On a tous en tête la petite phrase réaliste de Jamel Mekkaoui, l’ancien directeur de l’antenne locale de l’INSEE, « Mayotte, riche parmi les pauvres et pauvre parmi les riches ». Et à la lecture de l’analyse du Think Tank « #OUTREMER », adossé à la FEDOM (Fédération des entreprise d’outre-mer), on s’aperçoit qu’ailleurs, la mangrove est à peine plus verte. Créé en 2013, ce groupement est composé de représentants de chacun des territoires ultramarins, et de quelques hexagonaux y ayant exercé. Mayotte a été intégrée en 2016.
Le point de départ de l’analyse « Quelles nouvelles perspectives de développement pour les outre-mer ? », c’est le mouvement des « gilets jaunes » en métropole ou outre-mer, qui a incité ses membres à « enrichir la réflexion sur l’évolution nécessaire de l’action publique en outre-mer ». Avec la volonté de « faire progresser les pratiques démocratiques » et de « responsabiliser les acteurs locaux et nationaux sur les enjeux de développement de ces territoires ultramarins ».
Bien que concernant l’ensemble des départements, il semble que des passages entiers soient une description du seul 101ème département : « Taux d‘emploi faible, chômage élevé notamment chez les jeunes, part prépondérante des services non marchands dans l‘activité économique, importance du travail dissimulé, très faible couverture des importations par les exportations, grande dépendance par rapport à l‘Hexagone, illettrisme et système éducatif peu performant, prix élevés notamment des produits alimentaires et de première nécessité, importance de la délinquance et des violences urbaines et intra- familiales, persistance des maladies dites tropicales, parallèlement au développement de maladies telles que l‘obésité ou le diabète, services publics insuffisants dans certains territoires (présence médicale) et notamment à Mayotte et en Guyane (écoles, eau potable…) ou à l‘abandon (service de l‘eau aux Antilles), production énergétique encore largement carbonée. Enfin, un grand nombre de foyers sont non imposables, ce qui s‘accompagne d‘un taux de pauvreté très supérieur à celui de la métropole et d‘inégalités plus accentuées. » Rajoutons que une personne sur trois outre-mer est couverte par un des minima sociaux, soit 3 fois plus que dans l’hexagone.
70 ans de politiques publiques contre seulement 9 ans à la petite semaine à Mayotte
Certains y verront matière à relativiser notre piètre situation, mais d’autres s’alarmeront sur le danger d’être trop rapidement assimilés au groupe des 5 DOM. Car l’analyse de « #Outre-mer » part du constat que « les politiques de rattrapage conduites depuis plus de 70 ans ont atteint leurs limites, et doivent faire place progressivement à des politiques fondées sur un développement mieux ancré dans l’environnement local et régionale ». Si la deuxième partie du postulat est vrai, en témoigne le dynamisme de la création d’entreprises à Mayotte qui doit en effet être accompagné, il ne faut pas priver l’île des politiques publiques de rattrapage dont ont bénéficié nos 4 grandes sœurs en 1946. Car, si Mayotte était déjà française, elle n’a commencé à profiter d’un début d’investissement qu’en 2011, année de sa départementalisation, avec un stop lors de la bascule comme RUP dans le giron européen, avec une double punition : la diminution des fonds nationaux qui devaient structurer le territoire, au bénéfice de ceux de l’Europe que nous avons eu du mal à consommer faute de compétences et de structuration précisément.
D’autre part, nous avons pris le train de la décentralisation en marche, sans avoir été préparé à gérer des structures que l’Etat avait conservées de longue date dans les autres DOM. Et ce train s’est transformé en omnibus, devant les difficultés que rencontre le Département à gérer ces compétences, transports, etc. D’ailleurs, sur l’ensemble des 5 DOM, le document pointe un Etat déconcentré qui « n‘a pas su s‘adapter aux nouvelles responsabilités des collectivités territoriales par un renforcement de ses fonctions de conseil et de contrôle ». Sont notamment cités le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire.
Le « rétablissement de la sécurité » comme préalable
Les auteurs arrivent à la même conclusion que notre intersyndicale de 2018, avec des nécessaires « interventions massives en Guyane et à Mayotte » notamment sur des « moyens en ingénierie » et « en financements complémentaires pour investir et rénover les services publics défaillants ». Ils insistent tout particulièrement sur « la nécessité de redonner des marges de manœuvre aux collectivités territoriales pour investir et restaurer la confiance des citoyens envers leurs élus », et formulent à cet égard de nombreuses pistes d’accompagnement : « sécurité, aménagement, accessibilité, services publics (desserte en eau potable, énergie, évacuation des déchets…), qualité des formations, connexion internet, qualité des eaux et des plages, mais aussi de mise en valeur des biens culturels ou de l’existence de festivals. Un bon niveau d’attractivité est indispensable pour attirer aussi bien les compétences recherchées par les entreprises ou les chercheurs (et leur famille) que les touristes étrangers. Le rétablissement de la sécurité constitue une des premières conditions à la liberté d’entreprendre. Elle exige de l’Etat une attention constante et des moyens. »
Et l’envie de rester et de venir sur le territoire est conditionnée par « l’appréciation que peut porter la population résidente sur la qualité des services rendus », notamment sur les équipements indispensables, crèches, écoles aux différents niveaux, université. « L’exemple récent (et toujours actuel) des ‘tours d’eau’ en Guadeloupe et à Mayotte est à cet égard emblématique de la contrepublicité dont peut souffrir une collectivité »… On ne saurait mieux dire !
La DGOM critiquée pour son manque de vision
Un état global des outre-mer pas fameux, un problème de gouvernance est d’ailleurs pointé du doigt : des « insuffisances » provoquées par des « restrictions budgétaires » mais aussi par la « tutelle du ministère de l’intérieur sur la Direction générale des outre-mer (DGOM) », provoquant un « affaiblissement de la capacité d’évaluation, d’expertise et d’animation interministérielle des politiques publiques », cette DGOM « ne parvenant pas à proposer à l‘Etat une vision ambitieuse et rénovée de l‘outre-mer ».
Parmi les solutions traditionnelles prônant l’accroissement de la productivité notamment en développant le secteur privé, se glissent des éléments novateurs, comme « le vivre et faire ensemble qui pourrait devenir la valeur phare de l’ensemble de l’outre-mer ». Et un modèle pour la métropole.
Alors que la rédaction du document s’achevait, l’épisode COVID-19 est tombé sur le monde. Les auteurs notent en outre-mer une adaptation intéressante avec la mise en place de « circuits courts d’approvisionnement et l’émergence d’initiatives heureuses de productions atypiques ». Mais on a surtout assisté à une « reconcentration des services de l’Etat », face à une crise que personne ne maitrise en Hexagone encore maintenant : « Les collectivités locales, après une période de sidération, ont réagi dans un certain désordre, avant de redécouvrir avec le préfet l’intérêt d’une vraie collaboration », et cette brutale secousse sociétale « aura fait encore plus espérer une vraie vision collective Etat, Collectivités territoriales, populations, de perspectives partagées pour chacun de nos DROM.
Si l’épisode COVID-19 pouvait déboucher sur cet acquis, ce serait un remarquable effet collatéral. »
Consulter l’étude outremer-Quelles-perspectives-de-developpement
Anne Perzo-Lafond