Rapport de la Chambre Régionale des Comptes sur l’ASE : une « dynamique impulsée », à mener à son terme

C’est au tour de la gestion de l’Aide Sociale à l’Enfance de faire l’objet d’un rapport de la Chambre Régionale des Comptes (CRC), un sujet très politique. La ligne directrice sous-tend que les services de protection de l’enfance travaillent dans l’urgence en raison d’un déficit de structures de prise de charge, mais avec des perspectives intéressantes en raison d’une situation financière assainie. Un rapport au menu de la prochaine séance plénière du 9 avril.

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Inauguration en septembre des potentielles 400 d'Action éducative en milieu ouvert

L’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) n’avait pas bonne presse à Mayotte où elle a longtemps été considérée, à tort, comme une prise en charge exclusive des mineurs laissés sur le territoire par des parents expulsés vers Anjouan. Malgré tout, c’est une « spécificité » du territoire qui pèse, souligne la Chambre qui fait état de « flux migratoires incessants, difficiles à maîtriser ». C’est pourquoi l’Etat a mis la main à la poche.

L’ASE existe dans tous les départements français, pour accompagner les enfants privés de leurs droits fondamentaux, physiques, affectifs, intellectuels et sociaux, et à Mayotte, relève depuis le 1er janvier 2009 d’une compétence obligatoire du Département. Non assumée à cette époque, puisque c’est le secteur associatif, Tama, Apprentis d’Auteuil, etc. qui palliait ce manque. A la suite de dysfonctionnements en 2014, l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et la Cour des Comptes y avaient mis leur nez, débouchant sur une avancée : l’insuffisante compensation de l’Etat était réparée avec le versement de 51,47 millions d’euros en 2017 au conseil départemental, qui les affectait dans un budget annexe, dédié.

Le nouveau rapport de la Chambre régionale des Comptes permet donc de faire le point sur une compétence désormais effective.

L’OPEMA ne répond plus

Un rapport en débat de la Séance plénière du 9 avril

Sa conclusion est positive, « depuis 2017 le département dispose d’un schéma de l’enfance et de la famille et d’un projet de service; il a révisé son fonctionnement, procédé à des recrutements, lancé des appels à projets, notamment pour la création de places en accueil collectif, et engagé de nombreux chantiers. » Mais le rapport pointe les manquements, dont plusieurs sont en cours de traitement.

Il y a des « plus », sur un air de « on revient de loin », et des « moins », sur les retards de mise en place des outils et de leur financement. Ce qui saute aux yeux, c’est ce qui n’est pas écrit : pour une fois aucune critique virulente de gabegie ou de gaspillage de fonds publics. Par contre, l’inverse est pointé du doigt : les fonds ne se libèrent pas facilement, alors que l’argent est là, et que les investissements sont urgents.

Première des déficiences, l’absence de données statistiques : « l’Observatoire départemental de la Protection de l’Enfance de Mayotte (OPEMA) ne fonctionne plus depuis le départ de son ordonnateur en 2016 », privant du coup le conseil départemental de thermomètre, aucune information ne lui remontant. La Chambre indique « prendre note qu’un responsable devrait prendre ses fonctions en février 2019 ».

Répartition des mineurs isolés africains

La moitié de la population est composée de mineurs à Mayotte

L’évaluation d’un enfant repéré comme mineur non accompagné (MNA), doit se faire par l’Etat, qui « prend en charge financièrement 250 euros par jour dans la limite de 5 jours d’accueil », apprend-on. Mais le Département n’en demande jamais le remboursement, se privant par exemple en 2018, d’une recette de 278.750 euros.

Sur les 4.446 mineurs isolés évalués par l’Observatoire des Mineurs Isolés (OMI) en 2016, dont 300 sans aucun référent adulte, 71% sont nés aux Comores, 15% à Mayotte, 13% en Afrique, et 1% ailleurs. Une coopération entre deux associations, mahoraise et comorienne, avait permis entre 2011 et 2014, à 216 mineurs non accompagnés de retrouver leurs parents aux Comores, mais les tensions diplomatiques bloquent actuellement ce dispositif.

Sur l’application de la circulaire Taubira de répartition des mineurs isolés entre les départements, notamment de métropole, non applicable à Mayotte en raison de « l’éloignement », la CRC défend ce dispositif pour ceux qui sont originaires de l’Afrique des Grands Lacs, « dont l’objectif est de rallier l’Europe. » Ils seraient une cinquantaine en juillet 2018.

