Interview du père Pedro qui a sauvé 800 familles d’une décharge en la transformant en villages

« Si vous n’avez pas d’humour ici, vous devenez fou ! », avertit le père Pedro. C’est un monument qui est face à nous, non seulement par le charisme qu’il dégage, mais par le travail accompli, il a sauvé 500.000 malgaches de la misère. « C’est l’œuvre de Dieu, pas la mienne ! » Humilité et franchise sont donc au rendez-vous d’un entretien qui met en valeur les enfants, et combat la corruption. Il a reçu ce dimanche un hôte de marque, le pape François, qui était son prof en Argentine !

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A l'image de Saint Vincent de Paul, père Pedro est constamment entouré d'enfants (Photo Anne Perzo-Lafond)

Dans quelques jours, le père Pedro va fêter les 30 ans de l’œuvre de sa vie, Akamasoa, du nom de ce quartier de Tananarive, capitale de Madagascar, et de l’association qu’il a créée. Le sol aux pavés balayés que nous foulons, était autrefois une vaste décharge à ciel ouvert, monstre puant sur lequel se nourrissaient des milliers de malgaches, « il y avait 800 familles ». Elle jouxte d’ailleurs toujours le quartier.

En 1968, Pedro Opeka quitte son Argentine natale, « en pleurant », et se fixe à Madagascar où il veut relever le défi de la pauvreté. Surtout, en tant que Lazariste, c’est à dire, adepte de la Communauté de Saint Vincent de Paul, il veut sauver ces enfants, « à l’époque, une seule famille voyait mourir jusqu’à 7 enfants ! La pauvreté, c’est une prison qui tue l’âme. »

Il est convaincu que l’aide ne peut pas se faire uniquement de l’extérieur, « c’est en faisant sortir la personne de ses anciennes habitudes qui la maintiennent dans la pauvreté, que nous pouvons faire bouger les choses. Il faut aider sans assister. »

Des écoles lumineuses et propres

Le coquet village d’Akamasoa, construit sur l’ancienne décharge

Mais sans formation, que produire ? « Il s’agissait de personnes pauvres, qui n’avaient pas de spécialités. Ils ont commencé à travailler dans la carrière de granit Mahatazana, juste au-dessus, il y a eu jusqu’à 1.000 ouvriers, qui vendaient 10 tonnes de pierre par jour », explique celui qui a commencé comme maçon, à l’image de son paternel. Une partie du granit est utilisée à la construction de maisons, l’autre est revendue. Pas un gros apport, « mais nous avons commencé à avoir des recettes ». Ce n’est évidemment pas suffisant pour les besoins actuels.

Car devant nous, convergent plusieurs petites rues, aux maisons de poupées de toutes le couleurs. Il y a actuellement 5 sites, de 22 villages en tout, abritant 25.000 personnes, logées dans 4.000 maisons. Chacun des villages possède son dispensaire, plusieurs écoles, 15 en tout, « on les a voulues lumineuses, propres », scolarisant 14.453 enfants, « nous en avons 500 en plus chaque année ». Il a sauvé des bidonvilles 500.000 malgaches depuis le départ.

Pas de gros mécène, ni d’AFD, « trop compliqués ! »

Un des villages d’Akamasoa souhaite « Tongasoa », « bienvenue » au pape

Pour faire tourner la boutique, il prend son bâton de pèlerin chaque année, « je pars 3 mois en tournée, pour démarcher des privés, des gens simples. Ce sont leurs dons qui nous aident. » Il n’a pas de gros mécène, et l’Agence Française de Développement n’est pas un partenaire, un sujet qui le fait d’ailleurs sortir de ses gonds « ils sont trop compliqués. On travaille avec la population, en toute transparence, il y a une entrée d’argent, une sortie, pas besoin de faire de grands comptes. Eux, ils font tout le contraire, avec des dossiers à n’en plus finir ! »

