Passeur : un « business » à 8000€ par mois et 6 ans de prison

Un réseau de passeurs particulièrement cynique a été condamné à de lourdes peines de prison ce mercredi à Mamoudzou. Les immigrants payaient leur voyage à Anjouan, puis à Mayotte ils étaient séquestrés jusqu'à paiement d'une rançon par leurs familles. Plusieurs ont perdu la vie en mer dont deux enfants.

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2012
Plus d'un millier de passagers est passé entre les mains des trafiquants

C’était « un business » ose un des six prévenus à la barre. « J’étais à mon compte » se défend un autre. Dans leur vocabulaire, le trafic d’êtres humains orchestré par ces passeurs n’était qu’une simple entreprise dans laquelle les êtres humains exploités étaient qualifiés de « colis ». Devant leurs juges, aucun ne semble prendre la mesure de l’horreur qu’ils ont infligée pour s’enrichir.

Ce réseau démantelé en 2017 fonctionnait en binôme avec un réseau anjouanais. Seuls les protagonistes installés à Mayotte ont été interpellés. L’un d’eux, relâché sous contrôle judiciaire pendant l’enquête, est en fuite.

Le fonctionnement était bien rodé. Comme pour d’autres réseaux, les passagers payaient cher leur traversée à Anjouan. A l’approche des côtes mahoraises, un mineur prenait la barre du kwassa pour éviter une lourde condamnation au vrai passeur en cas d’interception. Puis la barque beachait sur l’îlot M’Tsamboro où les passagers étaient débarqués jusqu’à leur prise en charge par la filière française. Du moins quand l’embarcation arrivait à destination. Au moins une barque a chaviré pendant la traversée, coûtant la vie à trois passagers dont deux enfants. Trois autres sont toujours portés disparus.

Après la traversée, le piège

Les passagers étaient récupérés sur l’îlot Mtsamboro puis séquestrés

Mais après l’enfer d’une traversée sur des barques bondées et sans aucun matériel de sécurité, les passagers venus chercher « une vie meilleure » passaient de Charybde en Scylla. Car les membres du réseau côté français ne se contentaient pas de les acheminer en Grande Terre. Une fois récupérés sur l’îlot M’Tsamboro et débarqués à Handréma, ils étaient pris en otage par les passeurs, qui orchestraient alors un juteux chantage. Pendant plusieurs jours, ils étaient séquestrés, jusqu’à ce que leurs familles payent une rançon qui s’élevait à plusieurs centaines d’euros. Un « surcoût » qui n’était bien sur pas mentionné lors du départ.

Si la méthode montre une fois de plus tout le cynisme des passeurs, elle était aussi extrêmement lucrative. L’un des protagonistes estimait à la barre toucher jusqu’à 8000€ par mois avec cette « activité ».

L’affaire juteuse aurait pu durer encore plus longtemps si une des victimes de ce chantage n’avait pas alerté les gendarmes, conduisant à l’arrestation d’un des geôliers. La saisie de son téléphone permettra courant 2017 d’identifier tous ses complices, et de les faire tomber.

« Cimetière marin »

Le substitut Ludovic Folliet réclamait une peine ferme et « plus que dissuasive »

Qualifiant les prévenus de « prédateurs », le procureur Ludovic Folliet n’avait pas de mots assez durs pour résumer « toute cette dimension écœurante qui traduit un manque d’empathie symptomatique ». Il exprimait d’abord sa « frustration, car bien souvent les personnes contrôlées sont des petites mains. Dans ce dossier on s’attaque à un réseau plutôt constitué. Ces prévenus ont mis en place tout une méthode pour vivre de manière pérenne et lucrative du commerce des migrants. Il s’agit d’un commerce morbide et macabre. Derrière les traversées il y a des drames humains car il n’y a pas de règles de sécurité, il n’y a pas de bouée, pas de gilet, les barques sont surchargées et il arrive qu’elles chavirent. Dans ce dossier il y a deux enfants noyés, ce sont des vies interrompues brutalement parce que des individus peu scrupuleux ont voulu en tirer profit. »

Un profit difficile à évaluer, car l’enquête ne compte que les bénéfice engrangés pendant les investigations, et on ignore quand le réseau s’est mis en place. En tout cas en quelques mois,  » énormément d’argent a circulé. On évoque 240 000€ et plus de 1000 clandestins, ça n’a rien à voir avec ce qu’on constate au quotidien. Ces gens se sont dit qu’il y avait une opportunité commerciale. Le migrant est qualifié de colis qu’on transporte en échange d’argent. Ils profitent au maximum de la vulnérabilité et de la misère humaines, transformant la mer entre Anjouan et Mayotte en cimetière marin. »

Devant cette « bande organisée », le procureur réclamait des peines de 4 et 5 ans de prison, assorties d’interdictions de territoire français. Le tribunal, fait rare, est allé au delà des réquisitions, prononçant 5 ans de prison envers la plupart des prévenus, et 6 ans envers les deux cerveaux présumés du réseau.

Y.D.

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