Gambader sur ses deux jambes, Doc Leo connaît. Jusqu’à ce jour où, alors qu’il avait 23 ans, tout a basculé : « Sous l’emprise de drogues, j’ai sauté par la fenêtre du 4ème étage », explique-t-il devant les organisateurs des premières Journées départementales du Handicap. Des experts sont présents, notamment Charles Gardou, Anthropologue et professeur à l’Université Lumière Lyon II, et Stéphane Corbin, Directeur de la compensation CNSA.
Ces journées étaient attendues d’autant que le président du Département Soibahadine Ibrahim Ramadani rappelait que l’état des lieux de la politique du handicap à Mayotte était un des axes de son Plan de Mandature 2015-2021, et qu’il convenait que les réponses au handicap étaient insuffisantes. En effet, depuis sa création par la dynamique Evie Faugas, il y a dix ans, la Maison Départementale des personnes handicapées (MDPH) s’est laissée couler. Les directeurs et trices, se sont succédé, avec à la fin le même constat dressé par tous au micro ce jeudi : la déficience dans la prise en charge du handicap vient du manque de notifications par la MDPH, « or c’est le sésame pour accéder à la prise en charge de la personne par les institutions accompagnatrices », appuyait le vice recteur Gilles Halbout.
Pour Doc Leo, que nous avons interrogé, rien n’a évolué du côté de la MDPH, « j’ai l’impression que chaque année, un problème supplémentaire se pose ». En fauteuil, et avant d’entamer un slam, il expliquait avoir été mal à l’aise qu’on doive le porter pour arriver sur la scène, « je n’ai pas l’habitude qu’on me pousse ».
En l’absence de son directeur, en arrêt maladie, nous avons interrogé le président de la MDPH, le conseiller départemental Ali Debré Combo, qui se veut rassurant : « Dès la semaine prochaine, nous nous rendons dans les institutions et les établissements scolaires pour lister les demandes ». Mais les acteurs attendent désormais des actes concrets.
« Liberté, égalité, fraternité », le Graal
Car la notification déverrouille tous les accès, notamment l’inscription en place d’accueil, comme le rappelait le préfet Jean-François Colombet, qui annonçait des avancées dans ce domaine : « Nous avons un retard à rattraper avec seulement 600 places d’accueil. Les nouvelles mesures vont nous permettre d’en disposer de 1.000 supplémentaires. Il faut ensuite faire un effort sur l’insertion professionnelle. Or, nous avons un taux légal d’emploi en entreprise de personnes en situation de handicap inférieur à la métropole, car le nombre de notification est insuffisant. ». Plutôt que d’inclusion, le préfet préfère parler de, « liberté d’aller et venir », « d’égalité d’accès aux droits », de « fraternité dans le sens de la solidarité », « c’est cela la République française.
Cette sous-évaluation des personnes en situation de handicap se résume en une proportion donnée par Gilles Halbout : « Nous avons deux fois moins d’élèves en situation de handicap qu’ailleurs sur le territoire de la République. Non parce qu’il y en a moins, mais parce qu’on en dépiste deux fois moins. » Mayotte est donc « en rattrapage » sur ce point aussi, avec une nuance, le handicap est souvent tu, mal vécu par les familles, avec parfois des interprétations animistes. Il va donc falloir communiquer aussi sur ce point. Le biais choisi par le représentant de l’Education nationale, citant l’écrivain Georges Pérec, devrait y aider, « c’est tellement tentant de vouloir distribuer le monde entier selon un code unique, les deux hémisphères, les quatre saisons, douze mois, malheureusement ça ne marche pas comme ça, ça ne marchera jamais. »
« Désinsulariser le handicap »
L’Education nationale est sur une « vitesse de croisière » avec la prise en charge de 1.100 élèves en situation de handicap, « en attendant les notifications », donc des élèves supplémentaires. Aux Projets Personnalisés de Scolarisation qui permettent la mise en place de différents aménagements et adaptations pour l’élève, vont se greffer les Pôles inclusifs d’Accompagnement Localisé, PIAL, « avec des simplifications administratives ».
« Désinsulariser le handicap », l’image de l’anthropologue Charles Gardou est belle, traduite par Gilles Halbout autant dans son sens humanisant, « ce qui est facilitateur pour les uns est bénéfique pour les autres », que dans l’accès aux standards internationaux.
Plutôt que d’inclusion, Soibahadine Ibrahim Ramadani souhaite parler de société accueillante et accompagnante… Et ça commence par l’accès aux bâtiments scolaires et aux services publics. Justement, Doc Leo nous confiait que « si on veut parler d’inclusion, ce serait bien qu’on nous consulte, nous, les handicapés, que je préfère nommer les ‘handicapables’, sur les actions à mener et éviter les mauvaises décisions ».
Les Journées se poursuivent ce vendredi avec des tables rondes et une journée grand public ce samedi. (Lire programme-JDHM-2019)
Anne Perzo-Lafond