L’illettrisme* est un fléau qui plombe non seulement le niveau scolaire à Mayotte, mais aussi le quotidien de nombreuses personnes : « La lutte contre l’illettrisme, c’est livrer un combat pour l’accès aux droits, car toutes les démarches passent par internet aujourd’hui, mais encore faut-il maîtriser la langue française », déclarait Patrick Bonfils, Directeur de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale à Mayotte (DJSCS).
Il donnait le ton de la première des Journées nationales d’action contre l’illettrisme, qui portait ce samedi matin sur « Les pratiques sociales autour de l’écrit, quels apports pour les savoirs de base ? ». On échangeait notamment sur la « littératie », l’aptitude à lire, à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie quotidienne.
Un débat concret donc, où il apparaissait que de multiples expériences sont tentées sur le terrain, et beaucoup réalisées auprès du jeune public et de leurs parents. Et le prisme a changé puisqu’on s’appuie désormais sur les acquis, même minimes, de l’apprenant, ainsi que l’expliquait la chef de projet de la plateforme de lutte contre l’illettrisme, Fatima Assani : « Beaucoup vivent déjà le plurilinguisme puisqu’ils ont appris l’arabe dans une école coranique, ils ne sont pas sans compétence. Il faut les valoriser pour passer au français et à l’écrit. »
Citées à de multiples reprises, les écoles coraniques gardent donc tout leur intérêt, avec notamment le travail de mémorisation qu’elles imposent lors de l’apprentissage par cœur des versets du Coran, « elles ont favorisé l’apprentissage théorique », remarquera Frédéric Jardin, le chef de corps du Régiment du Service Militaire Adapté (RSMA).
« 4 jeunes illettrés sur 10 sont diplômés »…
Mais un débat se lançait : si le travail pédagogique doit prendre en compte les compétences des apprenants, faut-il passer par les langues locales ou enseigner directement en français ? Autrement dit, jusqu’où l’apprentissage doit-il s’adapter au public ?
Si le « A » de RSMA sous-entend l’adaptation de la formation au territoire, pour le militaire Frédéric Jardin, « on ne transige pas avec la règle, le shimaoré et le shibushi ne sont pas autorisés pour l’apprentissage chez nous, car la formation doit pouvoir se poursuivre ensuite à La Réunion ou en métropole. » Il exposait des chiffres qui font froid dans le dos : « En 2017, 600 jeunes sont passés par notre dispositif, dont 40% étaient illettrés, et parmi ceux-ci, 40% étaient diplômés ! C’est inquiétant. » Un échec du système scolaire qui force à s’interroger. « Il faut redonner aux jeunes l’envie de s’auto-former. »
Lorsque nous avons appris une langue étrangère au cours de notre scolarité, valait-il mieux l’apprendre par un prof français ou bien par un anglais, un espagnol ou un italien, selon la langue choisie ? Et être immergés dans une famille parlant cette langue de retour à la maison.
Il faut trancher car les résultats ne sont pas bons, « à Mayotte, le taux d’illettrisme est de 49,5% », rapportait Pascal Ferrié, en charge du Dispositif éducatif du conseil départemental, qui colle à l’interculturel, « nous partons de l’existant, du rapport au fundi dans les écoles coraniques, en prenant en compte le mode d’expression de nos jeunes avec l’utilisation du Smartphone. »
Une question de plaisir
Face à l’état des lieux, des parents sont épaulés pour suivre la scolarité de leurs enfants, notamment grâce aux actions de l’Agence Régionale du Livre et de la Lecture (ARLL), comme l’expliquait sa passionnée directrice, Juliette Vathelet : « Cela fait parti de la problématique de la parentalité. Or, beaucoup de parents non lecteur ne se sentent pas à leur place. On leur explique que c’est une question de plaisir, et que s’ils regardent juste les images avec leurs enfants, c’est déjà bien. »
Plusieurs actions innovantes sont mises en place par l’ARLL : « 16 volontaires de service civique que nous venons de former, vont investir les dispensaires de Mayotte dès lundi, pour proposer pendant 8 mois des malles de lecture aux enfants dans les salles d’attente. Et nous avons mis en place des accompagnements des bibliothèques de rue dans des quartiers prioritaires depuis un an, appuyés par la Politique de la ville et la DJSCS. »
Une fascination source d’inhibition
Les bibliothèques sont leur champ d’investigation pour diffuser le plaisir de lire, avec notamment l’opération Wababoufous, qui fait revivre ce groupe de bibliothécaires créé dans les années 2000, qui enchainent lectures de contes et spectacles tous les premiers mercredis du mois, ou Msomo na Dangadzo, qui invite les jeunes lecteurs à voter pour leur album préféré, « et ils ont écrit un petit carnet de chant en langue locale, car le français et les langues maternelles sont complémentaires. »
On revient sur ce sujet central des langues avec Mlaïli Condro, linguiste et président de l’Institut de coopération régionale et Européen de Mayotte : « Je n’aime pas parler de lutte contre l’illettrisme, mais de promotion de la langue française avant tout. Pour ça, il faut évacuer les images qu’on a construites autour de chaque langue. En mettant le français sur un piédestal et comme un passage obligé, on a créé une fascination source d’inhibitions. On est d’accord que l’accès au marché de l’emploi passe par le français, mais prenons le temps de l’enseigner avec plaisir avant. Il faut promouvoir les langues locales comme les autres, et valoriser la maîtrise de l’arabe écrit. Et présenter le français comme une source d’enrichissement, j’ai le plaisir d’aller vers le texte ou le chant avec cette langue. Mais pour cela, il faut mobiliser toutes les forces du territoire, et implanter des bibliothèques de rue dans toutes les communes. »
Les Journées se poursuivent (Voir Programme des journées illettrisme 2018)
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Allophone Personne dont la langue maternelle est une langue étrangère, dans la communauté où elle se trouve.
On parle d’Illettrisme pour des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante.