Avec le JLD, dans les coulisses de la détention provisoire

Souvent attribuée à tort au procureur, la détention provisoire ou la libération sous contrôle judiciaire sont le fait d'un juge indépendant, le JLD, juge des libertés et de la détention. Créé en 2000, ce poste est devenu un des plus importants dans la protection des libertés individuelles. Nous avons suivi une matinée celui de Mamoudzou, le juge Paul Hiernard.

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Le juge Paul Hiernard est accompagnié du greffier qui prend en note le contenu des débats.
Le juge Paul Hiernard est accompagnié du greffier qui prend en note le contenu des débats.

Sans lui, la prison de Majicavo aurait moitié moins de détenus. Le juge des libertés et de la détention, c’est celui qui décide notamment des placements en liberté provisoire des mis en examen, du maintien ou non en détention des détenus en attente de jugement, mais aussi du maintien en rétention des étrangers placés au CRA ou en zone d’attente.

Pendant toute une matinée, nous avons suivi le juge Hiernard, face à des suspects de crimes ou délits désireux de recouvrer la liberté.

Pour bien comprendre, rappelons le rôle de chacun. Dans le cadre d’une enquête criminelle, un juge d’instruction mène l’enquête sur saisine du procureur. Ce dernier peut enquêter de lui-même sur des délits plus simples. Quand un suspect est identifié et interpellé, il faut alors décider si on le place en détention jusqu’au procès éventuel, ou s’il peut rester libre sans risque de fuite, de réitération des faits, ou de pression sur les témoins ou les victimes (voir ci-dessous). Si le procureur et le juge d’instruction réclament le placement ou le maintien en détention, le mis en cause est renvoyé devant le JLD, qui a la lourde charge de trancher. Une étape relativement récente en droit français.

Jusqu’en 2000 en effet, le juge d’instruction décidait seul, dans l’intérêt de son enquête. Jusqu’au fiasco de l’affaire d’Outreau, il était alors considéré comme le juge le plus puissant de tous. La création du JLD a permis un contre-pouvoir et un regard indépendant sur la liberté et la détention.

Durant les quelques heures où nous avons suivi le juge Hiernard, plusieurs cas de figure se sont présentés à lui. Dans tous les cas , le procureur a réclamé le placement ou le maintien en détention. « Le JLD valide ou pas la demande de mandat de dépôt » (placement en détention) explique le juge.

Un juge indépendant

« Je trouve qu’on porte bien notre nom, la logique du parquet c’est de déférer à tout va, de demander la détention provisoire, c’est leur rôle, c’est bien de contrebalancer par un juge indépendant, c’est un 3e regard. Quand le parquet ouvre une instruction, il demande au juge de me saisir en même temps.

Je suis là en 3e ligne et en toute indépendance je dis oui, cette personne doit aller en détention provisoire, ou non il faut la placer en contrôle judiciaire »

Dans toutes les affaires de nature criminelle que nous avons pu suivre, le juge a suivi les réquisitions du parquet. Ce qui s’explique notamment par la gravité des faits, mais aussi la personnalité des mis en cause.

Le premier à comparaître était mis en examen pour des viols sur mineurs, et présentait un risque de réitération selon le psychiatre. Les suivants étaient mis en cause dans diverses affaires de vol avec arme et en bande. Tous encourent entre 20 et 30 ans de détention devant la cour d’Assises. Des « faits très lourds » note le juge devant l’un d’eux, un chef de bande présumé qui aurait selon le parquet « semé la terreur ». Sa personnalité lui valait d’être escorté par le GIGN.

En accord avec les autorités judiciaires, nous resterons volontairement vagues sur les faits et l’identité de chacun, pour ne pas handicaper les enquêtes en cours.

Mais quelle que soit la gravité des faits, lorsqu’un suspect est placé en détention provisoire, la loi prévoit que ce soit pour une durée de 6 mois. Passé ce délai, un débat contradictoire doit être organisé de nouveau. Le détenu est alors présenté de nouveau devant le JLD en présence d’un greffier, du procureur et de son avocat. Le premier note tout, le deuxième requiert généralement la détention, le troisième tente de défendre son client.

En théorie du moins car si le juge, le procureur et le greffier sont nécessairement présents, l’avocat lui, est rare dans les audiences JLD de Mayotte. Un constat « inconcevable en métropole ou à la Réunion » déplore le magistrat. De fait sur quatre affaires consécutives, aucun mis en cause n’a été défendu par un avocat. « Cela fait deux ans que je ne l’ai pas vu » regrette le premier à comparaître. Pareil pour le deuxième, passible de 20 ans de prison et qui y est retourné pour 6 mois de plus.

Il faudra attendre l’après-midi pour que deux affaires, délictuelles celles-ci, conduisent à des remises en liberté, l’un sera jugé ce mercredi, l’autre en novembre. Tous deux présentent de bonnes garanties de représentation.

Car le juge des libertés et de la détention ne décide pas de façon arbitraire.

Des décisions fondées « en faits et en droit »

Paul Hiernard
Le code de procédure pénale guide le JLD dans chaque décision

« Des fois les gens ne comprennent pas, mais moi je ne rends pas ma décision parce que j’aime quelqu’un, il y a des critères » poursuit-il.

« Un article du code de procédure pénale, l’article 144, liste les raisons pour lesquelles on peut mettre quelqu’un en détention provisoire : cela peut être pour le maintenir à disposition de la justice, éviter les concertations frauduleuses et les pressions, ou éviter la réitération. Quand je rends ma décision je dois viser ces objectifs et justifier ma décision » détaille le juge. Ces décisions sont prises dans le secret de la délibération, mais motivées auprès de l’intéressé.

Un autre critère, plus rarement avancé, est la mise à l’abri du mis en cause. Certains criminels pourraient en effet voir leurs vies menacées s’ils étaient remis en liberté.

Dans tous les cas, le juge garde la tête froide. « Il ne faut pas mettre de l’affectif, on est des juristes. Avec l’expérience on doit être professionnels, on a bien sur un avis mais la décision doit être fondée en faits et en droits, c’est ma ligne de conduite. »

Au fil des années, durant ses 20 ans d’existence, le JLD a vu ses pouvoirs étendus, jusqu’à devenir un des plus grands garants des libertés individuelles.

Le JLD est ainsi sur le front pour les maintiens en rétention administrative, ou les hospitalisations d’office. Mais d’autres cas sont plus spécifiques à Mayotte.

kwassa Badamiers
La destruction d’un bateau non conforme relève aussi du JLD

« Les Affaires maritimes me saisissent en cas de bateau non conforme pour avoir l’autorisation de détruire le bateau » ajoute Paul Hiernard. « Plus important, je suis là pour sauvegarder les libertés : par exemple pour mener une perquisition sans assentiment, c’est moi qui ferai une ordonnance pour autoriser la perquisition, de même pour les écoutes téléphoniques. Le juge d’instruction peut le faire de lui-même mais pas le parquet, il doit passer par moi. C’est moi aussi qui autorise les enquêteurs à recueillir un témoignage anonyme, c’est une procédure très particulière. »

Méconnu par les uns, incompris par les autres, le juge des libertés et de la détention peut être perçu comme une épine dans le pied des enquêteurs, tant son rôle est devenu un pivot dans la chaîne pénale. Pas de quoi inquiéter le magistrat.

« On n’a jamais assez de pouvoir pour protéger la liberté des gens, c’est un équilibre. Et puis, le parquet peut faire appel de ma décision s’il n’est pas d’accord. »

Y.D.

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