Des petits rires parcourent la salle d’audience du tribunal correctionnel. Au fil des affaires, les élèves de BTS gestion des PME venus assister aux procès s’amusent discrètement du caractère répétitif et incongru des « look-alike ». Ces affaires visent des étrangers en situation irrégulière qui, utilisant la carte d’identité d’un tiers, tentent de prendre l’avion pour Paris ou La Réunion. Systématiquement en quête « d’une vie meilleure », plus rarement « pour des soins ». Tous disent qu’ils « ne le referont plus » et affirment avoir « trouvé » la carte d’identité utilisée. Près d’une mosquée après un séisme pour l’une, sur un comptoir de café pour un autre. Ou par terre à côté de la barge. Pourquoi pas. « Personne n’y croit » explique le président Rodriguez aux élèves médusés par l’enchaînement d’affaires presque identiques. Le magistrat leur explique la nécessité de juger chaque affaire séparément, individuellement. « Cela peut paraître un peu de l’abattage » admet le président d’audience devant les élèves, en énumérant une à une les sentences en l’absence des prévenus. « Ces dossiers sont tous identiques jusque dans les déclarations, mais étudiés au cas par cas ».
Même si, in fine, tous les prévenus écopent de la même peine : 2 mois avec sursis. Y compris pour la seule prévenue qui en audition affirme avoir acheté la carte d’identité, « 300€ au marché de Mamoudzou ».
Si ces jugements méritent qu’on s’y arrête, c’est qu’ils s’inscrivent dans un contexte particulier. En effet le même juge Rodriguez avait saisi la Cour de Cassation l’année dernière au sujet de ces affaires qui encombrent désespérément l’institution judiciaire mahoraise, avec parfois jusqu’à 40 affaires à juger le même jour. Cette saisine de la haute cour avait suspendu toutes les affaires analogues en attente de jugement.
Le 5 décembre dernier, la Cour de Cassation a finalement… refusé de trancher.
La question était de savoir si oui ou non on pouvait reprocher une escroquerie à quelqu’un qui tente d’embarquer avec une carte d’identité à un autre nom. Il faut pour cela un préjudice.
La Cour a estimé que le préjudice « n’est pas nécessairement pécuniaire » et « qu’il est établi lorsque la remise a été obtenue par des moyens frauduleux », citant une jurisprudence de 2015. Pour le cas précis des compagnies aériennes de Mayotte, la Cour estime qu’il faut « un examen des circonstances de l’espèce », c’est à dire des jugements au cas par cas, et « dit n’y avoir lieu à avis », refusant donc de trancher définitivement la question.
Pour le juge Laurent Sabatier qui analysait cette décision pour les élèves présents, « la cour de cassation a estimé que le préjudice résulte de la manœuvre frauduleuse elle-même et que le fait même d’avoir trompé Air Austral est en soi une escroquerie ». Le tribunal de Mamoudzou n’en a donc pas fini avec ces affaires en série.
Y.D.