Laurent Georgeault est Ingénieur de l’Université de Technologie de Troyes, docteur et chercheur associé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Actuellement dans l’Océan Indien, à la CCI de Mayotte, il travaille à la traduction opérationnelle des concepts de l’économie circulaire sur notre territoire en transition. Il accompagne aussi l’Union des Chambres de Commerce et d’Industrie de l’Océan Indien pour la mise en place d’un cluster transnational sur le sujet. Auteur de plus d’une trentaine de publications, il présente la seconde édition de son ouvrage de référence, co-écrit avec Vincent Aurez, « Economie circulaire, Système économique et finitude des ressources », publié dans la collection Ouvertures Economiques chez De Boeck Supérieur.
Pouvez vous nous parler de votre livre ?
Il s’agit de la seconde édition de cet ouvrage. La première, en 2016, fut nominée pour le prix du manuel d’économie de l’année de l’Association Française de Sciences Économiques, remporté par Jean Tirole, prix Nobel 2014. Elle a rapidement été épuisée. Avec mon co-auteur Vincent Aurez, nous avons été très surpris de cette reconnaissance et par les retours très positifs de la part des lecteurs. Pour l’anecdote, les droits en portugais ont été vendus et j’aimerais bien aller au Brésil en faire la promotion. L’éditeur nous a demandé en 2018 une seconde édition revue et augmentée, la voici, et nous espérons le même accueil.
Quel en est l’objet ?
L’économie circulaire est l’objet de nombreuses discussions, planifications et même d’un projet de loi à l’Assemblée Nationale. Tout cela reste lacunaire mais présente plusieurs avancées, comme notre ouvrage et nos contributions. L’essentiel pour nous est de porter le débat auprès du grand public et des étudiants, de structurer une pensée et de la diffuser, d’en accepter la critique et de s’ouvrir aux problématiques des autres.
Le sujet traité dans l’ouvrage concerne donc l’utilisation optimale des ressources. Synthèse de travaux menés depuis plusieurs dizaines d’année par une communauté scientifique pluridisciplinaire très active, nous l’avons écrit pour faciliter les enseignements. Il permet à ceux qui doivent se saisir et mettre en œuvre l’économie circulaire d’avoir une référence concernant sa trajectoire dans la vie des idées, ses concepts et aussi ses outils de mesures et de multiples exemples.
Quels sont les enjeux pour les territoires et Mayotte en particuliers ?
Les territoires sont face à des problématiques à la fois économiques et environnementales. Les collectivités doivent assurer une résilience et s’appuyer sur la connaissance des flux qui soutiennent leur système socio-économique. Au-delà, elles peuvent construire de nouvelles dynamiques de proximité avec l’écologie industrielle. Sur Mayotte, nous avons déjà organisé un atelier dédié aux synergies inter-entreprises à Kawéni, avec le soutien de l’ADEME et de la CADEMA. Nous avons vocation à essaimer ce type d’opérations et à faire se rapprocher les acteurs économiques. Pour finir, les collectivités œuvrent dans la fourniture des infrastructures d’équipements (réseaux) et de services (gestion des déchets,…), leur rôle est primordial.
Au niveau local, Mayotte dépend beaucoup d’importations, que ce soit pour l’énergie, l’alimentaire, les matériaux de construction. Les enjeux principaux sont d’assurer une plus grande part de nos besoins par nous-même et de résorber la pauvreté.
Les secteurs de l’agriculture et de la pêche sont en première ligne et progressent plus vite qu’on ne le pense. A ce propos, la culture, ou plutôt l’aquaculture, de la spiruline* n’est étonnement pas exploitée alors que toutes les conditions sont ici réunies, notamment des plages de températures chaudes et adaptées voire la présence de CO2 issue de la production d’électricité.
Pour l’énergie, l’ensoleillement dont nous bénéficions doit être aussi plus exploité et le potentiel géothermique correctement déterminé : habiter proche d’un volcan ne doit pas présenter que des désavantages. Une autre piste concerne la transformation de déchets plastiques en carburant : nous avons fait venir l’association Earthwake en novembre 2018 pour présenter ses travaux et le procédé est déployable techniquement.
