« Punis parce qu’ils sont pauvres ». Le rapport qu’Amnesty International vient de rendre public n’y va pas de main morte avec le système judiciaire de nos voisins malgaches. Selon une vaste enquête de l’ONG, le pays aurait recours de manière systématique à la détention provisoire pour plusieurs crimes et délits. A tel point que les condamnés sont désormais moins nombreux que les détenus en attente de jugement.
« L’attente de ces détenus peut durer des années, peut-on lire dans le rapport qui fait plus de 120 pages. Cette pratique a abouti à une situation insolite, à savoir que les détenus des établissements pénitentiaires malgaches sont plus nombreux à ne pas avoir été condamnés qu’à avoir été jugés coupables. Le recours injustifié, excessif et prolongé à la détention préventive arbitraire à Madagascar est à l’origine d’un large éventail de violations des droits humains. » Selon Amnesty cette pratique « a des répercussions catastrophiques sur l’efficacité du fonctionnement de la chaîne pénale ».
Pourtant, comme en France, la loi malgache prévoit que la détention provisoire doit rester exceptionnelle. Pourtant « en octobre 2017, plus de la moitié (55 %) de la population carcérale n’avait pas encore été jugée » note Amnesty qui dénonce en outre des conditions de détention qui « sont misérables et s’apparentent clairement à une forme de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant « . D’autant que cela « gaspille les ressources
publiques et met en péril la santé et les droits des détenus, de leurs familles et de leur entourage » pointe le rapport. De nombreux cas de malnutrition des détenus ont été constatés, faute de moyens pour nourrir tout le monde dans les prisons.
Les détenus en détention provisoire sont presque exclusivement des hommes adultes (91%) mais des femmes, notamment enceintes, et des mineurs, sont aussi concernés.
Les faits qui leurs sont reprochés sont eux-aussi variés. Si l’on retrouve sans surprise des crimes tels que le meurtre, ou des délits particulièrement sensibles à Madagascar, comme le vol de bétail, des « infractions mineures et non violentes » sont aussi invoquées pour des détentions provisoire. L’ONG a répertorié des détenus en attente de jugement pour des vols de volaille, de téléphone portable ou pour des falsifications de documents administratifs.
Des enfants en prison
L’ONG a réalisé une enquête de terrain lors de laquelle des magistrats ont reconnu ces pratiques. Celle-ci a aussi révélé que « la majorité des personnes en détention préventive qui ont répondu au sondage d’Amnesty International étaient pauvres, issues du milieu rural, n’avaient pas été scolarisées de manière classique et connaissaient mal leurs droits. » La détention provisoire dure parfois jusqu’à trois ans.
Outre la détention provisoire des suspects, Amnesty déplore le maintien en détention de leurs proches, notamment des enfants incarcérés avec leur mère, parfois nés en détention.
Contacté par Amnesty, le ministre de la Justice malgache a répondu en reconnaissant « des problèmes liés à la surpopulation carcérale » et invoque « la croissance démographique et l’augmentation du taux de criminalité ». Dans son courrier, il affirme que des mesures sont prises pour lutter contre cette surpopulation, et que le budget de l’administration pénitentiaire est « en augmentation constante ».
Pour Amnesty, « La corruption et le sous-financement ont mené le système au bord du gouffre. Il est temps que les autorités malgaches réforment les appareils judiciaire et
carcéral du pays. Amnesty International recommande que la police et les tribunaux cessent d’envoyer aveuglément des personnes en prison en attendant leur jugement et fassent usage des solutions de substitution prévues par la loi. Les autorités doivent réduire la grave surpopulation carcérale et respecter les droits humains de la population à Madagascar. »
Y.D.