Une équipe de film est à Mayotte. En soi, c’est un événement, car c’est la première fois qu’un long métrage est dédié à l’île. Ils sont là pour adapter le livre « Tropique de la violence » de la mauricienne Nathacha Appanah, prix Fémina des lycéens 2016.
Un livre sombre sur ce qui se passe dans le quartier de Gaza à Kawéni, qui suit l’itinéraire d’un jeune, élevé par une infirmière, et qui sombre dans la délinquance, tout en gardant son âme d’enfant. Un sujet qui colle à la réalité de certains d’entre eux, embelli uniquement par le style de Nathacha Appanah. Mais notre crainte de voir ternir un peu plus l’image de Mayotte, notamment aux yeux des métropolitains, était tenace quand nous les avons rencontrés. Un échange que nous retranscrivons à la mode de son auteure.
Moi – Ça fait un moment que je suis sur cette île qui essaie d’avancer malgré tous les écueils, et là, un film risque d’en donner encore une fois une image dégradée.
Manuel (Schapira, le réalisateur) – Avant de lire ce livre, je ne connaissais pas Mayotte, et là, je me dis, mais comment c’est possible qu’un des plus beaux endroits de France soit laissé pour compte ! Le lagon et la forêt ont quelque chose de télégénique, et personne ne les met en évidence. C’est l’absurde d’abandonner comme ça ce département français qui a un potentiel de fou. Et personne n’est au courant. C’est compliqué à expliquer, mais je suis passionné de mathématiques, et je cherche la logique qui a abouti à cette situation.
Moi – Il n’a pas l’air de comprendre que la noirceur du récit et le drame vécu par le jeune Moïse peut ternir l’image de Mayotte. Et cette infirmière passionnée par le territoire au début puis qui sombre, en mal d’enfants, ça ne va pas booster les candidatures au CHM…
Carole (Lambert, la productrice) – En fait, nous ne collons pas au récit. Il n’arrive pas à notre personnage central, Mo, les faits de la même gravité qu’à Moïse. Son aventure est allégée, il y a plus de douceur, d’ailleurs, nous avons dû choisir un autre titre, « Le destin de Mo ». C’est l’histoire d’enfants qui réunissent leurs énergies pour arriver à grandir. Nous avons coproduit le film avec France 2, ça s’adresse aussi aux adolescents, nous ne voulions pas que ce soit interdit aux moins de 12 ans.
Manuel – Il faut comprendre que c’est un projet d’une grande envergure qui ne peut être porté sur du long terme que si on a le sentiment que le film va aider le territoire, sinon, personnellement, je ne pourrai pas le faire. Cela fait trois ans que nous travaillons dessus à plein temps, et que nous voulons montrer les différentes facettes de l’île.
Moi – Du coup, je ne comprends plus, ils travaillent tous les deux avec les jeunes des quartiers, ou pas ?…
Carole – Par définition, tous les jeunes avec lesquels nous travaillons sont français et scolarisés, sinon nous ne pourrions pas les recruter. C’est le premier film tourné ici, et ça nous demande du coup beaucoup d’énergie pour le repérage, avec un budget de 2,2 millions d’euros qui est englouti dans un surcoût incroyable sur l’île en billets d’avion, en frais de restaurant et d’hôtel. Nous commençons le tournage le 12 octobre pour 6 semaines, dont 4 à Mayotte, car du coup, nous sommes obligés de le faire pendant 2 semaines à La Réunion dont la Région alloue beaucoup de subventions, qui sont réinvesties du coup dans le territoire puisque nous employons leurs équipes.
Manuel – Il faut savoir que Mayotte est le seul territoire de France où il n’y a pas d’intermittents du spectacle, et qui ne possède pas de bureau du film, véritable mémoire de ce qui a été fait, et qui propose une organisation. Comme à La Réunion il y a plusieurs années, et ils se sont développés depuis. A partir de l’expérience que nous avons apportée, ce secteur doit pouvoir se développer ici. Nous travaillerons avec des scolaires en option « Audiovisuel », dont certains ont même été intégrés dans nos équipes techniques.
Carole – L’autre impact positif, c’est la réponse à tous ceux qui nous prennent pour des fous en métropole, du type « on peut faire quelque chose à Mayotte ? Et vous pouvez travailler en sécurité ? » On leur raconte comment est la vie à Mayotte, que nous sommes portés par les habitants, mais ils ne nous croient pas. Nous faisons venir des comédiens, notamment Dali Benssalah, qui joue dans le prochain James Bond, ils pourront témoigner de leur expérience mahoraise.
Manuel Schapira a réalisé de nombreux courts métrages, décroché l’Ours d’Argent à Berlin pour « Décroche », et a été nommé aux Césars. Il a tourné Damoclès avec Manu Payet pour Arte, et a travaillé sur une série avec Yvan Attal.
Carole lambert a notamment produit « Gueule d’ange » avec Marion Cotillard.
Anne Perzo-Lafond