Le CFDT Franck Loureiro joue la carte de l’université pour rebooster l’Education nationale à Mayotte

Être force de proposition, pour anticiper la contestation, c’est un peu le modus vivendi de Franck Loureiro, Secrétaire général adjoint de la Fédération Sgen CFDT. Il est plus particulièrement actif dans l’enseignement supérieur et la recherche, ce qui lui permet de nous donner des pistes intéressantes pour le Centre Universitaire de Formation et de Recherche (CUFR) de Mayotte.

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Franck Loureiro : "Nous préférons être force de proposition que de contestation"

A Mayotte la semaine dernière, le syndicaliste ne découvre pas le territoire « cela fait 6 ans que je viens », avec une durée moyenne de séjour de 10 jours. Et en 6 ans, s’il a vu des choses évoluer, «  un nouvel aéroport, l’état des routes s’est amélioré, des bâtiments scolaires sont sortis de terre », la priorité reste la même dans l’Education nationale : l’emploi. Au travers des créations de postes… qu’il faut ensuite combler.

« Il manque de tout ici. Il n’y a plus de médecin scolaire, et pas assez de postes d’enseignants, et de personnel en général. Le taux d’encadrement des élèves par les adultes est très faible, et alors que l’ensemble de l’île est en Réseau d’Education prioritaire. Par exemple, il y a une assistante sociale pour 2.500 à 2.800 élèves, c’est impossible de travailler correctement. »

Il faut déjà remplir les postes existants, « c’est toujours les mêmes problèmes d’attractivité, pour lesquels il y a pourtant des solutions. » Celle qui se murmurait jusqu’alors, mais qui est désormais portée haut et fort, c’est le recrutement sur place, « parce que maintenant, nous avons des licenciés, des masters ou des doctorants mahorais, qui peuvent occuper ces places vacantes. »

Mais pour cela il manque une structure, « une ESPE, une Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education propre à Mayotte. Avec le même aménagement que pour les professeurs des écoles. Le dispositif fonctionne pour le premier degré, puisqu’il y a maintenant 140 jeunes formés, ce qui a réduit le nombre de contractuels. Il faut calquer ce modèle sur le second degré en rabaissant le concours au niveau licence et non master, et former ensuite pendant 2 ans. » Mais cela implique d’agrandir le Centre universitaire pour proposer davantage de places, « il n’y a que 1.200 places, dont 350 seulement au niveau licence. Or, 2.900 bacheliers sortent chaque année. Ce n’est pas tenable ! »

« Le sentiment d’être délaissé… »

Le CUFR de Dembéni est sous-dimensionné par rapport aux besoins

Autre point, revaloriser le salaire des enseignants en outre-mer notamment, « nous avons beaucoup perdu avec les dernières réformes, qui ont rayé le décret de 96 », et à leur perspectives professionnelles, « pour beaucoup de fonctionnaires des services de l’Etat, Mayotte est un tremplin, or, pour les enseignants c’est presque l’inverse. Une enseignante qui a travaillé ici pendant 18 ans doit pouvoir voir son action valorisée si elle veut rentrer en métropole. Ça participe à l’attractivité tout ça. »

La taille des établissements ensuite, sous-dimensionnée, « ils ne sont pas adaptés aux besoins d’une démographie que personne n’arrive à anticiper. » Le braquet a changé, « le vice-recteur annonce un lycée et un collège par an d’ici 2025 », mais le rattrapage à effectuer est « considérable » : « Pendant des décennies, ce territoire a été abandonné par la République, c’est pourquoi le niveau d’exigence de la population vis à vis de l’Etat reste fort, même avec des moyens plus importants. Il faudra un affichage clair des efforts et des excuses répétées de la part de l’Etat avant que ce sentiment d’être délaissé ne disparaisse. »

Des éléments positifs, il en voit pas mal, à commencer par cette jeunesse foisonnante, à qui il faut certes laisser entrevoir un avenir, mais qui reste un atout pour l’enseignant : « Aucun collègue ne se plaint de discipline. Ici, quand on passe, les élèves viennent nous saluer, et se lèvent quand ils sont en classe. Ça fait longtemps que ce n’est plus le cas en métropole. »

« A la retraite, je reviendrai »

Avec Yacuba Galledou, représentant du Sgen CFDT à Mayotte

Peu à peu, Franck Loureiro s’est passionné pour Mayotte, à la retraite, je pense venir ici pour apporter ma pierre. Il travaille à Paris en relais pour l’île, « la ministre des outre-mer m’entend parler chaque trimestre de Mayotte », et notamment sur le sujet du Centre universitaire. « Il est probable que la ministre de l’enseignement et de la recherche Frédérique Vidal arrive avec le président Macron en juin, avec des annonces de financement pour en accroitre la capacité d’accueil »

La CFDT préconise une évolution vers un institut universitaire, « mais il faut auparavant se doter d’un contrat d’objectif, qui définisse le rôle de chacun. Le conseil départemental par exemple investit très peu dans le Centre universitaire alors que c’est un levier de développement économique. »

De sa rencontre avec le vice-recteur dont la lettre de mission est d’évoluer vers un rectorat au 1er janvier 2020, le syndicaliste retiendra la prise de conscience de l’urgence d’une montée en compétence : « Stephan Martens recrute pour mettre en place un plan de formation en interne. » Une fois obtenu le statut de rectorat, qui permettra d’ouvrir un service immobilier, Stephan Martens ne dépendra plus du préfet, mais deviendra comme lui, un représentant direct de l’Etat, « il pourrait même devenir chancelier des universités et avoir la main sur la filière de la seconde au Bac+4. Ce qui permettrait de mettre en place notamment des BTS ou des IUT, inexistants ici. Or, il y a besoin de ces formations intermédiaires. »

Des pistes de construction qui redonnent espoir, « nous préférons être force de proposition que force d’opposition tant que c’est possible. Cela ne sert à rein de mettre l’île sous tension permanente comme le font certains syndicats. Et on ne peut engager comme ça une perte de salaire pour nos collègues. »

Le 9 mai, on verra malgré tout des bannières oranges dans la rue pour la manifestation nationale contre la loi Blanquer : « Nous ne demandons pas sa suppression, mais son report, car elle contient à son article 20 le passage en rectorat pour Mayotte. » Les reproches portent sur deux points : l’établissement des savoirs fondamentaux qui rapprochent certaines écoles des collèges dont elles dépendent, avec une seule direction, « il n’y a pas eu concertation sur ce sujet », et le 1er article qui encadre le comportement de l’enseignant, « trois collègues passent en conseil de discipline pour avoir critiqués la loi Blanquer, c’est inquiétant. Pour l’instant, c’est difficile d’avoir un dialogue social avec ce ministre. »

Anne Perzo-Lafond

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