Lors de sons discours en préambule au débat à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner livrait les chiffres d’entrées régulières sur le territoire national : 256.000 en 2018, dont 90.000 par la voie de l’immigration familiale, qui est stable, 83.000 étudiants et 33.000 personnes pour des motifs économiques. La demande d’asile elle, est moitié moindre, 120.000 en 2018, « c’est un record », en augmentation de 20% sur 2017.
A Mayotte, curieusement, les services de l’Etat n’ont pas de données pour l’immigration légale. Les demandes d’asile se montent à 800 en 2018, dont 511 Africains, notamment poussés par les conflits dans leurs pays. Les reconduites ont été de 15.000 en 2018, sous l’effet des prés de 6 mois de blocage des reconduites par les Comores. La préfecture nous livre une estimation de 25.000 pour 2019.
« Le but de notre politique d’immigration, c’est la réussite de l’intégration », tout le monde est à peu prés d’accord avec le ministre de l’Intérieur. Notamment Jean-Pierre Chevènement, président de Res Publica, qui évoque dans les colonnes du Figaro, «la panne de l’intégration», une enjeu pourtant « indispensable si on veut éviter que se créent des communautés enclavées, des territoires où la loi républicaine n’est plus reconnue, où on finit par s’accommoder de mœurs aux antipodes de nos principes, comme la polygamie ou la mise en tutelle des femmes ou la ségrégation. »
Mais ce n’est qu’une partie du problème. Le migrant est avant tout en quête d’un ailleurs, et, Mayotte le sait bien, il faut donc toucher les pays d’origine. Et là, on balance toujours entre deux principes.
Relancer l’aide publique au développement
La protection d’abord, « Aujourd’hui, si nous menons des contrôles extrêmement poussés sur les routes et dans les aéroports, certaines frontières extérieures de l’Union européenne que nous appelons les ‘frontières vertes’ sont encore mal contrôlées et ne permettent toujours pas une gestion satisfaisante des flux migratoires irréguliers », dit encore Christophe Castaner.
A l’autre bout de la protection, l’humanité, « qui justifie la part que nous prenons dans le secours en mer des personnes en détresse. L’humanité qui justifie aussi que nous réservions un traitement particulier à la question des mineurs non-accompagnés », invoque Edouard Philippe. Mais avec des nuances, « je n’ai pas peur de réfléchir à l’idée de quotas », notamment « par nationalité ou par secteur professionnel ».
Et avec comme arbitrage et dénouement du problème, l’entraide internationale. Jean-Pierre Chevènement préconise « d’aider les pays d’origine à se développer, à devenir des États de droit sûrs, à investir dans l’éducation et à maîtriser leur fécondité ».
Une des 6 orientations* données par premier ministre Edouard Philippe dans sa Déclaration du Gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, plaide justement pour relancer l’aide publique au développement. Une dimension que nous ne connaissons que trop bien dans la région. L’exemple de l’Union des Comores, est encore une fois une illustration de ce qui se passe ailleurs.
La question migratoire devient diplomatique
Nous n’évoquons pas là les pays en guerre, les populations peuvent alors avoir accès au statut de réfugiés, mais de l’immigration économique, qui pousse des habitants de pays dit « sûrs » à se déplacer pour améliorer leurs conditions de vie. Ils seraient nombreux à effectuer ce périple, selon le ministre de l’Intérieur, « un nombre important de demandes d’asile proviennent de pays considérés comme sûrs », c’est à dire de pays « où non seulement l’Etat n’est pas une menace pour ses citoyens, mais aussi où existe un système juridictionnel performant, garant de l’Etat de droit. »
Mais développer l’aide à l’encontre de ces pays n’a rien d’évident. Combien de fois la France ne s’est-elle pas heurtée au reproche d’ingérence dans les affaires intérieures lorsqu’elle voulait apporter une aide sous condition dans les îles voisines de 80km. La coopération régionale est donc restée lettre morte. Alors que la Chine ou le Qatar réussissent à apporter investissements et main d’œuvre. C’est pourquoi la déclaration du premier ministre affirmant, « nous avons mis la question migratoire au cœur des relations diplomatiques avec les Etats », est une avancée, y compris pour Mayotte. On peut d’ailleurs penser que c’est cette logique qui a prévalu à la rédaction de l’accord-cadre de 150 millions d’euros sur 3 ans passé avec les Comores. Leur développement est la clé de la fixation des populations.
Et Mayotte dans ce débat à l’Assemblée ? Elle a été évoquée à plusieurs reprises. Par la réponse d’Edouard Philippe au Rassemblement National qui demandait la généralisation des amendements Thani de conditions régulières de présence sur le sol français avant la naissance d’un enfant. Balayé d’un revers de main, « le gouvernement que je dirige a assumé de resserrer les critères du droit du sol à Mayotte, où il fallait bien régler une situation objectivement spécifique ». Dans la bouche de Marine le Pen ensuite, « faut-il évoquer le cas de Mayotte où la moitié de la population est clandestine ?! » Et enfin, sous les traits de notre députée, Ramlati Ali, qui relevait que si il y avait bien eu évolution du droit du sol ici, une des spécificités demeure, « il faut que les détenteurs de titres puissent quitter le territoire de Mayotte (…) afin de rendre Mayotte aux Mahorais. »
Un sujet que le président Macron en déplacement les 22 et 23 octobre à Mayotte ne manquera pas d’aborder.
Anne Perzo-Lafond
* Les 6 orientations du premier ministre Edouard Philippe : « Renforcer notre aide publique au développement, Proposer à nos partenaires européens de refonder l’espace Schengen, Assurer une convergence européenne des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et des migrants, Exécuter l’éloignement des étrangers en situation irrégulière et réduire des délais d’examen des demandes d’asile, Favoriser l’intégration par le travail, et enfin, Fixer chaque année des objectifs d’attraction de compétences rares et de talents. »