La majorité du conseil départemental souffre du mal des transports

La sortie tonitruante du 2ème vice président Hadj Mhoko sur les ondes de Mayotte la 1ère n’aura pas laissé indifférent. L’occasion pour nous de revenir sur le contexte du marché de transport scolaire, et d’entendre des propositions novatrices de plusieurs bords, susceptibles de répondre aux dysfonctionnements.

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Le vice-président Hadj Mhoko a porté un coup visible à l'unité de la majorité

Les files interminables de véhicules s’allongeaient au fur à mesure que s’égrenaient les heures ce mardi matin. Un peu partout, les élèves faisaient entendre leur mécontentement de ne pas être ramassés pour la 2ème semaine consécutive à la rentrée, aux moyens de barrages, une assurance facile de congestionner le département à l’unique route principale.

Coincés dans leur voiture, les automobilistes ont pu entendre à la radio, l’intervention décoiffante de Hadj Mhoko Issoufi Ahamada. C’était même la bombe de la journée, le 2ème vice-président du Département ayant lâché qu’il était tenu de taire son désaccord sur le 3ème avenant en raison d’un appui sans faille, « juré sur le Coran », au président Soibahadine lors de son élection en 2015. « Nous n’avons pas le choix ensuite, nous devons nous soumettre ». Il explique ainsi la politique de la chaise vide menée par les quelques élus de la majorité qui désapprouvaient cet énième avenant, mais ne pourrait dédire leur engagement.

Ces élus de la majorité dissidents d’un jour, défendaient le groupement de petits transporteurs Ouvoimoja Transports, qui demande à exister au delà d’une cotraitance ou d’une sous-traitance, et qui sont lassés d’avenants à répétition, qui plus est illégaux. Leur représentant Mahamoud Azihary a de longue date dénoncé des abus dans la rédaction du premier marché dont Matis serait bénéficiaire. Nous avons expliqué le fonctionnement actuel du marché, avec ses deux titulaires, Matis (groupe Mooland) et Tama ya leo na meso.

La majorité vient donc d’éclater sur ce dossier, ce que nuance Hadj Mhoko que nous avons contacté, « je ne partageais pas le même avis que le président sur ce dossier seulement ». C’est malgré tout une brèche.

L’urgence du 31 juillet n’en est pas une

Gros déploiement de police au rond-point Mega où les élèves avaient érigé des barrages ce mardi

Un élu conteste cette vision d’un détournement de foi, en expliquant que l’allégeance au président sur la foi du Coran fut un engagement sur l’unique jour du vote en avril 2015, « pour éviter les revirements de dernière minute. Il n’est en aucun cas question de s’engager sur la durée. Ce serait trop grave sinon. » Et même un déni de laïcité républicaine. N’est pas les USA qui veut.

Comme nous l’avions expliqué, deux contestations se font jour en cette rentrée scolaire. Celle portant sur l’avenant au marché tout d’abord, déguisé en Convention de gestion pour faire dans le légal. Le conseiller Mhoko explique que pour éviter d’en arriver là, c’est à dire à la grève des 5 transporteurs d’Ouvoimoja Transport, une autre solution existait, celle d’un marché de gré à gré. Un dispositif très encadré, qui ne peut cependant être dégainé que lors d’une urgence, comme ce fut le cas pour la commande de l’usine de dessalement à Vinci en pleine pénurie d’eau en 2017. Dans le cas qui nous occupe, l’autorité de gestion qu’est le conseil départemental savait que le marché des transports scolaires arrivait à échéance au 31 juillet. C’est d’ailleurs pour cela que le 2ème vice-président fustige ses services administratifs sur leurs manques d’efficacité et de professionnalisme dans le montage des dossiers.

