Deux évènements ont incité le gouvernement à se pencher sur l’amélioration de la prise en charge de l’enfance : l’enquête qui révélait qu’un SDF sur quatre est un ancien enfant placé, et le documentaire intitulé « Enfants placés, les sacrifiés de la République » de l’émission « Pièce à conviction » diffusé sur France 3 le 16 janvier dernier. Tourné en caméra cachée dans le Centre départemental de l’enfance et de la famille d’Eysines, prés de Bordeaux, on y voit notamment des scènes de maltraitance d’éducateurs sur les enfants.
Une révélation des grandes carences, notamment dans les familles d’accueil, qui a nécessité un Plan sur la protection de l’enfance d’envergure portant notamment sur la formation des personnes qui prennent en charge ces enfants au quotidien. Une situation nationale qui n’est pas sans rappeler celle de Mayotte, où avaient été dénoncées il y a 5 ans, des cas de maltraitance dans des familles d’accueil surbookées. Issa Issa Abdou, 4ème Vice-Président du Département Chargé de l’Action sociale et de la Santé, revient sur les actions mises en place pour y palier.
« Nous sommes passé d’un mode unique de prise en charge des enfants à du multimodal. En commençant par consolider l’existant, avec des familles d’accueil new génération, formées, et qui avoisinent les 150 foyers. A suivi l’AEMO, l’Action Educative en Milieu Ouvert, qui permet une prise en charge des jeunes pendant la journée, pour leur éviter d’errer, et pour leur ouvrir des perspectives. Enfin, des lieux de vie, dont 2 MECS, des Maisons Educatives à Caractère sociale, une au nord et une au sud, spécialisées dans l’accueil temporaire de mineurs en difficulté. » Une évolution qui a permis de faire grimper le pourcentage dédié à l’action sociale du Département de moins de 10% à 35% (sans compter le salaire des agents) en 4 ans.
Identifier les mineurs isolés par village à Mayotte
Avec l’appel à projets en cours sur la prévention spécialisée, le Schéma de l’Enfance et des Familles lancé en début de mandature est bouclé, selon Issa Abdou, « nous cogitons avec la Chambre Régionale de l’Economie sociale et solidaire, pour désigner une association qui devra occuper les jeunes dans chaque village. »
L’immigration clandestine impacte cette action sociale, surtout sur la partie mineurs isolés, dont tous ne sont pas pris en charge par les familles d’accueil. « Nous demandons une solidarité nationale, découlant de la circulaire Taubira, ou un travail abouti avec les Comores pour un retour de ces enfants au pays. » S’il paraît compliqué d’envoyer des enfants en métropole, hors racines, un travail est envisagé pour un accueil momentané au Maroc ou au Sénégal, « cela a déjà été expérimenté ».
Pour identifier précisément les mineurs strictement isolés, « il serait 300 », Issa Abdou nous avait parlé il y a un an de maillage territorial : « C’est l’objectif de la mise en place de la prévention spécialisée. Une fois qu’ils seront identifiés, il faut réfléchir à leur avenir. La famille d’accueil n’est pas une solution à vie, surtout quand leur famille est aux Comores. »
Un « parcours de périnatalité » pour deux
Le Plan de protection de l’Enfance dévoilé ce lundi par Adrien Taquet, le nouveau Secrétaire d’État à la Protection de l’enfance, pourrait donner un gros coup de pouce supplémentaire à Mayotte.
Le problème est enfin envisagé sous un autre prisme, « avant de se dire ‘il faut placer des enfants’, essayons de mieux accompagner les parents », a indiqué le secrétaire d’Etat, après la présentation de ce plan qui sera soumis à une consultation. Et à commencer par le tout début, la grossesse. C’est souvent au sein du foyer, pour de multiples raisons, précarité, femmes seules, que commence la maltraitance. Dès le 4ème mois, de grossesse, un « parcours de périnatalité » sera proposé aux parents, avec un renforcement de suivi après l’accouchement.
Le 2ème axe porte sur la mobilisation contre les violences sur les enfants, en encourageant les témoins à les signaler. Seul un quart de ceux qui les suspectent, lance une alerte.
Le 3ème axe se penche sur la prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance, en mettant l’accent sur la formation des professionnels, « le minimum de formation nécessaire n’étant pas forcément respecté, ça peut déboucher sur des situations de maltraitance », expliquait Adrien Taquet. Les mesures judiciaires de placement devront être accélérées.
La ministre de la Santé Agnès Buzyn confirme sa résolution d’offrir aux enfants de l’Aide sociale à l’enfance une prise en charge à 100% du parcours de soin, et un soutien pour accéder aux études supérieures, via des bourses et des places dans des internats.
50 jeunes « en sortie d’ASE » accompagnés à Mayotte
Pour éviter les ruptures de vie des jeunes qui sortent des services de protection de l’enfance à leurs 18 ans, le gouvernement propose « d’établir un référentiel de bonnes pratiques, et d’inciter les départements à les mettre en œuvre pour accompagner ces enfants en échange de moyens supplémentaire alloués par l’Etat. » Faute de soutien, certains se retrouvent dans la rue, et viennent grossir les rangs des SDF.
341.000 mineurs font l’objet d’une mesure de protection de l’enfance en France (fin 2017), dont plus de la moitié sont placés en institution ou dans des familles d’accueil. A Mayotte, on compte 900 mesures, dont 600 placements, selon les services de l’Action sociale.
En France, le taux de prise en charge des 18-21 ans reste faible, de 9 à 21,4% selon les départements, et à Mayotte, 50 jeunes de 18-21 ans en « sortie d’ASE » sont accompagnés « pour éviter toute rupture, et à la condition qu’il y ait un projet derrière », explique Issa Abdou.
Si les axes du Plan reprennent les priorités du Schéma de l’enfance de Mayotte, il peut servir de tremplin. Sur la poursuite de la formation des familles d’accueil, et sur l’accompagnement au logement, avec 125 millions d’euros débloqués « pour lutter contre la situation des enfants à la rue et la mendicité ». Pour l’élu mahorais, c’est un volet « qui mériterait beaucoup d’attention car il constitue, précisément, à Mayotte, le nœud du problème des enfants accueillis à l’ASE. Or, le logement des parents ne fait pas partie des compétences financées par la compensation ASE. Il faudrait allouer cette enveloppe à d’autres services du Conseil départemental, voir à d’autres institutions sur le territoire. » Il voit aussi dans ce document « une opportunité pour donner les moyens de construction de nos crèches, un besoin criant ici ».
Anne Perzo-Lafond