Observatoire des violences : les écrits qui mettent tout à plat

Annoncé au rectorat, en septembre dernier, l’Observatoire des violences va englober « tous ces acteurs dans une seule structure à l’échelle du territoire ». Pour agiter nos neurones, 6 écrivains, universitaires ou observateurs de la vie publique, proposent aux médias leurs réflexions sur un mode « chamboule-tout ».

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Gilles Halbout a porté l'idée d'un Observatoire des violences nourri par des réflexions sur le contexte local

Le Rectorat, l’ARS, le Tribunal judiciaire, le Département par le biais du Conseil de la Culture, de l’Education et de l’Environnement et la FCPE de Mayotte ont uni leurs forces pour mettre en place un observatoire des violences des jeunes qui se propose de mener une étude préalable et d’orienter des actions par le biais de son conseil scientifique. Ces actions permettront d’examiner des faits pour améliorer : la prévention, l’accompagnement, et la répression.

Plutôt que de proposer des solutions clef-en-main, son installation passe par une phase d’interventions écrites de plusieurs personnalités du territoire, écrivains, chercheurs ou simples observateurs, qui doit avoir notamment comme vertu de lever les tabous pour questionner de près sur les violences à Mayotte, « afin de disposer d’un premier regard qui se veut être pluridisciplinaire ».

On lira ainsi l’importance des mouvements sociaux dans l’émergence de la violence urbaine, celle du colonialisme, on apprendra ce qu’est « l’évidence de la violence » chez ces jeunes, et l’insuffisante prise en charge des mineurs délinquants. Et pourquoi les parents se sentent impuissants à transmettre des valeurs compatibles avec l’évolution de la société. On s’interrogera sur le terme fourre-tout de « décrocheurs scolaires », pour se laisser interpeller par son auteur, « pourquoi le décrochage scolaire n’était-il pas un problème dans les années 1980 à Mayotte? »

Nous publions une partie des contributions, en amont de la préparation de la Conférence de presse qui se tiendra le 4 Novembre 2020 à 11h dans la salle de conférence du Conseil de la Culture, de l’Education et de l’Environnement de Mayotte. Seront détaillés lors de cet événement l’agenda de la mise en place et la mise en œuvre de l’Observatoire des Violences à Mayotte. L’autre partie sera publiée le lendemain.

Anne Perzo-Lafond

Mouhoutar Salim interroge, « les violences, somme de responsabilités individuelles ou phénomène social? »

Violences : éléments clés des transformations sociétales

En quarante ans, cette île, qui était presque entièrement bâtie en terre et en feuilles de cocotier, a connu un très rapide développement économique et une forte croissance démographique qui se sont traduits par des bouleversements sociaux importants, générant à la fois le meilleur comme le pire. Le meilleur a commencé à se manifester dès 1976, avec la reprise de l’île en administration directe de la métropole, par les libertés publiques, la généralisation de la médecine et de l’enseignement, la croissance urbaine, la monétarisation de l’économie, l’extension rapide du salariat, le logement social, l’ouverture au monde.

Quant au pire, il s’est manifesté par les produits de ce développement, marqués par de remarquables pathologies sociales et parmi elles :
o le chômage qui atteint 30% de la population active (Insee, 2019)(1);
o la précarité pour 89 % de la population qui vit en dessous de la valeur du seuil métropolitain de pauvreté,
o la forte pression migratoire qui représente 48% de la population (Insee, 2017) (2),
o le faible accès à l’éducation et les échecs scolaires, (près de 2 300 enfants non-scolarisés) (3),
o la présence d’environ 4000 mineurs (4) en errance ou isolés,
o la multiplication des « abris de fortune »,
o les troubles du comportement social et les conduites addictives,
o la délinquance en général5 qui a augmenté de 6,86 % entre 2018 (6045 faits) et 2019 (6460 faits),
o les atteintes volontaires à l’intégrité physique qui ont augmenté de 13,1% entre 2018 (2137 faits) et 2019 (2418 faits).

