Pendant plusieurs mois, il fut source de conflit entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Ces derniers avaient même refusé de nommer des assesseurs au tribunal de travail en 2017, jugeant que l’application du code du travail de droit commun le 1er janvier 2018 ne pouvait se faire sans implanter un conseil des Prud’hommes. A regarder l’agenda, on peut comprendre, avec une formation de longue haleine : « Les conseillers deviennent des juges, ce qui sous-entend une maîtrise parfaite des nouveaux textes de lois », explique Dominique Ledemé, Directeur du travail, qui a suivi les négociations d’application du code du Travail à Mayotte.
Ce samedi, une journée de séminaire d’information donne le « la » d’une formation projetée sur deux semestres, en 2019 et 2020, avec l’enseignement des prérequis, et une formation initiale des futurs conseillers en 2021. Avec ensuite une procédure législative qui débouchera sur la composition finale du Conseil des Prud’hommes de Mayotte en décembre 2020. Ils prêteront serment en janvier 2022.
Un drôle de nom que ce terme de Prud’hommes. Il nous vient du fond des âges, de l’ancien français “prodome” qui signifie “homme preux, vaillant et brave”. Au XIème siècle, il était attribué aux “défenseurs du métier”, qui appartenaient au même corps de métier que les parties concernées, ceux qui tranchaient les conflits qui éclataient entre artisans, et voulait plutôt dire “homme de valeur, prudent et de bon conseil”. La racine latine, quant à elle, est “prode”, dérivée du verbe “prodesse” qui signifie “être utile”. Les premiers conseils de prud’hommes ont été constitués en 1296 sous le règne de Philippe-le-Bel. Le conseil de la ville de Paris créa 24 prud’hommes chargés d’assister le prévôt des marchands et les échevins.
Désignés par le ministère de la Justice
Ce séminaire faisait quasiment carton plein dans l’hémicycle Younoussa Bamana ce samedi, avec 130 inscrits, « ils seront 60 ensuite, proposés par les organisations syndicales et patronales, à recevoir une formation des prérequis nécessaire à savoir, et 30 à être ensuite professionnalisés pour être désignés comme conseiller prud’homme. » On y retrouvera vraisemblablement les assesseurs en cours de mandat au tribunal de Travail. Après avoir prêté serment en 2022, ils auront la possibilité de passer une semaine d’immersion dans un autre conseil des prud’hommes en métropole.
Ce sera ensuite le saut dans le vide, comme le relate Bruno Vidon, Président de la Chambre d’Appel de Mamoudzou : « Le tribunal du Travail était présidé par un magistrat professionnel, là, ce ne sera plus le cas. Les conseillers auront la responsabilité de l’étude préalable du dossier jusqu’à la rédaction de la décision. »
Le contenu du Conseil a été figé, il est spécifique à Mayotte, comme le détaille Catherine Vedrenne, Chef de bureau à la Direction des Services judiciaires : « Nous aurons bien un collège de salariés et un collège d’employeur, de 15 membres chacun, et une section encadrement pour juger les employeurs et les cadres, mais la section professionnelle regroupera les 4 sections présentes dans les autres Prud’hommes, industrie, commerce, agriculture et activité diverses. » Ils seront désignés par le ministère de la Justice.
Obligation de secret
Il va donc falloir que les Organisations syndicales et patronales se répartissent les sièges, et proposent leurs candidats. « Une répartition qui se fait au prorata de la représentativité territoriale, nous explique Salim Nahouda, secrétaire départemental de la CGT Ma, en espérant que nous restions à 41%, devant la CFDT, 25%, et FO, 24%, la CFE CGC ayant environ 5%. Car d’ici 2021, de nouvelles élections professionnelles vont se tenir. » L’instance ne juge que les salariés du privé, les fonctionnaires relevant du tribunal administratif.
Enfin, le juge des Prud’hommes a une obligation de secret, notamment sur le délibéré, « on perd un peu de son identité syndicale », avertit Dominique Ledemé. Une avancée qui colle au territoire pour lui, « ce sont des préliminaires de conciliation pour prévenir les contentieux, comme cela se fait encore dans les villages. »
Bien entendu, toute décision qui ne satisferait pas le justiciable est susceptible de l’appel, qui peut alors porter le litige devant les magistrats de la Chambre d’appel.
Anne Perzo-Lafond