Marie-Joseph Malé : « Corsair a arrêté de desservir Mayotte car son PDG y perdait sa chemise ! » 

A Mayotte pour deux jours, Marie-Joseph Malé, PDG d’Air Austral, s’est livré pour le JDM au même exercice de question-réponses qu’il y a 7 mois. Depuis, un de ses deux B787 est immobilisé, son affrètement d’Aigle Azur s’est envolé, et une association d’usagers s’est montée à Mayotte.

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Marie-Joseph Malé, Air Austral, SEMATRA, La Réunion
Marie-Joseph Malé, PDG d'Air Austral

JDM : Ces deux dernières semaines sonnaient le glas pour Aigle Azur et XL Airways. Les compagnies françaises se portent mal, y a-t-il un contexte particulier ?

Marie-Joseph Malé : « Il y a deux cas différents. Aigle Azur faisait son chiffre en moyenne sur l’Algérie, et avait ouvert son capital à des investisseurs Chinois qui voulaient s’en servir comme tête de pont pour desservir la Chine et l’Amérique du sud. Mais, faute d’autorisation, les A330 lui sont restés sur les bras.
Quant à XL Airways, ce que le PDG Laurent Magnin ne dit pas, c’est que l’arrivée de la compagnie low cost French Bee a plombé ses résultats. Il faisait lui aussi du low cost, Mais quand il est arrivé sur La Réunion en 2012, c’est parce qu’on s’était retiré. Il ne se posait pas en concurrent. Or, l’arrivée des low cost comme French Bee sur des marchés déjà existants plombe les résultats. »

C’est votre cas ? French Bee vous fragilise-t-il ?

Marie-Joseph Malé : « C’est clair ! Si on affiche des résultats négatifs c’est bien parce que French Bee est arrivé en noyant le marché de nouvelles offres. L’année dernière bien qu’on ait transporté davantage de passagers, le résultat net était en baisse. Cette année, j’ai comme perspective de retrouver l’équilibre, mais il reste encore 6 mois, avec un prix du fioul qui fait le yoyo en fonction des attaques de drones, et reste plus cher que l’an dernier. Le taux de couverture ne nous a pas été si favorable et là, le dollar se renchérit, or 50% de nos dépenses se font dans cette monnaie. »

Si l’exercice s’avère excédentaire, peut-on espérer un impact favorable sur le prix du billet ?

Marie-Joseph Malé : « Si l’excédent est de 2 ou 3 millions d’euros, répartis sur un million deux-cents mille passagers, l’impact ne sera que de 2 euros. Nous n’avons pas de rentabilité insolente. En matière de prix du billet, j’ai expliqué à Annick Girardin que 70% des billets vendus sur le Réunion-Mayotte sont à 468 euros. Elle a répond qu’au Canada pour aller à Saint Pierre et Miquelon, elle paie 650$. Sur des volumes de passagers transportés comparables. »

Le B787 immobilisé ne sera pas impacté par les retards de Rolls Royce

Corsair a toujours des droits pour la desserte de Mayotte

L’arrivée de Corsair sur la région, notamment la liaison Mayotte-Réunion, avait été synonyme de forte réduction des prix des billets. Par votre prise de participation au capital d’Air Madagascar, vous avez fait pression sur la Direction générale de l’Aviation Civile (DGAC) pour l’éloigner de Madagascar, où il faisait notamment escale pour relier Mayotte à Paris. Provoquant son départ, et votre position monopolistique…

Marie-Joseph Malé : « Il faut arrêter avec ça ! Pascal de Izaguirre, le PDG de Corsair, nous a accusé, mais depuis, il a donné une autre version. Dans un article de lechotouristique.com, il explique que son objectif est de cibler les destinations à fort volume, plus productives*, et donc qu’il ne veut plus desservir Dzaoudzi. D’ailleurs, il arrêtait régulièrement le Dzaoudzi-Tananarive car il y perdait sa chemise. Même chose sur le Réunion-Tana qui lui rapportait 1 quand la liaison Réunion-Paris lui rapportait 1.000. Corsair a d’ailleurs toujours les droits pour effectuer la liaison Dzaoudzi-Tananarive-Paris. Mais il préfère se positionner sur les Etats Unis, avec de gros volumes. »

Votre B787 qui dessert Mayotte est toujours immobilisé en raison des problèmes de remplacement des ailettes défectueuses par Rolls Royce sur les moteurs Trent 1000. Ils ont annoncé sur reuters.com avoir du retard. Serons-nous impactés ?

Laurent Magnin lors de l’annonce de la desserte de XL Airways à Mayotte en 2015… délaissée depuis

Marie-Joseph Malé : « Heureusement, notre appareil est en atelier, les ailettes sont en cours de pose. La date de sortie est toujours entre mi-octobre et fin octobre. Il faut savoir qu’environ 150 moteurs d’avion sont impactés par cette usure dans le monde. Les B787 Dreamliner gardent malgré tout la cote, plusieurs sont en commande.
En ce qui concerne l’autre Dreamliner, aux couleurs du volcan, il a passé avec succès un contrôle la semaine dernière, il en a un autre en octobre. S’il s’avère qu’un problème est détecté sur les ailettes, il faudra se débrouiller en attendant de récupérer l’autre B787. Sinon, lors du prochain contrôle en janvier, on sait que les nouveaux moteurs Rolls Royce seront équipés, réduisant le temps d’immobilisation de l’appareil. Il faudra gérer les deux périodes de pointe, en octobre et en décembre. »

Pas de « coup de poker » avec Aigle Azur

Vous aviez misé sur Aigle Azur et Wamos comme solution d’affrètement. Le premier a déposé le bilan. Etant donné que le préjudice des ailettes est pris en charge par Rolls Royce,  aviez-vous bénéficié de tarifs avantageux en raison de sa situation financière difficile ?