Deuxième fronde, celle de Matis. La direction tout d’abord, déboutée par la justice dans sa demande d’annulation de la passation du nouveau marché pour 2021, pour diverses raisons, mais on voit que c’est un des nœuds du problème et de la situation que nous connaissons aujourd’hui, chacun voulant préserver ses parts de marché. Des salariés ensuite, sur leur garantie de maintien dans l’emploi lors de la passation du nouveau marché. La grève de ces derniers perturbe considérablement le ramassage des scolaires. La centaine de bus de la société Tama ya leo na meso n’arrive pas à étaler, et plusieurs espèrent une réquisition du préfet pour dénouer la situation en attendant qu’un accord soit trouvé, « il y a quand même troubles à l’ordre public ! », entend-on.

Un accord ne sera trouvé que si la phrase inquiétant les salariés les mentionnant comme « susceptibles d’être repris », est retirée de la rédaction du nouveau marché.

« Trop nombreux pour être ramassés »

Gros embouteillages au nord et au sud de Mamoudzou

Pour un connaisseur du dossier, le cadre légal est suffisant : « Le code du travail applicable à Mayotte stipule bien que sous certaines conditions, on peut reprendre le personnel. Il suffit donc de rédiger un procès verbal pour en rappeler les références. »

Le nouveau marché est scindé en 7 lots, dont un dédié à la gestion. Ils tiennent compte d’un découpage géographique, se réjouit Houlame Chaharmane, représentant de Tama ya leo na meso : « C’est mieux que le découpage actuel qui impose à nos bus d’être disséminés sur le territoire. Quant au nouveau marché, nous nous repositionnons comme exploitant comme lors du précédent ». Nous avons rencontré un de ses chauffeurs autour du rond-point Mega à Kawéni ce mardi : « Ce matin, je n’ai pas pu ramasser d’élèves, tant ils étaient nombreux et agglutinés à l’arrêt de bus. Il n’est plus question de distanciation sociale ni de masque », nous explique celui qui ne quitte pas le sien. Par contre, il ramènera les élèves chez eux dans la rotation de fin de journée.

Pour permettre un fonctionnement optimal de ce marché et éviter les tiraillements entre Matis, Ouvoimoja Transports et les concurrents éventuels comme L’oiseau bleu, Hadj Mhoko préconise de basculer en régie de gestion, avec un recentrage direct de la gestion au conseil départemental, « ça fonctionnait comme ça avant », nous rappelle-t-il. Mais depuis, le marché a grossi, et est même très dynamique avec une population scolaire qui cible jusqu’au 18 ans. Il faut donc des compétences à la hauteur de l’enjeu.

Confier la gestion à une société d’économie mixte

Pour Issihaka Abdillah, l’étendue du marché suppose de changer de cadre de gestion

D’autres protagonistes du dossier au Département préconisent de relancer le marché en l’encadrant, « et si notre administration ne suit pas, il faut se faire assister par des compétences extérieures ! »

C’est un mix que propose notre chroniqueur Issihaka Abdillah que nous avons sollicité en tant qu’ancien conseiller général : « La gestion de ce marché pourrait être allouée à la SPL976, revue et dimensionnée puisqu’elle fut victime d’un désastre politico-financier. C’est un excellent support, notamment de gestion de service public. L’économie mixte est mieux encadrée qu’une régie, car ouverte à l’entrée dans le capital à des sociétés comme la Caisse des Dépôts ou l’AFD. En tout cas, une société d’économie mixte à la gestion modernisée me semble être une bonne solution. »

On voit que le tir comporte trois paliers. Régler en urgence le problème du ramassage des scolaires, notamment par une réquisition, puis, rassurer les salariés de Matis sur leur reprise. Et enfin, rédiger une passation de marché qui laisse de la place à tous, notamment aux petits transporteurs au sein d’une structure idoine. « Pour leur donner une chance, on peut favoriser les réponses par groupement. Car un petit transporteur seul n’aura pas assez de garantie financière pour assurer sur la longueur, surtout si le conseil départemental paie ses factures à 2 ou 3 ans », soumet encore l’ancien élu.

Les élèves attendent des réponses rapides, mais on ne saurait trop les inciter à s’organiser momentanément par village en covoiturage, la plupart des voitures étant vides de passagers ce mardi matin.

Anne Perzo-Lafond

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