« Sans chercher à verser dans le pessimisme, plusieurs signaux militent pour une économie très dégradée dans les prochains jours. Je serai certainement traité de « prophète de mauvais augure ». Néanmoins, j’observe que les organisations professionnelles telles que le MEDEF et la CPME montent au créneau dans des termes au ton grave : « Le pronostic vital de notre économie est plus qu’engagé (…). Les mesures de report ne seront pas suffisantes pour arrêter l’hémorragie, » dixit le président de la CPME. Le MEDEF local s’interroge aussi : « Si toutes les entreprises meurent du COVID-19, qui prendra leur relève ? » Le ton est manifestement gravissime à en croire les professionnels. Les perspectives conjoncturelles s’annoncent défavorables en cette année électorale troublée par la crise du COVID-19. Une vaste période d’incertitudes s’ouvre avec des conséquences multiples tant sur le plan national que local.
COVID-19 et DOB (Débat d’orientation budgétaire) et confinement
Plusieurs collectivités n’ont pas eu le temps nécessaire pour diverses raisons de satisfaire cet acte. La tenue d’un DOB est rendue difficile du fait des mesures de confinement de la population pour une durée indéterminée, lequel conduit dans certaines situations à une absence préjudiciable mais néanmoins légitime d’une partie importante des agents des collectivités indispensables à l’élaboration des budgets, notamment les agents des services financiers.
Pour rappel, le DOB est un acte obligatoire. S’il n’est pas réalisé, il rend illégale toute délibération relative à l’adoption du budget primitif. (Arrêt du 19 octobre 1999 de la Cour Administratif d’Appel de Marseille « Commune de Port-La-Nouvelle »). « Ce débat doit se tenir dans les 10 semaines précédant l’examen du budget pour les régions et dans les 2 mois pour les autres collectivités et établissement » ou encore, « Le budget primitif est voté au cours d’une séance ultérieure et distincte. En effet, le DOB ne peut intervenir ni le même jour, ni à la même séance que le vote du budget » (Tribunal Administratif de Versailles-16 mars 2001- M. Lafond c/Commune de Lisses). Autant de contraintes de dates qui semblent difficiles de satisfaire dans un contexte de confinement de la population du fait du COVID-19.
Report du 2ème tour des élections municipales et ses conséquences
« Chaque année, le vote du budget primitif constitue une étape importante dans la vie des collectivités locales. Il s’agit du premier acte obligatoire de leur cycle budgétaire. Le législateur encadre de façon stricte la date limite à laquelle ce budget doit être voté. L’article L1612-2 du code général des collectivités territoriales impose une date limite de vote du budget primitif avant le 15 avril, et lors d’une année de renouvellement des organes délibérants, avant le 30 avril. »
Dans le contexte « d’état d’urgence sanitaire », le 2ème tour des élections des élections municipales est reporté. De ce fait, le vote du budget primitif 2020 des collectivités locales est aussi reporté. Dans un premier temps, le Gouvernement prévoyait de traiter le sujet par ordonnance mais la Commission des lois du Sénat a ajouté au texte du gouvernement, « des mesures exceptionnelles d’assouplissement des règles budgétaires dans les communes et leurs groupements », ce qui répond aux interrogations de plusieurs maires. Donc, le principe de reporter au 31 juillet 2020 au lieu du 15 ou du 30 avril comme date butoir d’adoption du budget ainsi que l’arrêt des comptes de gestion et de gestion année 2019, est acquis. S’agissant du mécanisme permettant aux exécutifs territoriaux « d’engager, liquider et mandater des investissements en l’absence d’autorisation de leurs assemblées délibérantes et dans la limite réglementaire des crédits ouverts aux budgets des exercices précédents », cela n’a pas été évoqué à contrario des dépenses de la section de fonctionnement. Et qu’en est-il des autres délibérations notamment qui portent sur le vote des taux ? Il est permis de penser que le report du vote du budget primitif 2020, entraînera celui des délibérations fiscales.
Ainsi une vaste période « d’intérim » et d’incertitudes est ouverte. Certes les exécutifs et les conseillers vont conserver leur mandat jusqu’à ce que le second tour ait eu lieu mais de sérieuses incertitudes subsistent. Il est permis de penser que cette période sera consacrée au traitement des « affaires courantes » conformément à la jurisprudence classique.
L’année dernière à Mayotte, l’investissement public local a été supporté à 60% par les communes et 4% par les Intercommunalités de création récente. Il est clair que les investissements communaux vont être ralentis voire gelés dans certains cas au moins jusqu’au mois d’août 2020, sous le sceau de l’intérim. Une vraie catastrophe économique pour l’investissement public local sachant que ce qui est vrai pour les communes est aussi vrai pour les EPCI et le Conseil départemental.
COVID-19 et octroi de mer
Dans sa version du 20 mars 2020, l’article 1èr du projet de loi de finances rectificative pour 2020, destiné notamment à lutter contre le COVID-19, il est prévu de solliciter la matière douanière. Celui-ci dispose en ces termes. « Pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, un arrêté des ministres chargés du budget, de l’intérieur et de l’outre-mer, sur proposition des ministres concernés, fixe la liste des importations et des livraisons de biens nécessaires au secours aux populations ainsi qu’au rétablissement de la continuité des services publics et des infrastructures publiques, qui sont exonérés de taxe d’importation, de droits de douane, octroi de mer, droits de circulation et taxes d’accise de l’octroi de mer défini par la loi n°2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer dans ou les parties du territoire visées par le décret pris pour la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire. » Cette disposition a toute sa place dans ce contexte délicat de combat contre le COVID-19. En revanche, quelles seraient les conséquences pour les finances des communes de Mayotte qui puisent la part la plus important de leur budget dans l’octroi de mer ? Pour rappel, la recette est versée dans sa totalité aux communes en 2019 constituant ainsi une part plus substantielle que la Dotation Globale de Fonctionnement.
Il va sans dire aussi que les mesures de confinement indispensables à la lutte contre la propagation du COVID-19 entraînent un ralentissement de l’activité économique. Bien que l’impact sur la dynamique de la consommation des ménages ne soit pas encore connu, il est néanmoins probable que tous les secteurs seront atteints de façon plus ou moins homogène. La consommation des ménages, moteur de notre croissance économique, sera à posteriori très impactée aussi. Un impact qui pourrait se traduire à la longue par la diminution du volume de l’assiette de l’octroi de mer. Une situation que les futurs nouveaux exécutifs des communes se doivent d’anticiper au risque de déchanter dès le premier exercice budgétaire.
Quid du budget de l’Etat post-COVID-19
De toutes les façons, les finances de l’Etat auguraient déjà une addition salée avant l’apparition du COVID-19 : 20 milliards euros de suppression de taxe d’habitation, 17 milliards d’euros de mesures pour les gilets jaunes et les milliards d’euros relatifs à la réforme des retraites pour le moment suspendue(…). L’endettement de l’Etat est inévitable surtout que l’Union Européenne (UE) vient de décréter « la suspension inédite des règles de discipline budgétaire ». Il n’est pas non exclu que le gouvernement exige des économies post-crise aux collectivités : « A moyen terme, c’est-à-dire lorsque la crise épidémiologique sera surmontée, il est clair que le déficit budgétaire de l’Etat sera en priorité mobilisé pour soutenir les activités productives du pays et non les entités publiques », analyse le fondateur du cabinet CMK spécialisé en finances locales. D’ailleurs Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances déclare que le gouvernement n’excluait pas si nécessaire de procéder à des nationalisations en dernier recours, et pourrait également procéder à des recapitalisations ou à des prises de participation. « Nous n’allons pas laisser des fleurons industriels(…) partir en fumée parce qu’il y a une crise économique d’une violence qui est sans doute sans précédent depuis 1929 dans les pays occidentaux » a-t-il assuré. L’UE a déjà décidé de mobiliser les fonds structurels pour faire face à la pandémie et de mettre en suspens les règles les plus contraignantes, qu’il s’agisse du pacte de stabilité ou du cadre relatif aux aides de l’Etat. Le ton est ainsi donné car l’heure est grave.
Conclusion, à Mayotte, cette situation pourrait augurer une dégradation des finances des collectivités locales. Comme par le passé, les collectivités seront très certainement sollicitées pour participer au redressement des comptes de l’Etat. Les nouveaux mandats locaux pourraient se préparer sous contraintes financières.
COVID-19 : Plan de convergence et fonds européens
Les perspectives d’investissement public pour l’année 2020 en particulier à l’échelle des communes et des EPCI (Etablissements Publics de Coopération Intercommunale) s’annonçaient meilleures. « L’investissement public devrait connaître une forte hausse dans les prochaines années sous l’effet conjugué du contrat de convergence avec 1.6 MD d’euros, des dispositifs d’aide habituels de l’Etat aux investissements communaux et la monté en charge des intercommunalité (…). Ces investissements vont entraîner de nouvelles charges que les collectivités devront assumer. D’où la nécessité de bien maîtriser les dépenses de fonctionnement notamment celles du personnelles afin de libérer de la marge de manœuvre pour l’autofinancement et l’emprunt ».
Dans une perspective d’un déficit budgétaire abyssal annoncé de l’Etat, l’enveloppe du Plan de Convergence pourra-t-elle être maintenue au même niveau ? Ou servira-t-elle de variables d’ajustements d’année en année ? La question mérite d’être posée. De toute évidence, ce qui serait vrai pour l’enveloppe du Plan de Convergence, pourrait l’être en ce qui concerne les Fonds européens. En effet, en fin d’année 2019, de très sérieuses inquiétudes sur la baisse des fonds européens dans le cadre Financier Pluriannuel 2021-2027 des RUP gagnaient les présidents des RUP. D’ailleurs Annick Girardin, ministre des outre-mer avait appelé ses homologues espagnol, portugais à la mobilisation pour « une meilleure prise en compte des spécificités » des territoires ultramarins. La situation économique post-crise de l’UE et singulièrement celle de la France ne sera pas meilleure même si les projections des spécialistes sont prudentes voire divergentes.
Le HUFFPOST du 27 mars 2020 s’interroge : « Après 1920 comme 2008, il a fallu aux Etats européens au moins une décennie pour s’en remettre. Est-ce ce qui attend l’économie française et mondiale ? Tous s’accordent pour dire que cela dépendra essentiellement de la durée du confinement et de la capacité de rebond des entreprises. Mais l’optimisme n’est pas franchement de mise ». Anne-Laure Delatte renchérit : « Les troisième et quatrième trimestres seront en récession. Nous sommes dans une économie endettée où les entreprises ont peu de liquidité », quand Nicolas Baverez « évoque une faible croissance potentielle de la zone euro, également ralentie par une dette forte et une administration plus lourde ».
En guise de conclusion pour ce chapitre, oui, tout ça est loin mais aussi abstrait serions-nous tentés de dire. Et pourtant, nous avons intérêt à nous préparer à toutes les éventualités. Car en l’absence d’un tourisme florissant et d’une industrie active capables de tirer notre modèle économique vers plus de croissance, une fois la crise sanitaire passée, notre espoir résidera dans le transfert public massif. Et pour l’instant, la conjoncture s’annonce bien morose tant au niveau de l’UE qu’à l’échelle nationale. Qu’adviendra-t-il du financement des infrastructures structurant telles la réalisation de la piste longue ou la construction du 2ème hôpital, deux annonces du président de la république ?
COVID-19 : Mesures économiques d’urgence
Face à la crise économique qui se pointe à l’horizon, le gouvernement vient de dégainer une deuxième mesure. En complément des dispositifs de soutien tels que le report des échéances sociales et fiscales, l’activité partielle des salariés et le fonds de solidarité en faveur des TPE/PME, il institue le « prêt garanti par l’Etat », que nous avons appelé de nos vœux dans une précédente tribune. Les chefs d’entreprises apprécieront.
Au plan local, le département est timide et ses prises de décisions molles. On note un réveil ce lundi avec le déblocage de 14 millions d’euros pour le monde économique. Mais le ton monte chez les organisations professionnelles : « Profiter de la crise pour ne pas payer se factures quand on est une collectivité, c’est mettre l’ensemble du système économique en péril. Car le « rebond » économique dont parlait le préfet ne se fera pas si les entreprises meurent pendant la crise ». Ces mots seraient ceux d’un chef d’entreprise et sont très lourds de sens à quelques nuances près.
Il est impensable de croire que les exécutifs sont animés d’un sentiment belliqueux ou belliciste. La crise a pris tout le monde de cours. Mayotte a véritablement été victime de la lenteur structurelle de nos institutions additionnée d’une période électorale troublée au demeurant mal engagée. Nombreuses collectivités ont réalisé en 2019 des investissements lourds : remise à niveau des écoles, construction d’écoles neuves, construction de cantines scolaires, travaux d’assainissement (…) sur financement de l’Etat. L’Etat doit faciliter le remboursement de ces crédits aux collectivités. S’agissant des paiements du stock historique de factures restées en souffrance, de deux choses l’une : ou les collectivités disposent de la trésorerie nécessaire pour payer et dans ce cas un plan de continuité de service public, notamment les services de finances, doit être mis en place pour assurer cette priorité. Dans le cas contraire, une concertation entre l’Etat et les exécutifs territoriaux s’impose pour déterminer le montant exact des factures impayées ne relevant pas directement des opérations financées par celui-ci. L’engagement urgent des crédits du Plan de Convergence ne serait pas une gabegie pour soulager la trésorerie des collectivités. « Cette action apportera un peu de souffle dans une situation d’asphyxie économique » selon le MEDEF.
Par ailleurs le silence du Conseil départemental inquiète. Il a la charge de la gestion des transports scolaires. Les entreprises de ce secteur sont victimes de la fermeture légitime des établissements scolaires. Comment le département compte-t-il gérer ce marché tentaculaire ? Les engagements de ces chefs d’entreprises ne se limitent pas seulement au paiement des salaires. Il y a des engagements très lourds liés aux investissements, aux assurances. Une réponse claire et rassurante s’impose de la part du département.
Il y a aussi le cas des infirmiers et des médecins libéraux dont l’activité a nettement baissé sans oublier les ambulanciers. La CSSM ne doit pas se soustraire de sa responsabilité s’agissant de leur sort. Un plan d’aide doit accompagner la réduction de leur activité.
Reste le cas très délicats des personnes vulnérables relevant de l’économie informelle et les sans-emplois. En 2011, au plus fort de la grève contre la vie chère, avant l’instauration du bouclier qualité/prix, l’Etat avait décidé de la mise en place d’un dispositif d’aide directe aux ménages fragiles sous la forme de bons d’achat. Les crédits du FMDESC (Fonds Mahorais de Développement Economique, Social et Culturel), financement disponible durant la période, avaient été mobilisés à hauteur de 3 millions d’euros. La mesure gérée par la CAF avait permis de venir en aide immédiatement aux familles. La décision de proroger les mesures de confinement jusqu’au 15 avril 2020, accentue en perspective les difficiles conditions de vie de ces familles. La période de Ramadan s’ouvrant à la fin de mois d’avril, n’arrangera pas la situation. Les pouvoirs et les autorités locaux auront fort à faire pour imposer et faire respecter les mesures de confinement à la population. La période de ramadan est sacrée à Mayotte, faut-il le rappeler. A l’instar de la décision qui a été prise en 2011, la mobilisation des crédits du Plan de Convergence serait une mesure salutaire.
Conclusion
Les pistes de réflexions proposées dans notre dernière tribune ont eu écho. Nous pensons que les autorités peuvent mieux faire. Il nous faut néanmoins un moteur, une locomotive pour compléter l’action de l’Etat. Le Conseil département peut encore jouer ce rôle dans son fonctionnement régional. La population, le monde économique et les salariés ont besoin d’un discours rassurant, de décisions concrètes traductibles en mesures de sauvegarde des emplois et de l’économie.
RESPECTONS LE CONFINEMENT !
Issihaka ABDILLAH
Quand il était élu, il faisait les mêmes analyses?