A Mayotte comme dans le reste de la France, l’accueil des demandeurs d’asile découle de la Constitution qui affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Mais à Mayotte moins que dans le reste de la France, les conditions sont remplies pour y parvenir, notamment en l’absence de l’Allocation pour demandeur d’asile (ADA). Et pourtant, ils arrivent en nombre sur le territoire, comme nous le rapporte Romain Reille, directeur de Solidarité Mayotte.
Le rôle de son association est d’accompagner administrativement ceux qui viennent se réfugier sur le territoire pour avoir subi des violences ou avoir été menacés dans leurs pays. Mais pas de sas d’attente pour lenteurs administratives. Il propose 55 places d’hébergement pour les primo arrivants, et 20 pour les statutaires
Il revient sur le contexte d’une aide alimentaire en dents de scie. En juillet, à l’issue de la manifestation des demandeurs d’asile devant la préfecture pour obtenir les mêmes droits que sur le territoire national, des bons alimentaires leur sont délivrés, de manière exceptionnelle, « c’était dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Depuis, elle a été stoppée. » Solidarité Mayotte prend le relais en octroyant 6 mois d’aide alimentaire, au bout desquels le dossier du demandeur d’asile doit normalement être examiné par l’OFPRA, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides.
Mais la dernière mission foraine sur notre île de la structure date de février, « depuis il n’y en a pas eue, en raison de la crise Covid ». Ce sont 300 dossiers qui ont été examinés alors, bien en deçà des besoins. Ce qui pose la question encore une fois, de l’installation d’une antenne OFPRA à Mayotte, « même de manière provisoire, le temps de traiter l’ensemble des dossiers en souffrance. Car la situation devient ingérable avec un nombre d’arrivée supérieur à celui du rythme de traitement des dossiers », déplore Romain Reille. Actuellement, ce sont 3.000 dossiers de demandeurs d’asile qui sont en file active, enregistrés à Solidarité Mayotte.
La présence de l’OFPRA, une « nécessité absolue »
Autres évolutions issues du confinement, la proportion de demandeurs d’asile des Grands lacs (RDC, Burundi, Rwanda, etc.) a diminué, « ils arrivent traditionnellement de Madagascar par voie aérienne, or ce n’était plus possible », au regard des arrivées plus importantes des Comores qui demandent asile. Mais également, le fonctionnement contraint des services de la préfecture pendant cette période n’a pas permis d’enregistrer toutes les demandes d’asile, « ils en prenaient 6 par jour quand nous en recevions 20. »
Il en ressort une « nécessité absolue » que l’OFPRA vienne sur le territoire. Cela avait failli se faire il y a 3 ans, sans suite mais l’organisme évaluateur des dossiers avait assuré vouloir passer 4 fois par an. On est loin du compte, même si le Covid n’a pas aidé, « la prochaine aura lieu en novembre ».
La demande d’asile suit plusieurs phases. A l’issue de l’examen du dossier, l’OFPRA peut donner une réponse favorable. Dans ce cas, le statut de réfugié est octroyé, et la personne obtient dans la foulée la nationalité française qui lui permet de se déplacer hors de notre territoire. Mais peu obtiennent ce sésame. « Il y a plus de 99% de refus pour les ressortissants des Comores, et en moyenne, environ 50% pour les autres nationalités, comme les africains des Grands lacs », rapporte Romain Reille.
Ceux qui sont déboutés de leur demande, peuvent avoir recours à la Cour National de la Demande d’Asile (CNDA). Dans le cas d’un nouveau refus, le demandeur peut redemander un examen à l’OFPRA s’il a des éléments supplémentaires, mais qui ne l’abrite pas d’une possible expulsion. En cas de refus répétés, souvent au bout de deux à trois ans, il reste sur le territoire en situation irrégulière.
Un remake de 2011
L’arrêt de l’aide alimentaire prodiguée pendant l’état d’urgence doublé de la décision de la mairie de Mamoudzou d’éloigner les vendeurs à la sauvette de son centre ville, les a laissés sans ressource. Les incitant à venir dormir en masse devant l’association Solidarité Mayotte, « nous n’avons plus de quoi payer nos loyers, nous avons du laisser nos bangas », nous expliquent-ils, avec un geste de la main en direction des hauteurs de Kavani, Tsoundzou et Mtsapéré. « Nous demandons les allocations de subsistance et de logement. Cela fait 18 mois que mon dossier a été déposé », nous explique le porte-parole Malik Abdel. C’est le cas de beaucoup autour de lui. Le retard d’instruction de leur dossier par l’OFPRA les place dans une situation d’incertitude et sans ressource sur le territoire. « Nous voulons juste faire des petits boulots », clament-ils, comme beaucoup sur le territoire. Une dérogation avait été octroyée une année pour permettre à ceux qui attendaient une décision de l’OFPRA, de travailler, sous condition.
Les femmes nous expliquent avoir été hébergées avec leurs enfants à la MJC de M’gombani, brièvement, en raison de l’intervention d’un Collectif des citoyens, « ils nous ont délogés ».
Une action qui aura privé sa structure d’une représentativité lors de la visite du secrétaire d’Etat Adrien Taquet, déplore Romain Reille, « alors que nous accompagnons 277 mineurs isolés, dont une grande partie est prise en charge par l’Aide sociale à l’Enfance du conseil départemental. Les autres sont dans des associations, mais certains sont strictement isolés. »
Une action qui n’est pas sans rappeler celle menée en 2011dans la cour de l’église catholique à Mamoudzou, où les demandeurs d’asile s’étaient installés plusieurs semaines pour demander leurs droits. Non seulement cette présence massive devant Solidarité Mayotte nuit à son bon fonctionnement, « nous ne pouvons pas distribuer l’aide alimentaire à ceux qui sont dans les 6 mois de présence sur l’île », mais Roman Reille redoute que la protestation enfle, et que « d’autres communautés se joignent au mouvement. Le voisinage se retourne contre nous, et très peu ont des masques. »
Anne Perzo-Lafond