Pendant que nous parlons, des enfants viennent constamment l’entourer, lui tenir la main. Malgré l’ampleur qu’a pris son association, Pedro reste présent. « Cette petite fille jouait tous les jours dans la rue avec son cartable sur le dos. On s’est renseigné, elle errait, sa maman ayant perdu la tête. Personne ne s’en était aperçu, les gens ici sont un peu… distraits. Maintenant, elle reste avec nous, avec une de nos jeunes qui ont choisi de rejoindre Akamasoa pour aider leur peuple. »

Le système est simple. Pour accéder à un logement, une petite participation est demandée pendant 5 ans, puis, sous condition de respecter les règles de la communauté et d’envoyer ses enfants à l’école, les personnes peuvent devenir propriétaires de leur logement. Chaque village est supervisé par un comité de citoyens, élus, chargé de la sécurité, de la propreté, etc.

Rajoelina ne peut pas décevoir

Bébé lorsque l’abbé Pierre est passé, la jeune femme est accompagne à son tour les enfants (Photo Anne Perzo-Lafond)

Quant à décliner ce modèle à l’île entière, il y a un monde… politique. « L’année prochaine, cela fera 50 ans que je suis dans ce pays, que je vois descendre dans une extrême pauvreté ! », lâche-t-il. 5ème pays le plus pauvre du monde, Madagascar abrite des incohérences graves, liées à cette corruption. Un exemple : pour nous rendre sur le site d’Akamasoa, notre taxi a payé 40.000 Ariary, soit 10 euros, pour 11 litres d’essence… A peine moins cher qu’en France, alors que 9 malgaches sur 10 vivent avec moins de 1,50$ par jour. L’ancien président Ravalomanana est visé lorsque nous parlons corruption avec notre taxi, « il a tout centralisé, riz, lait et huile ».

Le père Pedro voit une chance à travers l’actuel dirigeant, Andry Rajoelina. Je lui ai dit : « Si vous me décevez, je ne sais plus en qui croire ! » Notre taxi nous explique que des forages sont en effet menés actuellement pour accroitre les réserves d’eau. Car sur le site d’Akamasoa, il faut charger des bidons pour approvisionner la population en cette saison sèche. Mais pour venir à bout de la corruption dans laquelle trempe tous les services de l’Etat, y compris la sécurité, il va falloir « au moins une génération », pour le père. Le territoire a des richesses, notamment avec l’or et les pierres précieuses, « mais on n’en exportait officiellement que 15 kilos, et on nous annonce que le volume va passer subitement à 300 kilos ! » Certains savaient donc détourner la différence à leur profit. « La corruption gangrène tout, elle empêche tout investissement. Et du coup, les 250.000 malgaches qui arrivent chaque année sur le marché du travail, n’ont pas de débouchés. »

Pape François : « La pauvreté n’est pas une fatalité »

Les enfants ont quitté la rue pour l’école

Des petites filles passent sagement en se donnant la main, le calme règne ici, difficile de deviner que le pape va arpenter le site dans quelques heures. Un homme que le père Pedro connaît de longue date, « il a été mon professeur de philo et de littérature à la fac de philosophie et de théologie où j’étudiais en Argentine. « C’est un pape qui est le contraire d’un politique, il n’a pas la langue de bois. Retenez bien ce que le pape va vous dire ! »

Et parmi ce que le Saint-Père a dit, outre la lutte contre la corruption et la « culture des privilèges », il y a son allocution à destination du père Pedro, « vous avez montré que la pauvreté n’était pas une fatalité ! « .

Une jeune femme de 24 ans s’approche alors que nous demandions au père ce que sont devenus les premiers habitants d’Akamasoa, « lorsque l’Abbé Pierre est venu nous voir, à 90 ans, elle était dans les bras de sa maman, en photo sur le livre. Et depuis, elle est venue pour nous aider à gérer le village et les enfants ! »

Pour les malgaches, père Pedro c’est LA référence, « nous le préférons à nos présidents ! « , nous ont lâché plusieurs habitants de Tananarive.

Pour tout don à Akamasoa, cliquez ici.

Anne Perzo-Lafond, depuis Tananarive

 

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