La préfecture était parvenue à gommer l’image détestable qui assimilait les chiffres des expulsions à ceux de la délinquance qui prévalait il y a dix ans. Depuis, ils étaient intégrés à deux chapitres différents. Les déclarations de Jean-François Colombet au journal télévisé de Mayotte la 1ère, assimilant la délinquance et l’immigration, vont relancer la polémique.
On suppose qu’il s’agit pour le préfet d’indexer l’errance des jeunes liée à la situation irrégulière des migrants, qui souvent sont reconduits en abandonnant leurs enfants sur le territoire. Mais parce qu’elle est généraliste, la déclaration est injuste et infondée. En témoignent les élèves assidus sur les bancs de l’école, et les cadres mahorais issus de l’immigration. Des propos aussi sensibles auraient donc mérités un préambule, un développement et une conclusion détaillée. Au lieu de quoi, la petite phrase poursuit son chemin, induisant un fort écho de la part de la Cimade Paris, dont la présidente Dominique Ségard, adresse un communiqué aux médias.
« Mayotte: l’Etat décomplexé met de l’huile sur le feu
Ce mois d’août à Mayotte a connu un regain de violences. Les réseaux sociaux s’enflamment, des élus s’en font l’écho dans la presse nationale, les tensions intracommunautaires augmentent de jour en jour, les adultes appellent à la vengeance en rejetant la justice républicaine, les plus jeunes se vengent, eux-aussi, caillassent. Il y a des victimes.
Alors qu’un geste fort de l’État est attendu pour apaiser ces tensions grandissantes et dangereuses pour l’ensemble de la population, des déclarations incendiaires du préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, ont été diffusées dans les médias. Elles constituent une attitude discriminatoire sans précédent pour un représentant de l’État :
« Ça n’est pas politiquement correct de le dire, mais je le dis et j’assume mes propos : il y a un lien direct entre l’arrêt de l’éloignement[1] et la flambée de violence, car il y a un sentiment d’impunité qui s’est installé. »
« Depuis le 16 mars, nous ne pouvons plus reconduire les étrangers en situation irrégulière dans leur pays. Ces 13 000 personnes que nous aurions dû reconduire […] et qui se livrent à des luttes d’appropriation, des luttes territoriales pour exister, et qui donnent lieu à une délinquance d’appropriation, simplement parce qu’il faut qu’ils vivent, qu’ils trouvent une ressource. Et donc nous subissons de plein fouet l’arrêt des éloignements. »
Le plus haut représentant de l’État à Mayotte assimile les personnes étrangères et en situation administrative irrégulière à des délinquants. Sur un territoire blessé et fragilisé par une crise sanitaire et une situation sociale catastrophique, ces amalgames et ces approximations sont dangereuses.
Un certain nombre de personnes ayant commis des actes délictueux seraient des mineurs. Or, les mineurs ne sont jamais en situation irrégulière en France. Pour remédier à la violence des jeunes à Mayotte, il est temps que l’État investisse massivement pour donner un avenir à cette jeunesse, pour l’avenir de toutes et tous à Mayotte.
Quant à la « délinquance d’appropriation », dont parle le préfet, elle est certainement d’abord liée à la très grande pauvreté partagée par une grande partie de la population, française ou étrangère, quelle que soit sa situation administrative. L’absence d’emploi n’épargne personne et le RSA est à 282 euros (564 en métropole) ce qui constitue une véritable discrimination sociale. Et la crise sanitaire du Covid-19 a déstructuré l’économie de survie.
Non les 13 000 personnes que le préfet n’a pas pu expulser ne sont pas 13 000 délinquants. Ce sont principalement des gens ordinaires, des pères et mères de familles, des personnes âgées, malades parfois ou des étudiant·e·s. Ces personnes ont simplement un problème administratif qui n’existerait peut-être pas dans un autre département. En effet, à Mayotte, le régime dérogatoire du droit et l’impossibilité d’accéder aux guichets de la préfecture fabrique la précarité et augmente le nombre de personnes en situation irrégulière.
Les accusations du préfet qui visent à stigmatiser une partie de la population auraient-elles pour objectif de détourner notre regard d’une gestion de crise au rabais qui a conduit à cette flambée de violence sans précédent ? Cette attitude n’est pas à la hauteur d’un État de droit et n’apporte pas une réponse adaptée à la gravité des problèmes que nous avons à surmonter toutes et tous ensemble.
[1] Le préfet évoque ici les expulsions des Comoriens en situation irrégulière vers l’île voisine Anjouan, 27 000 en 2019 soit 10 % de la population de l’île.
Auteur: Service communication
Pire des faits sont cachés sciemment comme la réouverture du CRA, le nombre réel d’expulsions réalisées en pleine pandémie (Ce serait selon la Préfecture, une condition posée par l’Union des Comores qui a exigé la discrétion dans les tractations en vue de pouvoir réexpulser prochainement massivement) ainsi que l’existence du cluster au CRA de Mayotte dénoncée par la police.