Prenant la plume dans la Gazette des communes le mois dernier, Philippe Laurent, maire de Sceaux et secrétaire général de l’Association des maires de France, est un spécialiste de la gestion publique. Opposé à la réforme des impôts locaux, ce sans étiquette apparenté centre-droit, y voit une recentralisation des décisions de l’Etat, privant les maires de leur capacité de décision politique.
80% des foyers habituellement imposés à la taxe d’habitation en seront exonérés cette année. Et en 2023, plus personne ne paiera cette taxe due par les propriétaires et les locataires au titre de leur résidence principale. Une bonne nouvelle pour les contribuables, beaucoup moins pour les maires qui voient ainsi disparaître une de leur principales recettes. Elle sera compensée en 2021 par une dotation de l’Etat. Une perte de pouvoir plus importante qu’il n’y paraît pour les maires, met en avant le maire de Sceaux.
Tout d’abord, la garantie du montant de la dotation n’est pas acquise. Le rédacteur s’appuie sur l’exemple de la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui en 1979 était indexée sur le volume de la TVA collectée par l’Etat, pour finir par être décidée au ministère des finances. L’Institut des Politiques Publiques (IPP) vient d’ailleurs de publier un rapport expliquant que si la loi prévoit de compenser les communes de cette perte en leur transférant le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) des départements, « le montant de celle-ci ne correspondant pas toujours au montant de sa Taxe d’habitation perdue ». Le rééquilibrage se fera par transfert d’une collectivité surdotée vers une autre qui serait lésée.
Mais la préoccupation principale vient des budgets locaux qui seront également fixés par Bercy, avec un fléchage qui risque d’échapper aux maires. Il pourra se faire en effet « vers les dépenses que les préfets estiment souhaitables ». Les maires deviennent alors de simples « sous-traitants » de l’administration centrale. De plus, la bonne coordination entre préfet et maires n’est pas toujours garantie.
Déresponsabiliser les élus
Pour Philippe Laurent ce recentrage est lié au Traité de Maastricht, qui engage chaque Etat sur ses finances publiques aux yeux des autres pays européens. Mais c’est la 1ère erreur selon l’élu, étant donné que la crise sanitaire a atténué cette censure européenne pour privilégier une relance nationale, dont il craint que les collectivités soient exclues.
Au regard du fonctionnement de la fiscalité à Mayotte, l’impact pourrait être encore plus néfaste qu’en métropole. Jusqu’en 2014, la fiscalité de droit commun n’existait pas encore sur notre jeune département. La dotation globale allouée par l’Etat était dont « sirkali », l’argent public parfois utilisé sans discernement. Au contraire, lorsque les communes ont commencé à relever de l’impôt des administrés, ces derniers se sont adressés au maire pour lui demander des comptes, notamment en cas de non redistribution en équipements public ou autre.
En privant les maires de cette autonomie, on risque donc une nouvelle fois de déresponsabiliser l’élu local, comme l’explique le spécialiste de la gestion publique : « Le fondement de la démocratie est le consentement à l’impôt comme moyen de financer les charges communes, le tout décidé par une instance élue. S’il s’agit d’appliquer partout, et dans tous les domaines, la politique définie ‘en haut’, autant supprimer l’élection et nommer des exécutants. C’était le cas sous l’Empire », raille-t-il.
Au lieu de quoi, c’est le président de la République qui s’expose, met-il en garde, « en concentrant toute la responsabilité du fonctionnement du pays sur ses propres décisions, M. Macron endosse aussi toutes les critiques », avec un risque, celui de rendre « les élus ‘irresponsables’ ».
A.P-L.