« Si le titre de séjour du papa n’a pas été renouvelé à la date de naissance de l’enfant, il faut que je le note sur l’acte de naissance de l’enfant ? », ou « Comment je fais pour vérifier si le certificat qu’on me présente n’est pas un faux ? Je ne suis pas gendarme ! »… Les questions fusaient ce mercredi, preuves du rôle déterminant qu’endossent les officiers d’état civil dans les mairies. Avec la nouvelle loi Asile immigration et les « amendements Thani », la mention sur l’acte de naissance d’un enfant du séjour régulier d’un de ses parents dans les 3 mois qui précèdent sa naissance, va conditionner son accès à la nationalité ensuite.
Ce qui nécessitait un préambule explicatif de la part du procureur Miansoni, sur les enjeux de cette nouvelle compétence, « Mayotte devient terre d’expérimentation, et nous sommes les premiers en France à former sur cette nouvelle loi Asile », soulignait-il, et de la part du sénateur Thani Mohamed Soilihi, pour que chacun s’approprie le cheminement de cette loi. Ils étaient une centaine à assister à cette formation proposée par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale.
Depuis le 1er mars, les parents des enfants qui naissent à Mayotte doivent se soucier de remplir ces conditions, pour pouvoir fournir les papiers adéquats dans leur mairie. Une loi qui nécessitait de coucher sur le papier des explications pratiques, ce qui fut fait, « une circulaire publiée par le ministère de la Justice nous donne le cadre », expliquait Camille Miansoni, notamment la liste des pièces justificatives. Face au risque de mauvaise volonté sur l’apposition de la mention, il appelait chacun à la rigueur, « sur un sujet sensible et passionnel », pour ne pas prononcer de décisions « à la tête du client », et pour ne faire qu’ « appliquer la loi pour être crédible ».
Des gros sabots plutôt que guérir
Un discours dont il excusait le côté martial, et qui agaçait quelques agents dans l’assistance, jusqu’à ce que le magistrat cite l’exemple d’un agent de mairie qui l’avait consulté pour régulariser son enfant de 10 ans, né aux Comores, « il n’a rien répondu quand je lui ai demandé s’il habitait alors Comores il y a 10 ans… » Autant donc prévenir en utilisant de gros sabots, plutôt que de guérir en maniant de grosses sanctions. Car, en ce qui concerne la fraude en tout genre, et notamment celle des reconnaissances paternelles et maternelles, et du renforcement des sanctions, autre objet de la loi et de la formation, le procureur l’a affirmé, « des peines de prison pourront être prononcées. »
C’est un retour sur images pour le sénateur et sur les longues auditions auxquelles il a du se soumettre pour défendre sa proposition de loi, qui a permis à son auditoire de prendre conscience de la difficulté de faire aboutir une telle évolution. « Au Conseil d’Etat, on insinuait même que je risquait de placer Mayotte en marge de la République en demandant une telle évolution. Comme on dit en shimahorais, ‘j’avais l’impression qu’on me comptait les dents !’ »
Il avait fallu auparavant que le sénateur reprennent les propositions de loi de Mansour Kamardine déposées en 2005, qui n’avaient pas été inscrites à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, puis, face à l’opposition « de quasiment tout le Sénat, et de la ministre Ericka Bareigts qui les jugeaient inconstitutionnelles, les retravailler, pour les faire soumettre au Conseil d’Etat par le président Larcher du Sénat, LR. La suite, on la connaît, c’est la validation, après les 8 heures de débat en Conseil d’Etat.
Une rétroactivité aggravante
Sur la même longueur d’onde que le procureur, il appelait lui aussi à appliquer la loi avec rigueur, « sinon elle ne servira à rien. » Comme il nous l’avait expliqué, il faut aussi et surtout communiquer par delà le bras de mer qui nous sépare d’Anjouan, « pour décourager les femmes enceintes qui bravent la traversée en kwassa », puisque la condition de séjour régulier sur le territoire est requise. La publicité faite autour de cette évolution va jouer un grand rôle dans l’efficacité du dispositif.
Si ce nouvel article du code civil concerne les enfants né à partir du 1er mars 2019, n’oublions pas qu’une rétroactivité, « appelée droit transitoire », fait l’objet d’un autre article travaillé avec la députée Ramlati Ali qui l’a défendu : les parents des enfants nés avant le 1er mars doivent prouver qu’ils résidaient pendant une période de 5 ans en situation régulière à Mayotte.
« C’est encore plus contraignant », soulignait le vice-procureur Pablo Rieu pendant la formation, qui faisait remarquer que les officiers d’état civil pouvait potentiellement se retrouver dans les jours à venir face aux demandes de 70.000 personnes en vue de cette rétroactivité, « puisque le quart de la population est composée d’étrangers en situation régulière. » Mais en rajoutant qu’il était peu probable malgré tout que ces habitants aient conservé les papiers certifiant leur situation cinq ans auparavant.
Anne Perzo-Lafond
Pauvre Mayotte avec ses malheurs