancienne aérogare, a fait le plein avec l’arrivée du Parc Naturel Marin, et l’ex SEAM cèdera la place à un petit centre commercial, avec des boutiques de vêtements, une salle de sport et des bureaux à l’étage. »

Yves Christophe quittera Mayotte le 28 juillet « avec beaucoup de regrets », et « pour des raisons personnelles », et va retrouver le doux climat de Bordeaux où il fut commandant de la brigade aérienne de 2008 à 2012. Il y poursuivra son activité de consultant dans le monde aéronautique civil et militaire. C’est son adjoint Gauthier de Malet, qui lui succède.

Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com

* CRUP : Le Comité Régional Unique de Programmation se réunit au cours de plusieurs sessions, selon un calendrier pré établi, suivant les différents types de fonds

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