Les Départements peuvent établir un fichier d’évaluation des mineurs isolés

Le nombre de mineurs non accompagnés a triplé en deux ans en métropole. Qui rejoint les préoccupations mahoraises en la matière. L’Etat veut se donner les moyens d’une politique adaptée. Le Défenseur des droits conteste la méthode.

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Mineurs non accompagnés, isolés, en danger… Les dénominations se succèdent, mais la difficulté de leur assurer un avenir perdure. Les Départements de France y voient une charge croissante et appellent l’Etat à les accompagner. Le ministère de l’Intérieur a répondu jeudi dernier avec la publication d’un décret qui poursuit deux objectifs : accélérer l’évaluation de l’âge des demandeurs par les départements, et lutter contre le détournement de ce dispositif par des majeurs à des fins migratoires.

Etant donné la difficulté que les services sociaux rencontrent à Mayotte pour localiser ces mineurs isolés, la disposition est vue d’un bon œil ici, comme le rapporte Issa Issa Abdou, vice-président du Département Chargé de l’Action sociale : «  A Mayotte plus qu’ailleurs, nous sommes touchés par l’immigration irrégulière et la connaissance précise de ces mineurs par le biais de ce fichiers permettra de mieux nous en occuper sans avoir à se demander en permanence ‘qu’en sera t’il demain?’. Des données qui permettront de mieux calibrer nos structures et nos politiques dédiées. »

A Mayotte, jusqu’en 2013, on parlait de mineurs isolés comme d’une vaste nébuleuse. Les parents arrivés clandestinement en kwassas depuis les Comores, ne déclarant pas d’enfants à charge sur le territoire lorsqu’ils sont interceptés, puis expulsés. Leur objectif est de les laisser à un parent, fut-il éloigné, pour qu’ils bénéficient d’une scolarisation et de soins dont ils sont dépourvus sur leur île. Avant qu’ils retentent ou pas, la traversée, les enfants sont la plupart du temps plus ou moins livrés à eux-mêmes. Le sociologue David Guyot avait été le premier à se pencher en 2013 sur cette part très importante de la population de Mayotte, puisque sur les 100.000 jeunes de moins de 18 ans à l’époque, il en dénombrait 3.000, soit 3%, dont 555 sans aucun référent parental. Un Observatoire des mineurs isolé avait été créé.

3.000 départs sans précision de parentalité

Tous les enfants ne repartent pas avec leurs parents. Ici, jouets au Centre de rétention

Phénomène plus inquiétant, dans une interview il y a 3 mois, il nous révélait qu’en 2016, environ 3.000 départs volontaires d’adultes avaient été enregistrés, « sans précision sur le fait qu’ils aient laissé ou non des enfants sur place. »

Le fichier mis en place peut donc être utile, si les services sociaux parviennent à les identifier. A ce sujet, Issa Abdou nous indiquait qu’un travail allait être mené avec la Chambre Régionale d’Economie sociale et solidaire (CRESS) sur la prévention spécialisée.

Mayotte n’est pourtant pas seule dans ce cas. En métropole le nombre de mineurs isolés a triplé en deux ans pour s’établir à 40.000 fin 2018, selon l’Assemblée des départements de France, qui se plaint de voir les dispositifs d’évaluation de la minorité, engorgés. Ce statut de mineur isolé protège en effet son bénéficiaire qui n’a pas d’obligation de détenir une carte de séjour avant sa majorité, n’est pas expulsable, doit être scolarisé, et bénéficie d’un accès gratuit aux soins au titre de la Couverture maladie universelle.

Un pont vers le service de l’immigration

Jacques Toubon ©defenseurdesdroits.fr

Un fichier à double tranchant, signale de Défenseur des Droits, dont les interventions ne sont pas toujours bien reçues à Mayotte en raison de l’impression de décalage au regard de la pression migratoire subie. Jacques Toubon demandait en décembre dernier au gouvernement de retirer son projet de décret, y voyant une « atteinte au respect de la vie privée et au droit à l’égalité ».

En effet, les empreintes digitales ainsi qu’une photographie des « ressortissants étrangers se déclarant mineurs, privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, pourront être relevées, mémorisées et faire l’objet d’un traitement automatisé ». Les associations de défense des droits craignent de surcroît l’utilisation de ces informations dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine.

C’est aussi le sentiment de la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui s’oppose à l’élaboration de ce fichier, facultatif pour les Départements, qui deviendraient selon elle, « des auxiliaires de la politique de contrôle des flux migratoires », puisque dans le cas où le jeune serait considéré comme majeur, les informations transmises à la préfecture pourraient déboucher sur sa reconduite à la frontière.

Anne Perzo-Lafond

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