Concernant les conduites addictives, on avait pensé que Mayotte serait moins sujette aux addictions et en particulier à l’alcool, du fait de sa population majoritairement musulmane. Au-delà du « bangué » (6), (le cannabis local), qui constitue l’essentiel des prises de produits stupéfiants à Mayotte, le « chimik »- mentionné pour la première fois à Mayotte en 2011 -, semble prendre plus d’ampleur.

I. Une violence qui crée de l’insécurité

Cette violence à Mayotte engage de façon massive des jeunes et souvent des mineurs. Cette « évidence de la violence »(7) des jeunes devient un sujet d’inquiétude chez les adultes. Elle s’exprime le plus souvent sous forme d’affrontements, avec usage d’armes blanches entre bandes rivales, des jeunes de deux villages limitrophes dont les relations sont basées historiquement sur des oppositions et des rivalités inter villageoises.

Toujours et en rapport à cette violence, on peut rappeler ici à titre d’illustration, les affrontements dévisagés sur le territoire mahorais entre les jeunes de Doujani/Mtsapéré, Kavani/Kawéni, Kawéni/Majicavo, Labattoir/Pamandzi et très recensement entre ceux de Miréréni/Combani; et ceux de Doujani /Passamainty. Il faut également noter la présence dans la commune de Koungou de deux bandes sédentaires à Majicavo sur la voie publique entre Koropa et la prison puis à Trevani au premier carrefour du village qui s’attaquent aux usagers de la voie publique.

Elle peut aussi se manifester sous la forme d’atteinte à la personne, avec des attaques réalisées par les jeunes sur les forces de l’ordre, avec « caillassages » des leurs véhicules, une sorte de violence d’affirmation, mais aussi des agressions dirigées contre un possédant. Par exemple Le 22 février 2018, au 3ème jour de la grande crise contre l’insécurité, le blocage des routes a paralysé la circulation routière et a empêché une partie de la population de se rendre au travail. Ce même jour, le chef de service du dispensaire de Jacaranda, le Dr Abdoul-Djabar. Said Combo s’est fait sauvagement agressé à bord de son véhicule par 5 individus cagoulés et a dû être hospitalisé. Ici on est en face d’une violence d’appropriation.

Tous ces drames et ces faits divers ont choqué la population mahoraise, qui est obligée de confirmer l’existence d’une insécurité à Mayotte. Nombreuses ont été les réactions publiques de la population qui refuse d’isoler la signification de ces violences dans des responsabilités individuelles, mais plutôt de convertir ces faits en phénomène social et en faire un enjeu politique. Et nombreuses ont été donc les manifestations publiques contre la violence. Celle du 20 février 2018, où 1500 personnes ont répondu à l’appel à manifester, lancée par l’intersyndicale de Mayotte, UI CFDT, UDFO, CGT MA et CFE-CGC pour dénoncer l’insécurité qui avait conduit à la fermeture de plusieurs établissements scolaires et à l’arrêt des transports scolaires a été le point de départ de 51 jours consécutifs de crise sociale d’une ampleur considérable et qui a eu d’importantes répercussions sur la vie quotidienne des habitants de Mayotte.

En même temps, nombreux sont les Mahorais qui ont choisi pour se protéger de barricader leurs maisons par des grilles métalliques. Cette situation a conduit l’antenne INSEE de Mayotte à lancer en ce début d’année 2020, une enquête de terrain sur la victimisation. Nous rappelons également que c’est à travers les nombreux drames enregistrés, que cette violence trouve son expression la plus radicale. On peut rappeler par exemple les drames suivants pour illustrer notre propos : au lycée Bamana (2012), sur un père de famille métropolitain à Kawéni (2017), aux abords du lycée de Sada (2019), sur un autre père de famille à Mtsapéré (2020).

