De l’agitation et des hurlements en bordure de la nationale à Koungou : un homme et deux femmes s’apostrophent, en viennent aux mains, des passants arrivent et les séparent. Nous croisons la route d’une des deux femmes, en pleurs : « Mon mari m’a raconté qu’il allait travailler, mais en fait, je l’ai surpris avec une autre femme. » Vieux comme le monde. Elle poursuit, « je ne veux plus rentrer chez moi, quand je lui fais des reproches il me tape, et il n’y a que lui qui travaille et peut acheter à manger pour les enfants. » Mariama* a un récépissé, ce qui ne lui permet donc pas de sortir du territoire et retrouver sa mère en métropole. Son papa vit à Anjouan, « il est trop âgé pour s’occuper de moi ». Elle n’a pas de travail. Mariée « sous le régime musulman » comme elle nous l’explique, elle n’est pas passée devant le cadi, ne détient aucun papier qui pourrait lui permettre à première vue de défendre ses droits.
Pourtant, pour Virginie Benech la juge aux affaires familiales (JAF) du tribunal que nous avons rencontrée, il existe des recours : « Toute victime de violences conjugales peut demander une ordonnance de protection. Elle va permettre de prendre des mesures relatives à l’éloignement de l’auteur des violences, mais aussi de protection des enfants et à l’attribution de logement en cas de besoin. Et de demander au conjoint violent une contribution aux charges du mariage. » Il suffit pour cela de se rendre à l’accueil du tribunal judiciaire** ou de contacter l’accueil (0269 61 11 15), et de demander un formulaire d’ordonnance de protection.
Contribution aux charges du mariage
Il n’est pas nécessaire de déposer plainte, « quoique cela peut permettre de caractériser les violences ». Selon la juge, les délais sont « très rapides depuis la réforme de la justice de décembre. Ils sont de 6 jours à partir de l’audience qui se tient dans la foulée de la demande de protection. »
Le JAF peut aussi accorder une aide financière à la victime qui peut prendre la forme d’une contribution aux charges du mariage pour les couples mariés, d’une aide matérielle pour les partenaires d’un pacte civil de solidarité et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants.
Si le partenaire violent n’obtempère pas dans son dédommagement financier, la victime peut aller voir un huissier, sa décision judiciaire en main. « Il y a aussi des assistantes judiciaires dans les Centres communaux d’action sociale, et au conseil départemental. » Si les violences persistent, un dépôt de plainte devient inévitable, « les commissariats et les gendarmeries ont été formés au dépôt de plainte pour violences conjugales en recrutant des assistants et assistantes sociaux. » Des hébergements d’urgence peuvent être proposés, les renseignements seront fournis à la victime.
La CIVI sollicitée 36 fois en 2019
Pour l’instant, peu ont recours aux ordonnances de protection selon la juge, notamment en raison de désorganisation des réseaux de signalement. Ce qui est en cours de révision au tribunal, notamment dans le cadre de la Journée européenne de l’aide aux victimes ce samedi 22 février. Si on évoque les violences conjugales c’est qu’elles sont toujours en forte hausse à Mayotte, +47,6% en 2019 par rapport à 2018 selon les derniers chiffres de l’Etat major de sécurité. Mais ce ne sont pas les seules loin de là. Plus globalement, les victimes d’agressions physiques, +16%, doivent faire reconnaître leur statut.
Un Bureau d’aide aux victimes assure une permanence au tribunal, « qui les accompagne pour faire appliquer la décision de justice », explique toujours Virginie Benech. On le sait, peu de condamnés s’acquittent réellement de leurs amendes, beaucoup parce qu’ils ne sont pas solvables. Les victimes peuvent alors saisir la Commission d’Indemnisation de Victimes d’Infraction, CIVI, ou encore, le Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infractions. La CIVI a enregistré 36 requêtes sur l’année 2019, 39 constats d’accord ont été signés et15 jugements ont été rendus ainsi que 5 ordonnances soit 20 décisions au total.
Le précédent bâtonnier Me Idris avait en son temps fustigé, « en France, la victime n’a pas sa place dans le procès pénal », regrettant qu’elle soit trop peu prise en considération. Une réorganisation semble lancée pour que cela change.
Anne Perzo-Lafond
* Les prénoms ont été changés
** Le Tribunal judiciaire est issu de la fusion des Tribunaux d’Instance et de Grande Instance, offrant une porte d’entrée unique au justiciable