Vous aviez l’habitude de croiser sur votre chemin ces grands arbres dont le pied semble comme haubané… Et bien sachez qu’ils ne vous avaient jamais été présentés ! Si on sait qu’il s’agit de Colubrina, il en existe plusieurs espèces à Mayotte, et celle-ci ne porte toujours pas de nom, nous explique Sébastien Traclet, Conservateur de l’herbier MAO (Mayotte) au Conservatoire botanique national de Mascarin : « Elle est connue depuis les années 2000 par les spécialistes comme ‘espèce problématique’. Le projet a permis de faire des récoltes d’échantillons afin de les envoyer à des spécialistes pour étude et confirmer qu’elle ne ressemble pas à d’autres espèces déjà existantes. »
Sur l’année 2018-2019, l’antenne de Mayotte du Conservatoire Botanique National de Mascarin (CBNM) a bénéficié d’un financement européen (BEST RUP 2483) pour la réalisation d’un projet autour de la connaissance et de la conservation de la flore méconnue de Mayotte.
Au cœur de ce projet : l’herbier de Mayotte (MAO). Géré par le CBNM, il abrite plus de 5.400 échantillons de plantes récoltées depuis plusieurs décennies sur le territoire de Mayotte, dont de nombreux spécimens encore largement méconnus (difficulté de détermination). A l’aide de 39 spécialistes en botaniques impliqués dans ce projet et issus d’infrastructures scientifiques reconnues (Museum national d’histoire naturelle de Paris, Royal Botanical Garden de Kew, Missouri Botanical Garden, Conservatoire et Jardin botanique de Genève, Jardin de Botanique de Meise…), de nombreux spécimens ont pu être étudiés et déterminés.
Amateur d’herbier, à vos loupes !
Et à la fin de l’étude, 8 nouvelles espèces sont répertoriées, qui, comme notre Colubrina, n’avaient pas de nom. Dans ce cas, on lui adjoint « sp.nov. », pour « nouvelle espèce ». Les 7 autres découvertes sont, des arbustes de forêts sèches à fruit ailé (Gagnebina sp. nov.), des petits arbustes endémiques du Mont Choungui (Erythroxylum sp. nov.) connus sous d’autres contrées pour contenir de la cocaïne, une orchidée endémique du Mont Bénara (Cynorkis sp. nov.), une plante mycohétérotrophique (sans chlorophylle) de quelques centimètres (Gymnosiphon sp. nov.), des arbustes à floraison abondante (Volkameria sp. nov.) ou encore un nouvel ébène (Diospyros sp. nov.).
Ce projet financé par l’Europe est donc le bienvenu, d’autant plus que ces espèces sont en danger, « rares, et endémiques de l’île, elles sont directement menacées de disparition par les activités humaines notamment les atteintes aux milieux naturels (défrichements illégaux, brulis, agriculture, pollution…). Certaines de ces espèces sont classées en danger critique d’extinction », rapporte l’étude.
Ce projet a également permis la mise en évidence de la présence de 22 nouvelles espèces pour le territoire de Mayotte, qui sont présente ailleurs dans le monde mais qui n’avait jamais été mentionnées jusqu’à aujourd’hui à Mayotte.
« Néanmoins malgré les résultats obtenus, de nombreux spécimens restent indéterminés au sein de l’herbier MAO (plus de 400 spécimens) et nécessitent d’être étudiés. Il existe une forte probabilité que parmi ces spécimens, de nouvelles espèces soient encore découvertes. »
Ce déficit de connaissance d’espèces que nous côtoyons quotidiennement souligne le manque de moyens alloués à la recherche scientifique à Mayotte, « notamment sur la flore et sa conservation », souligne Sébastien Tranclet. Ce qui pose un problème pour sa survie, « tant que l’espèce n’a pas de nom officiel, elle ‘n’existe’ pas ». Donc, elle ne peut être inclue dans les listes rouges, les listes d’espèces à protéger par l’Etat…
A.P-L.