Comment vous êtes-vous retrouvé à participer à ce festival ?
Chaque année l’organisateur de Milatsika propose à un artiste ou un groupe pour y participer. Cette année, c’est nous ! Malgré la pluie, on a vécu un très beau festival à Chiconi, l’année dernière. D’ailleurs heureusement qu’il y a ce festival à Mayotte, c’est le seul à tenir sur le long terme et d’offrir au public des artistes confirmés et des découvertes de Mayotte, de l’océan Indien et même au-delà. Et ça crée une super dynamique pour le village et la jeunesse de Chiconi.
L-HAD, c’est quoi ? Un chanteur ou un groupe ?
L-HAD, c’est mon nom de scène mais dans le fonctionnement c’est le groupe. En 2015, j’ai créé ce groupe avec Pat [Patrice Cazals, guitare, NDLR] et Bébé [Saadi Hassani, percutions]*. J’ai choisi ce nom et surtout cette graphie car il y a beaucoup d’Elad à Mayotte, j’ai voulu un nom visuel qui se différencie des autres Elad ! Mais c’est vraiment le nom du groupe car ce projet, on l’a débuté à trois.
Justement, d’où vient cette envie de créer un groupe ?
C’est avant tout par respect aux valeurs de l’utende, c’est parler de l’humain avec respect. Le groupe s’est créé car j’ai rencontré des personnes qui ont adhéré aux valeurs et au projet. On a d’ailleurs d’abord beaucoup parlé et échangé pour nous connaître et faire connaissance avant d’entrer dans la musique. C’est d’abord une rencontre humaine.
Pouvez-vous nous parler de l’utende ?
Le projet c’est l’utende, c’est un art oratoire de Mayotte. Il a été délaissé avec l’arrivée de la télé et de la généralisation de l’électricité au début des années 90. Cet art est très important pour moi car ça nous faisait voyager tous les soirs dans les villages, les quartiers et gratuitement ! Ça a disparu avec notre ouverture sur le monde, on a délaissé une partie de notre culture pour s’ouvrir au monde extérieur.
C’était plus animé avant dans les villages avant, maintenant on rentre du travail et on regarde la télé ! Moi je viens de de M’Tsangaboua, avant il y avait plus de dynamisme dans les villages. Pour les gosses des années 80, 90 comme moi, c’était une chance de vivre encore avec cet art oral, ça nous a donné de la créativité.
Je veux sauvegarder cet art oratoire. C’est simple, juste avec la parole on peut transmettre des histoires. C’est bénéfique, ça fait travailler l’imaginaire !
Qu’est-ce qui motive cette pratique de l’utende ?
C’est d’abord de la poésie, ça nous permet de rester à l’essentiel, c’est-à-dire l’humain, les relations humaines, la culture. Sur le long terme, c’est dans un coin de ma tête, je voudrais me passer de la musique mais je veux prendre le temps de construire un projet avec lequel je puisse emmener les gens dans l’utende avec seulement la voix, en shimaore et en français comme je fais aujourd’hui.
C’est quoi la francophonie pour vous ? Et quelle place Mayotte a-t-elle en son sein ?
Mayotte est un département français, le shimaore est une langue régionale. Les deux langues sont à défendre, à travers notre culture. J’ai choisi de m’exprimer dans les deux langues. J’ai passé pas mal de temps à réfléchir sur les deux langues et ceux qui les pratiquent. Il y a des Mahorais qui sont nés ailleurs et ne parlent pas shimaore, les non-Mahorais, etc. S’exprimer en français, c’est aussi une façon d’ouvrir la culture mahoraise sur le monde.
Comment qualifieriez-vous votre musique ?
Je l’attendais cette question ! Si on veut nous mettre quelque part, on serait dans ce qu’on appelle « musique du monde »… Mais je préfère ne pas me caser quelque part car je suis dans l’état d’esprit de pratiquer un art oratoire avant tout, un art qui part à la rencontre des peuples. En ce sens, on n’a pas de « style » défini, on peut aller vers le rock, la samba ou autre. Le style répond aux valeurs de départ, c’est-à-dire les rencontres humaines. Le groupe peut évoluer avec le temps en entrainer la mutation de la musique.
Qui vous a influencé musicalement ?
J’ai grandi avec les artistes de Mayotte dont Baco, Mikidache, M’Toro Chamou, etc. Après être arrivé à Dijon en 1999, une amie m’a amené voir Ben Harper. Ça a été un déclic, à la sortie du concert, il fallait que je m’achète une guitare. J’ai pris quelques cours de guitare pour apprendre les accords de base puis j’ai travaillé l’instrument seul. Ensuite j’ai découvert Ayo, Corneille, ou encore Francis Cabrel. Il y a aussi une grosse influence des musiques africaines, comme Victor Demé. J’aime dire qu’il n’y a pas de frontières dans la musique, tout nous appartient.
Vous faites référence à l’utende, un art oratoire mahorais, presque disparu. Quelle est votre vision de Mayotte aujourd’hui, notamment sur le plan culturel ?
Au point où on est arrivé, retourner à l’essentiel ne serait pas une mauvaise idée ! La jeunesse n’a pas de direction claire. On voyage beaucoup plus pour aller voir d’autres cultures. Mais il faudrait canaliser le développement de l’île à des éléments culturels pour se sentir bien dans le pays et dans la région. Il faut savoir qui nous sommes et ce que la culture nous apporte. Les jeunes ne se sont pas approprié leur culture, on ne leur en a pas donné les moyens. Aujourd’hui c’est le moment de faire ces transmissions ça résoudra de nombreux problèmes. Il faut que les politiques se focalisent sur une direction et c’est, pour moi, la culture peut donner cette dynamique à travers notre identité. Je donne quelques exemples : créer des écoles pour apprendre et transmettre le chigoma, l’utende, le chakacha, etc. Il y a plein de danses et de pratiques culturelles à préserver !
Propos recueillis par Axel Lebruman
L’album de L-HAD « Utende » est disponible à la Maison des livres, à la bouquinerie de Passamainty et sur toutes les plates-formes de téléchargement.
Retrouvez la page Facebook du festival ici
* aujourd’hui accompagné de Philippe Jery à la flûte traversière