Une visite précieuse que celle du rapporteur spécial au budget Outremer à l’Assemblée nationale qui est venu évaluer le Plan d’urgence pour Mayotte dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques de l’Etat. Le parlementaire LREM est également président de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée Nationale.
Le JDM : Qui avez-vous rencontré pendant votre mission de 4 jours ? Et quels premiers constats en tirez-vous ?
Olivier Serva : « J’ai rencontré tout le monde. Les élus, les différents collectifs, les services de l’Etat… Une visite que j’avais préparée avec les parlementaires de Mayotte.
Je note d’abord des éléments positifs : il n’y a pas de problème d’argent à Mayotte, avec notamment 1,3 milliard d’euros du Plan d’urgence qu’il va falloir consommer. Les collectivités locales sont plutôt en bonne santé financière, ayant peu emprunté. Et le territoire a des potentialités évidentes, sur le plan du tourisme, de la pêche ou de l’agro-transformation, trois secteurs qu’il faut développer.
Le point principal à améliorer, c’est le manque d’ingénierie, au niveau étatique et des collectivités locales, qui sont en besoin chacun d’une dizaine de fonctionnaires compétents, qu’il faudra réunir au sein d’une plateforme. »
Je vous arrête, c’est une des revendications principales du collectif-Intersyndicale de février, qui fait d’ailleurs l’objet d’une mesure dans le Plan d’urgence. Mais le préfet se heurte à un problème d’attractivité du territoire…
Olivier Serva : « C’est pourquoi il faut des mesures fortes. La surbonification des salaires de 40% et la prime au bout de 4 ans, ne suffisent pas pour attirer les fonctionnaires. Il faudrait d’abord des logements et des voitures de fonction. Les greffiers qui ont un salaire de 2.000 euros en sortie d’école ne peuvent pas faire grand chose quand ils ont payé leur loyer de 1.000 euros. Je vais demander que la prime de déménagement soit versée tous les 3 ans, et non tous les 4 ans. Et le passage en outre-mer pour ceux qui veulent s’y investir, doit être valorisé : 3 ans de présence pourraient être doublés pour les droits à la retraite. Et qu’à l’issue, ils bénéficient d’une meilleure affectation, ou qu’ils retrouvent leurs corps d’origine.
Il faut aussi s’attarder sur les conjoints et les enfants, en proposant notamment des écoles privées sous contrat, qu’elles soient catholiques ou musulmanes, c’est d’ailleurs une demande que m’a transmise le Grand Cadi.
Et il faut aussi inciter les fonctionnaires Mahorais au retour, en faisant jouer le Centre des intérêts matériels et moraux, l’objet de mon rapport fin 2018. Nous mettons en place un dispositif pour les fonctionnaires locaux, qui semble accepté par le gouvernement et les territoires.
Tous ces éléments seront intégrés dans la Réforme de la Fonction publique qui sera votée au cours du 1er semestre. »
L’immigration impacte fortement les politique de développement de l’île. Et nous n’avons pas encore mis en place de réelle coopération avec les Comores…
Olivier Serva : « L’immigration clandestine est un vrai problème à Mayotte. Je dégagerais trois propositions. Celle de la lutte en mer qui nécessite un renforcement des moyens d’après ce que m’ont rapporté les militaires : de 3 à 9 navettes supplémentaires, à 300.000 euros l’unité, ce qui implique un renfort d’une centaine de marins, il faudrait une troisième vedette, et des moyens aériens présents la nuit, des drones, des hélicoptères.
Mais rien ne se passera sans une coopération solide avec les Comores. »
Où en est l’accord cadre qui doit être signé entre les ministres des Affaires étrangères français et comoriens ?
Olivier Serva : « Je n’ai pas d’informations précises, mais on nous a rapporté que ça avançait très lentement. Il faut encourager les entreprises locales les plus solides à s’implanter aux Comores. La CCI, le Conseil départemental et l’Etat ont d’ailleurs mis en place une bonne collaboration économique, dont nous allons nous inspirer en Guadeloupe.
Le 3ème axe d’action contre l’immigration clandestine est le propre de chacun, toute la population doit y mettre du sien, pour ne pas l’encourager. »
Où en est-on de l’avancée du Plan d’urgence ?
Olivier Serva : « Il est insuffisamment consommé, malgré la ferme volonté du préfet d’y arriver. Le point positif c’est la production de logements de la SIM qui va s’accroitre de 300 à 450, grâce au relèvement à 10 millions d’euros de la Ligne Budgétaire Unique. Mais en matière de développement, la pêche qui devrait tirer la production vers le haut, grâce à la dérogation européenne du renouvellement des flottilles, n’a pas les moyens de ses objectifs. Ce sont des financements Etat qu’il va falloir trouver. »
Pour revenir au début de notre entretien et parler de compétences, la formation professionnelle n’est pas opérationnelle à Mayotte
Olivier Serva : « C’est vrai, mais soulignons qu’elle est une compétence régionale, dont le conseil départemental ne perçoit pas les compensation nécessaires de l’Etat. Pour l’ensemble de son volet régional, la Dotation globale de fonctionnement est seulement de 800.000 euros, c’est largement insuffisant. C’est pourquoi le président se bat pour récupérer la compétence régionale et les fonds qui vont avec. On peut dire que la responsabilité est partagée.
Le Régiment du Service Militaire Adapté a un très bon taux d’insertion ici, 89%, meilleur qu’en Guadeloupe, avec deux tiers en emplois direct, et le reste en formation. Il pourrait y en avoir plus s’il y avait une formation diplômante. Il faut implanter une Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes à Mayotte, affilié à un réseau national. »
Que sommes nous en droit d’attendre de votre venue ?
Olivier Serva : « J’ai un entretien dans quelques jours avec la ministres des outremer sur ma mission à Mayotte, il y a une réelle volonté à tous les niveaux. Mayotte, c’est la France, il faut donc mettre les moyens pour son développement. Le rapport sur l’évaluation des politiques publiques sortira en juin-juillet. »
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond