Il y a eu ce discours ce mardi depuis l’usine de fabrication de masques de Kolmi-Hopen à Angers. S’expliquant sur la pénurie, « parce qu’on est passé d’un coup de 4 millions à 400 millions de masques par semaine », en comptant toujours sur la production mondiale, le chef de l’Etat a souhaité recentrer, pour « produire davantage en France, sur notre sol ». Il fut alors question à plusieurs reprises de souveraineté française et européenne, dans un contexte où la mondialisation des outils de communication, faisait de la planète un grand village, et où nombre de productions avaient été délocalisées. Une usine de la région de Saint Brieuc qui produisait 200 millions de masques par an avait d’ailleurs délocalisé son activité en Tunisie. Une réalité virtuelle dont nous a, pour un temps, sorti le Coronavirus. « Fin avril, nous serons passés d’une production de 3,3 millions de masques à 15 millions » sur notre sol, a asséné le président. Idem pour les respirateurs, la production passera à 1.000 « d’ici mi-mai », grâce à un consortium Air Liquide-Schneider électrique-Valeo-PSA.
« La priorité est de produire davantage en France », et pour fournir, « ceux qui sont en première ligne, les soignants, mais aussi ceux qui sont en deuxième ligne et qui permettent au pays de tourner », une histoire de cordées, Emmanuel Macron avait cité auparavant « les transporteurs, les forces de l’ordre, les caissières et caissiers ».
Les deuxièmes couteaux qui avaient grossi les rangs des gilets jaunes et qui se retrouvent quasiment en tête de cordées. Tout comme les soignants des urgentistes qui avaient mené une grève de plusieurs semaines avant que n’éclate l’épidémie.
La panne est là
A ce sujet, le conseiller économique Philippe Nikonoff, qui avait accompagné les communes mahoraises, nous a communiqué un texte qu’il avait écrit en octobre 2017, portant sur le concept de la « dépense évitée » grâce au travail des fonctionnaires. Il préconise de ne plus seulement regarder la charge que représente un fonctionnaire, mais aussi combien il peut « éviter de dysfonctionnements générateurs de coûts pour la collectivité » : « La dépense qu’ils représentent a pour contrepartie une dépense évitée : meilleure santé, meilleure éducation, sécurité, ponctualité au travail, etc. Cette partie est difficile à mesurer et la dépense évitée n’est approchable que par des méthodes probabilistes : on ne sait pas calculer précisément les coûts sociaux évités mais on sait qu’ils existent… » Ne pas avoir calculé la valeur ajoutée d’un emploi public, d’agents qui « font société », c’est peut-être là l’erreur, et c’est par là qu’il aurait fallu commencer.
Il le compare à un service de maintenance, « on ne mesure ce qu’il économisait que lorsque les pannes sont là… (…) ‘Faire société’ est infiniment plus complexe que gérer une maintenance et doit donc amener à un regard plus subtil, plus complet, plus transversal sur l’emploi public. Une société en panne est infiniment plus complexe à réparer qu’une machine en panne… ».
Les « mégafeux », pas qu’une métaphore
Même s’il ne faut pas occulter que certains « premiers de cordée », s’ils sont confinés, travaillent à distance, et souvent au delà de leur emploi du temps habituel, on retrouve au premier plan, ceux-là, ceux qui avaient alerté sur leur manque de moyens, et le président Macron le soulignait, « ceux qui font tourner le pays », juste retour de l’histoire. Son annonce de revalorisation des carrières des personnels hospitaliers ainsi que des primes exceptionnelles, ne doit pas se perdre dans les limbes de la fin de crise pour des infirmiers qui gagnent seulement 1.500 euros net primes comprises en début de carrière, et 2.400 euros en fin, selon Thierry Amouroux Porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC.
L’histoire leur donne bien évidemment raison sur le déficit de moyens hospitaliers mais quel système de santé n’y eut été confronté dans cette épidémie hors norme d’une ampleur inédite ? Une certitude, l’étincelle de départ, celle qui aurait permis d’éviter la propagation, et peut-être le confinement, et qui vient d’une note d’un fonctionnaire, mais celui-là peu pourvoyeur de valeur ajoutée, certainement de Bercy, et qui ne renouvela pas la commande de masques il y a dix ans.
« Si l’intention est véritablement de changer les pratiques, cela passera nécessairement par une réhabilitation de l’impôt et de l’emploi public », souligne encore Philippe Nikonoff, qui dresse un parallèle avec les soldats du feu, « qui ont eux aussi alerté sur la baisse de leurs moyens et les risques pris ». Et notant que « ces derniers mois et notamment depuis l’été et l’automne 2019, des ‘mégafeux’ incontrôlables apparaissent », il interroge sur « l’évolution des moyens accordés à ces services (qui) devra être regardée avec attention. »
A.P-L.