Rendre autonome la DGA Pôle enfance et familles

Philippe Peytour, le DGA Enfance et Familles

Au niveau national, la part de mineurs non accompagnés avoisine 15 à 20% des prises en charge par l’ASE, ils sont plus du double à Mayotte, « soit 41,60% des enfants placés en juillet 2018 contre 21,88% en juin 2016. » Mais nombreux sont ceux qui sont encore « mis à l’abri » par les associations comme Mlézi Maoré, 346 en 2017, et non par le Département dont c’est le rôle, alors que 206 étaient encore en attente à la fin de l’année. Ils avaient au moins un adulte référent sur le territoire, précise la CRC.

Bien que le Département se soit doté d’un Schéma Départemental de l’Enfance et de la Famille en février 2017, la CRC note un retard à l’allumage : des actions 2017 n’ont été réalisées qu’en 2018, à noter que « certaines relèvent de la compétence de l’Etat ». « Les principales difficultés rencontrées par la direction concernent la mobilisation des moyens humains et matériels, alors même qu’elle disposait des moyens financiers suffisants », note la CRC, qui vise sa trop grande dépendance des autres directions du Département, au fonctionnement bloquant. Avec des exemples à la clef, « la direction des finances a mis plus de deux mois pour confirmer que la délibération d’affectation des résultats 2017 du budget annexe était erronée. » Les magistrats préconisent une délégation de signature au DGA Pôle enfance et familles pour accélérer les actions.

L’évolution vers une meilleure prise en charge est notée, avec le nombre croissant de recrutements d’assistants familiaux, partant de 78 en décembre 2015, pour atteindre 137 en janvier 2019. Avec un bémol, leur rémunération « supérieure à la moyenne des autres départements français », alors que la qualification n’était pas la même, « 70% d’entre elles ne maitrisent pas la langue française ». Autre bémol, il n’y a pas de médecin référent à la Protection de l’enfance.

Objectif : 1.260 places…

Avec ou sans famille, repérer tous les enfants en souffrance

Depuis l’année dernière, la diversification de la prise en charge est en route, soulignée par la CRC, avec les 400 places d’AEMO et les deux MECS de 20 places. En août 2018, 533 enfants étaient placés dans des familles d’accueil, et 17 chez des Tiers dignes de confiance, et 191 mesures de suivi en milieu ouvert concernent 303 enfants.

Si la prévention s’organise, avec la création d’un service dédié et la mise en place de la prévention spécialisée, la prise en compte des signalements par la Cellule de Recueil des Informations préoccupantes (CRIP) ne respecte toujours pas les délais, « en 2018, des informations préoccupantes datant des années 2014 et suivantes restent en attente (…) une amélioration est attendue avec de nouveaux recrutements. » Des manquements qu’avait reconnu Issa Issa Abdou, Vice-président Chargé de l’Action sociale. Les remontées des signalements se font surtout par le vice-rectorat (298), CHM (161), Mlézi (129), le département en a transmis 230. Alors qu’il dispose désormais des moyens financiers. En 2018, il aura distribué 1,68 million à ces structures associatives.

La Chambre a dressé un parallèle avec la métropole pour cibler l’écart entre les besoins et la prise en charge effective : sur la base de la moyenne nationale, pour 1.000 mineurs, il faudrait 1.259 places. Sans doute plus même, en tenant compte « de la situation particulière du département par rapport aux Mineurs non Accompagnés ». Or, en février 2019, « le nombre de places agréées est de 391 pour 590 enfants placés. » Provoquant une surpopulation dans les familles d’accueil, « le nombre d’enfant par famille était compris entre 1 et 10. » Depuis, il y a eu la diversification avec les nouvelles MECS et les AEMO, mais « les besoins à couvrir restent importants. »

La nationalité, un droit pour les enfants pris en charge

L’objectif affiché par le Département est la prise en charge d’ici la fin de la mandature en 2021, d’au moins trois quarts du public concerné, un projet jugé « réaliste » par la Chambre. En attendant que les standards nationaux soient atteints.

L’après ASE est à mettre en place pour l’insertion de ces enfants. Or, en 2015, 70% seulement de ces mineurs isolés étaient scolarisés, et aucun n’était entré au RSMA, par exemple. Sans doute un problème de papier, la nationalité française y étant exigée. Or il faut savoir que l’accès au séjour ou à la nationalité est un droit pour les enfants pris en charge par l’ASE : « L’article 21-12 du code civil prévoit qu’un enfant confié à l’ASE depuis au moins trois ans, peut demander jusqu’à sa majorité, l’acquisition de la nationalité française. »

En conclusion, la Chambre dit encourager le Département « à poursuivre la dynamique impulsée pour exercer, dans un domaine prioritaire, sa compétence en matière de protection de l’enfance ».

Anne Perzo-Lafond

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