La musique ou les chauve-souris : bienvenu dans le monde de la mathématique de Cédric Villani

Même les non matheux ont entendus parler de lui, peut-être seulement pour son look désuet des années 70 (il avait d'ailleurs délaissé sa lavallière de soie), ou mieux, pour sa médaille Fields, la plus haute distinction mondiale en mathématiques, l’équivalent pour les maths, du Nobel. Ou encore plus fort pour les travaux menés par Cédric Villani, mais là, c’est un domaine d’initié où l’on parle de géométrie différentielle ou d’équation de Boltzmann. Il est actuellement à Mayotte.

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Démonstration de pendule avec sa montre à gousset par Cédric Villani

Ce n’est pas de théories complexes que Cédric Villani, professeur de mathématiques à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, directeur de l’Institut Henri Poincaré, et député LREM de l’Essonne, est venu parler à Mayotte, mais de modélisation mathématique. Il s’agit d’observer des phénomènes de la vie courante, comme l’augmentation d’une population, et de les mettre en équations, réutilisables : « Le malentendu, c’est de voir la mathématique (il en parle toujours au singulier, ndlr) comme compliquée, en réalité, c’est le monde qui est compliqué. Nous essayons donc de le simplifier jusqu’à des équations utilisables », expliquait-il ce jeudi soir au Centre Universitaire, à un public conquis.

S’en sont suivis des démonstrations toutes plus intéressantes les unes que les autres, et d’une grande clarté.

Qui dit modélisation, dit modèle. Pour exemple, celui de la croissance de la population chinoise avait été mis en équation, « pour mettre au point la politique de l’enfant unique ». Mais pas facile de concentrer dans des x, des y ou des z, l’ensemble des données. C’est le cas du grand Pythagore qui a « mis la musique en nombre », en divisant par exemple la longueur d’une corde de musique par deux, « le sol que vous aviez joué sera obtenu dans son octave supérieur. Mais on s’est aperçu ensuite que le son variait avec la pression atmosphérique ».

La modélisation implique donc « une très bonne connaissance du phénomène réel ». Cette fois c’est de Galilée dont on parle : « Il avait compris que la fréquence des oscillations du pendule ne dépend pas uniquement de sa masse, mais aussi de la longueur du câble », rapporte Cédric Villani, en faisant balancer sa montre à gousset, on est projeté un court instant dans une chaire d’enseignement du XVIIIème siècle.

Modélisation des avions sans ailes

Le Colloque avait commencé en chansons, appréciées de Cédric Villani

Modéliser, modéliser, ce n’est pas toujours facile, « de grands scientifique se sont fourvoyés, c’est le cas de Lord Kelvin, pourtant le plus grand physicien du monde ». En voulant calculer l’âge de la Terre, il aboutit à 60 millions d’années, loin des 4,5 milliards d’années, calculées par la communauté scientifique depuis. « L’erreur ne vient pas des maths, mais du postulat que la terre était un solide, alors qu’elle est formée de fluides ». Mayotte fait d’ailleurs son expérience magmatique.

Parfois même, il s’agit de déjouer les apparences. « Lorsqu’il a fallu renforcer certaines zones de carlingues des avions de combat pendant la 2ème Guerre mondiale, on a commencé à élaborer des statistiques sur les parties touchées. Quand les mathématiciens ont expliqué qu’il fallait au contraire s’intéresser aux autres parties de l’avion, celles qui ne sont pas constatées sont sûrement à l’origine de la chute d’avions qui ne sont jamais revenus. »

Cédric Villani note qu’il y a de moins en moins de limite à la complexité des modèles, « on le voit avec celui de la collision des trous noirs pour observer les ondes gravitationnelles ». On arrive même à reproduire des modèles sans les comprendre, « c’est le cas des voitures qui avancent sans chauffeur sans qu’on ait étudié la méthode de conduite ». Avec le risque d’une « grande humiliation », dans le cas où on arriverait à se dire, « finalement, les modèles on s’en fiche, le plus importants, c’est d’additionner des exemples ! ».

La chauve-souris chante pour ne pas sombrer

Le mathématicien met la chauve-souris en équations

Dernière modélisation qu’il avait proposée dans un moment de surbooking après l’obtention de sa médaille Fields, en 2010, « la mathématique de la chauve-souris ». Le génie note ses deux particularités : leur vol, « erratique par rapport aux autres oiseaux », et l’écholocation, ce signal que ce volatile aveugle envoie pour connaître sa position, et qui lui revient après avoir buté sur un obstacle par exemple, « grâce au temps mis par ce retour, elles sait à combien de distance elle est d’un objet ». « Mais on nous expliquait qu’un signal ne peut pas être à la fois localisé en temps, et en fréquence. Donc comment fait-elle pour à la fois localiser en continu l’insecte mobile qu’elle va manger ?

Comme pour l’effet Doppler, cette déformation du son que l’on connaît lorsque passe une ambulance, la chauve-souris va émettre des sons oscillants, « elle envoie des chants pour se localiser en temps et en fréquence. Elle a découvert la théorie des Ondelettes ! Avec une efficacité à 95%. »

Lorsqu’un tel agitateur de neurones est dans les parages, il ne faut pas le manquer, l’amphithéâtre n’était malgré tout qu’à moitié rempli au CUFR de Dembéni. Les enseignants de maths de l’île pourront profiter d’une séance ce samedi à 7h au collège Kwalé de Passamainty, lors d’une conférence pratique sur la modélisation, dans le cadre de la Fête de la Sciences.

Les personnes intéressées peuvent venir sur place dès 7h pour s’inscrire.

Anne Perzo-Lafond

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