Marie-Joseph Malé : « Ce serait criminel, un manque de conscience vis à vis de la clientèle, et ma responsabilité serait terrible ! Nous avons découvert la situation trois jours avant l’annonce du redressement judiciaire. Rolls Royce nous avait incités à ne prendre qu’un seul affrètement, nous avons préféré assurer, et on peut dire maintenant que nous nous en sommes bien tirés. On devrait plutôt nous remercier pour avoir anticipé. »

Les sous-prestations de Wamos au regard de celles d’Air Austral. Ici sur le tarmac de Pamandzi

Les passagers sont déçus des prestations de la compagnie Wamos, bien en deçà de celles d’Air Austral pour un billet au même prix. Un passager a manqué sa correspondance à Paris parce qu’il a débarqué en zone low cost. Avez-vous envisagé des ristournes ?

Marie-Joseph Malé : « Nous avons des frais liés à l’immobilisation de notre appareil. Nous aurions pu affréter un avion de moins, et passer systématiquement par La Réunion. Or, on a privilégié le confort et la rapidité pour les Mahorais. Quant à l’arrivée sur une zone low cost, ce n’est pas normal, sauf si l’avion a décollé en retard de Mayotte, et n’avait plus sa place à Roissy. Nous faisons un geste commercial pour notre clientèle qui voyage régulièrement, en rajoutant des points de fidélité. »

Renouvellement des longs courriers en 2023

Avez-vous des annonces en matière de politique tarifaire ?

Marie-Joseph Malé : « Nous mettons en place ‘Les rendez-vous du vendredi’ à Mayotte. Tous les vendredi à zéro heure jusqu’à minuit, une destination sera proposée à un tarif préférentiel pour une date donnée. Par exemple, on peut imaginer un Mayotte-Paris à 738 euros pour le 18 novembre. Une opération très attractive à La Réunion. Nous avons aussi « Les bons plans », tous les trimestres. J’en profite pour rappeler que les places à prix réduits entre Mayotte et La Réunion, nous en avions lancé le concept en 2012, à 199 euros. Et que l’information les donnant à plus de 800 euros est totalement erronée. »

Une nouvelle compagnie est annoncée ici, Air Mayotte. Ses dirigeants nous ont annoncé ne pas avoir besoin d’accord de la DGAC en raison de vols intracommunautaires, entre deux territoires européens. Un concurrent dans la zone ?

Marie-Joseph Malé (sourire) : « Toute concurrence est la bienvenue, mais si les règles sont respectées. S’il s’agit de vols avec exploitation régulière, un agrément de la DGAC est obligatoire. Lorsque nous avons voulu affréter Aigle Azur, la DGAC nous a imposé des conditions, notamment de formation des pilotes. »

La piste d’aéroport partiellement inondée lors du fort coefficient de marée le 31 août (Extrait vidéo Saïd Hachim)

Une association de défense des intérêts des usagers de l’aérien s’est créée à Mayotte, l’AUTAM. Votre réaction ?

Marie-Joseph Malé : « C’est une bonne chose que les consommateurs se réunissent, du moment qu’elle n’est pas instrumentalisée. Nous sommes en réflexion pour créer ou recréer un lien fort avec Mayotte. Il y a 40 ans que nous sommes là, et malgré une perte de 50 millions d’euros il y a quelques années, nous sommes restés, le conseil départemental de Mayotte craignait pourtant notre départ. »

Au niveau du renouvellement de votre flotte, où en êtes vous ?

Marie-Joseph Malé : « Nous sommes en négociation pour des A220-300, initialement Bombardier, en moyen courrier, pour desservir la région. Et nous envisageons avec Air Madagascar, de remplacer les longs courriers, notamment sur le Mayotte-Paris, en 2023. »

Avez-vous entendu parler d’évolution en matière de continuité territoriale ?

Marie-Joseph Malé : « J’attends que les élus mahorais prennent leur responsabilité la dessus ». (A La Réunion, le conseil régional en finance une partie, ndlr)

Après notre entrevue, le PDG d’Air Austral se préparait à rencontrer le préfet, pour évoquer notamment le phénomène de subsidence (d’enfoncement) et d’inondation de la piste d’aéroport.

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond

* Extrait de lechotouritique.com, rapportant les propos du PDG de Corsair : « L’objectif assumé est de cibler les destinations à fort volume qui ‘permettent un programme plus productif. En priorité ceux qui supporteront un vol quotidien’, précise Pascal de Izaguirre. Dans cette optique, toutes les destinations qui ne répondent pas à ces critères ont été sorties du réseau de Corsair : Tananarive, Dzaoudzi, Bamako et La Havane. »

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