L’explication de texte d’Olivier Gérard, professeur de mathématiques, passionné par les ponts entre littérature et sciences, tient son petit auditoire du Centre universitaire en haleine. Si l’apothéose mathématique tient dans l’équation des deux savants Navier et Stokes (19ème siècle) de modélisation de l’écoulement des fluides, elle n’a fait fuir personne, les amateurs ayant aussi retenu que la récompense d’un million de dollars était offerte pour sa résolution en raison de son apport aux problématiques de changements climatiques.
Si personne n’est arrivé à mettre Paris en bouteille, il n’était pas non plus question de résumer l’océan en une suite de dérivées ou d’intégrales ce vendredi midi. Il s’agissait de démontrer que l’imagination des auteurs, d’Eschyle à Pablo Neruda, « rejoint celle des mathématiciens ».
Le poète grec Eschyle, -525 av. JC, avec son vers anodin « Vagues marines aux innombrables sourires », a semble-t-il été le premier a conceptualiser ce que d’autres après lui vont évoquer, « non seulement le lien entre les humeurs de la mer et celles de l’homme, mais aussi le prototype de l’infini en trois dimensions : la vision de l’horizon depuis la berge, les profondeurs des abysses, et l’innombrable changement du mouvement de la mer ».
L’étymologie des mots utilisés parle pour eux : anerithmon (innombrable), abysse (insondable), etc.
Impossible d’évoquer ce thème sans plonger dans le Spleen de Baudelaire :
« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »
La liberté du navigateur sur les flots, une 4ème dimension de l’infini ?
Les mathématiciens définissent l’infini
« La confrontation avec la psyché humaine prouve que la mer est un outil de connaissance de soi, les poètes recherchent un infini intérieur », et le conférencier de citer Eugène Delacroix, peintre et poète, « les voix d’un infini sont devant vous », ou Jules Supervielle, « Ô mer qui ne puise en toi que ressemblances et qui pourtant de toutes parts s’essaie aux métamorphoses ». Ce dernier mot interpelle l’analyste, « sans formation scientifique, il a des intuitions de ce que les mathématiciens définissent par ‘infini’, puisque la métamorphose s’obtient aussi en divisant par deux les nombres pairs d’une suite d’entier, pour obtenir l’ensemble de départ, 1, 2, 3, 4, etc. »
Le risque de l’exercice, c’est « l’excès d’interprétation », mais sauvé par la certitude que « en utilisant les maths, on apporte une richesse complémentaire à sa propre lecture. Quand on fait des mathématiques, on ouvre des possibilités. Qui permettent d’ailleurs d’envisager de reconstruire les mouvements de la mer. » D’où l’équation de Navier-Stokes, qui fait assurément vibrer Olivier Gérard, « c’est comme une poésie mathématique, cette équation ! »
Et Bertold Brecht lui donnera raison dans une synthèse adaptée, « L’introduction d’attitudes scientifiques dans l’écriture romanesque conduisit au plein épanouissement du fantastique et du poétique. »
Interrogé à la fin de l’exposé sur l’infini du ciel à l’allure encore plus « matheuse » que celle de la mer. Mais tellement moins romanesque, « la mer immense donne le goût de l’infini alors que le ciel, l’homme a toujours voulu le limiter, le démystifier. «
L’infini… Entre ciel et mer ? Une règle de trois.
La prochaine conférence du Pôle culturel des vendredi midi sera animé par Patrick Bonfils, Docteur en Géographie et anthropologie sociale, et directeur de la Jeunesse et des sports de Mayotte, pour une conférence intitulée « Cultures acculturées dans les outre-mer ».
Anne Perzo-Lafond