Le slogan de l’INSEE Mayotte, « Muhasibio wa leo Muwundrio wa meso », « Des chiffres aujourd’hui pour construire demain », n’a jamais été un aussi bel étendard que ce mardi 24 septembre. L’Institut National de la Statistique et des Études Économiques, associé à la DARES, Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques et à la Direction du Travail (DIECCTE), a mené une enquête durant 6 mois, sur le profil et la géographie du marché du Travail à Mayotte. L’étude porte sur 10 ans, de 2009 à 2018.
Parmi les habitants de Mayotte âgés de 15 à 64 ans en 2018, un tiers seulement est en emploi, contre deux-tiers en métropole. Un autre tiers souhaite travailler, le tiers restant étant majoritairement étudiants, femmes et hommes au foyer. On le sait, les administrations sont le plus gros pourvoyeurs d’emplois, notamment la fonction publique d’Etat qui a triplé en 10 ans, essentiellement des enseignants, moins de recrutements chez l’hospitalière ou la territoriale.
Par contre, et malgré des créations d’emplois, le secteur privé reste toujours en retrait, 13% des emplois, contre 44% en métropole. Le déficit est marqué dans les services, finances et assurances, l’information et la communication, et dans l’industrie. Pourtant, les entreprises ont été performantes puisque, ces 10 dernières années, elles ont créé 3.300 emplois, ce que décrypte Alain Gueydan, le directeur de la DIECCTE : « La croissance économique, pas négligeable de 3% par an, est contrebalancée par la croissance démographique de 3,8% par an. » Une croissance démographique expliquée par les presque 10.000 naissances chaque année, dont 75% des mères sont étrangères, avait souligné l’INSEE.
Pour absorber cet afflux, il faudrait à Mayotte une croissance d’Allemagne de l’ouest au temps de l’absorption de la RDA, ce que nous n’avons pas.
30% n’ont jamais été scolarisés
Accéder à un emploi est donc bien plus difficile à Mayotte. Mais avoir un diplôme y est valorisé : « Ceux qui en possèdent un sont autant en emploi qu’en métropole. Rien que le fait d’être scolarisé double les chances d’être en emploi », souligne Aurore Fleuret, Cheffe de projet à INSEE Réunion. Mais les diplômés sont rares à Mayotte en 2018, « seules 27 % des personnes de 15 ans ou plus sorties du système scolaire possèdent un diplôme qualifiant, contre 72 % en métropole ».
Le plus grave tient dans ce taux : 30% de la population des 15-64 ans n’ont jamais été scolarisés. Ça fait froid dans le dos. On peut se rassurer en regardant l’année 2009, ils étaient 40%, « les jeunes générations ont un niveau de qualification bien supérieur ». Dans la même série noire, on voit que 6 natifs de Mayotte sur 10, n’ont pas du tout de diplômes, un rapport qui monte à 9 sur 10 pour les non natifs de Mayotte… On mesure les défis qui attendent encore et pour longtemps l’éducation nationale.
Nous est proposé pour la 1ère fois, une répartition des personnes en emploi sur le territoire. Sans surprise, on pourrait superposer la carte illustrant les conditions de logements. Ainsi, les habitants de l’Est de la Grande-Terre sont les moins bien insérés sur le marché du travail. Les personnes en emploi sont nombreuses à habiter à l’ouest, dans des communes qui offrent peu d’emplois mais des conditions de vie plus favorables. Bouéni est la commune « la plus diplômée », Dembéni et Bandraboua « les moins diplômées ». « Mamoudzou a perdu plus de 1.500 salariés en 10 ans, en raison de l’arrivée massive de personnes en provenance des Comores qui peinent à s’insérer. »
20.000 personnes sur la route le matin
Allez, vous voulez savoir dans quelle catégorie se range votre commune ? L’INSEE a dressé un panorama, « ce ne sont que des tendances » :
– Les foyers d’emploi “historiques” : Dzaoudzi, Mamoudzou, Pamandzi
– Les nouveaux foyers d’emploi : Dembeni, Chirongui, Koungou, Ouangani
– Les communes prisées des personnes en emploi : Bandraboua, Chiconi, Sada, Tsingoni
– Les communes excentrées : Acoua, Bouéni, Kani-Keli, M’tsangamouji, Mtsamboro
« Bandrélé couvre à peu prés les 4 catégories en fonction de ses villages. »
Pour se rendre sur le lieu de travail, on se déplace de plus en plus. En 2012, 60% des personnes travaillaient et habitaient dans la même commune, elles ne sont plus que 52% en 2017. Ce sont ainsi prés de 20.000 personnes qui partent travailler chaque matin au volant de leur voiture vers une autre commune. Si la vague de transhumance matinale se dirige majoritairement vers Mamoudzou, 11.000, « matérialisé par la large flèche jaune », indique Cédric Mureau, de nouveaux foyers d’emploi se sont fait jour dans plusieurs autres communes, Koungou, Dembéni, Chirongui ou Ouangani. Créant d’autres flux matinaux, parfois en sens inverse !
De là à supposer que pour alléger le réseau routier, on puisse inciter les salariés ou fonctionnaires à habiter la commune où ils travaillent… On touche là l’objectif principal des ces études : « Les politiques publiques doivent maintenant s’approprier ces résultats pour être déclinées, et trouver un équilibre entre les moyens à mettre et les besoins », analyse Alain Gueydan.
6 jeunes sur 10 ni en emploi, ni en formation
C’est le cas du projet Caribus notamment, qui peut se saisir du chiffre de 4.000 personnes qui habitent et travaillent à Mamoudzou en utilisant leur véhicule. Egalement du projet de desserte maritime qui notera que sur les 9.000 personnes qui travaillent à Mamoudzou, 5.000 n’y habitent pas. Des décisions urgentes à prendre quand on observe l’engorgement de plus en plus matinal des routes qui y convergent : « Le taux d’utilisation de la voiture est de 56% à Mayotte, contre 70% en métropole ». Lorsqu’on atteindra ce taux, si le réseau routier et ses alternatives restent en l’état, on risque de ne plus pouvoir bouger une roue… en deux roues peut-être !
Le dernier point destiné à endiguer les blocages de développement et à insérer les publics en difficulté, montre que « environ 25.000 personnes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en formation, « des NEET* », soit six jeunes sur dix dans la tranche 20-29 ans. Les trois-quarts souhaiteraient travailler, les 6.000 restants sont majoritairement nés à l’étranger. On en fait quoi ?! » interpelle Jamel Mekkaoui.
Alain Gueydan concluait en évoquant les mesures à mettre en place : « Un appel à projet a été lancé pour capter par le biais des associations ce public ‘invisible’, mais sous condition qu’il puisse y avoir accès, c’est à dire ne pas être en situation irrégulière. On va travailler sur les freins de l’accès à l’emploi, prioritairement la formation aux compétences de base. Pour cela, il nous fallait des éléments quantitatifs. Là, nous savons que 6 jeunes sur 10 sont concernés, et que environ les trois-quarts entrent dans un cadre légal. »
Une étude dont chaque décideur doit s’accaparer, pour l’user et en abuser. Lire my_ina_21_insertion
Anne Perzo-Lafond
* Not in Education, Employment, or Training