Concernant la consommation, la vente de l’usage en lieu et place du produit (l’économie de fonctionnalité) constitue une réponse aux besoins de la population. Il peut s’agir de location de vaisselle pour les mariages, de location d’électro-ménager pour les séjours courts qui sont nombreux ici, d’une bibliothèque d’outillage. De nombreux exemples existent et il ne tient qu’aux porteurs de projets de s’en saisir. Ces modèles sont d’autant plus intéressants que la constitution du stock destiné à la location est éligible aux différents systèmes d’aide, à la différence des stocks d’un magasin destinés à la vente.
Au niveau du Département et de plusieurs autres collectivités, l’économie circulaire a fait son chemin. L’Agence du Développement et de l’Innovation de Mayotte en fait par exemple un des thèmes phares de sa campagne actuelle « Invest In Mayotte ». Pour les entreprises, la CCI s’est investie de longue date sur le sujet.
Nous travaillons aussi beaucoup sur la coopération régionale pour mettre en œuvre une économie circulaire à l’échelle de l’Océan Indien.
Qu’attendez vous de la coopération régionale à Mayotte ?
Mayotte dépend d’une géographie physique qui l’éloigne de la métropole, sans ligne maritime directe, et, d’une géographie administrative et réglementaire qui l’éloigne de son voisinage régional (Comores, Madagascar, Maurice,…), avec des contentieux géopolitiques multiples. Dans ce cadre, développer des coopérations qui vont au-delà des rencontres culturelles semble a priori vain, mais a priori seulement.
Tout d’abord, les cadres réglementaires et normatifs évoluent et il convient que nous puissions avoir notre mot à dire sur ces évolutions, que nous puissions préconiser les avancées nécessaires auprès du législateur français et européen voire au-delà. Pour cela, nous préparons le terrain avec les acteurs économiques via l’Union des Chambres de Commerce et d’Industrie de l’Océan Indien (UCCIOI), soutenus par l’Agence Française de Développement, et avec les collectivités via l’Association des Villes et des Collectivités de l’Océan Indien (AVCOI).
Ensuite, les états insulaires présentent des problématiques similaires aux nôtres, il s’agit alors de progresser ensemble, en développant des outils de mesure pour les politiques publiques, en étudiant des gisements mutualisables ou non, en échangeant autour de bonnes pratiques que chacun peut s’approprier. La transformation des déchets plastiques en carburant parle à beaucoup de monde.
Je conçois la coopération régionale comme le développement de l’économie circulaire, une préparation de notre futur à moyen terme : aujourd’hui nous ne pouvons peut-être pas toujours faire mais quand viendra le temps du possible (ou du nécessaire), nous serons prêts, les idées et les projets seront sur la table. J’apprécie aussi beaucoup l’idée de « gagner la paix » qui est promue par l’AFD.
Quel sera votre prochain ouvrage ?
Je n’arrive pas à finir, depuis 18 mois, un ouvrage dans ma spécialité académique, l’écologie industrielle et territoriale. Le domaine avance continuellement et ne pas inclure les dernières avancées me perturbe. Finir d’ici janvier serait un beau challenge. Il devrait être suivi d’un autre travail, très technique, sur la valorisation des achats locaux que j’estime à deux voire trois années.
Entre temps, il y aura sûrement quelques chapitres et ouvrages collectifs, li m’est difficile de résister au plaisir de pouvoir diffuser les idées.
J’ai par ailleurs reçu un accueil chaleureux de Noussoura Soulaimana, président du cercle des écrivains et des amis du livre, de Nassur Attoumani et de plusieurs autres auteurs lors du récent et très réussi salon du livre. Ils m’ont fait réfléchir à d’autres styles et formats pour toucher un public différent et moins académique. Mayotte est une terre de challenge !
Le mot de la fin ?
Le coup de projecteur sur les travaux à propos de la pauvreté d’Esther Duflo à l’occasion de son Nobel d’économie et le succès de Thomas Piketty concernant les inégalités de nos sociétés doivent remettre la question de la lutte contre la pauvreté au centre des débats économiques, en particuliers dans l’Océan Indien et à Mayotte. Revoir nos positions sous leur éclairage me semble pertinent et même indispensable. J’espère que nos travaux pourront participer à la résolution de ce défi.