De la même manière, certains Mahorais avaient condamné l’attitude du premier magistrat de la commune de Bandrelé pour son choix en 2002 de l’usage de la violence et la justice privée pour faire détruire les cases occupées par des étrangers dans le village de Hamouro, pourtant symbole aux yeux d’autres Mahorais, de leur combat pour la liberté pour l’appartenance à la République française.
Cette violence met la population en présence d’une situation de rupture non maîtrisable avec, d’une part, les procédures et les règlements traditionnels de gestion des conflits et de crises, qui avait permis de conserver un « havre de paix et de stabilité ». Ces procédures s’articulaient autour de la réconciliation « suluhu », de la demande du pardon « utsaha radhi » et de l’amende civile le « mawu ». Elles étaient mises en œuvre par les réseaux traditionnels d’autorité pour tout simplement rétablir l’ordre social existant, souvent considéré comme immuable. Elles ont été forgées par le temps pour répondre à ce besoin aujourd’hui déstabilisé par le développement socio-économique. Et d’autre part, avec l’Islam qui est le fondement commun à la diversité culturelle de la majorité des populations présentes à Mayotte, qui ne parvient plus à imposer à l’individu le vivre ensemble.

II. Emergence de la violence urbaine en marge des mouvements sociaux

Jusqu’en 1990, date de création par feue Mariama Salim (8) et Patrick Brossier (9), de l’Association pour la Prévention de la Délinquance à Mayotte (APREDEMA), le terme de délinquance existait à peine dans la société mahoraise. Jusqu’à cette époque, rares ont été les jeunes traduits au tribunal pour des problèmes de délinquance.
Ce n’est qu’en 1993, alors que je siégeais en qualité d’assesseur au premier tribunal pour enfants à Mayotte, présidé par le juge Éric Vaillant, qu’apparaissent les actes antisociaux et d’incivilités dirigés contre les biens d’autrui. Le mouvement social de 1993 a certainement représenté le tournant dans le phénomène de violence à Mayotte car il a révélé pour la première fois un malaise social. En effet, pour des revendications salariales, conduites par l’Union Territoriale des Forces Ouvrière (UTFO) et la Confédération Inter Syndicale de Mayotte (CISMA), actuelle CFDT, une tempête de feu a failli emporter l’île. En une journée, les Mahorais ont assisté à l’incendie des services fiscaux (DRFIP), de la Société Immobilière de Mayotte (SIM), de la Caisse de Prévoyance Sociale de Mayotte (CPSM), du Service de Transport Maritime (STM) et du Comité du Tourisme de Mayotte (CTM).

Ce mouvement a été le détonateur d’une nouvelle forme de violence qui s’est manifestée depuis, à la fois de manière régulière à travers des affrontements à l’occasion des manifestations (grèves, barrages etc.), mais aussi de manière plus soutenue à travers l’augmentation des agressions. C’est ainsi qu’on rappellera ici la présence dans le mouvement social de 1993, des jeunes qui détruisaient les cabines téléphoniques pour récupérer les monnaies, les violents heurts entre gendarmes et jeunes à l’occasion des manifestations – qui ont été suivies d’interpellation de quelques jeunes -, organisées en 2009, par le Collectif des Citoyens Perdus (CCP) qui manifestait contre la cherté de la vie à Mayotte. Il s’agissait d’une contestation contre la hausse du prix de la traversée de la barge entre la Petite Terre et la Grande Terre. Des rackets se sont manifestés dans les barrages routiers, lors des mouvements sociaux contre la cherté de la vie en 2011 et durant le mouvement contre l’insécurité en 2018. On a recensé également à partir de cette période, d’une part, la multiplication des agressions physiques. Les exemples suivants suffisent pour illustrer mon propos :
o Le 27 février 2012, dans l’enceinte
o Le 27 février 2012, dans l’enceinte du lycée Bamana, à Mamoudzou, un adolescent de 17 ans poursuivi par un groupe de jeunes, est poignardé à mort par l’un d’eux.
o Fabien perdait la vie à la sortie d’un concert de WAWA au 5/5, le 17 août 2013, après avoir été frappé à la tête avec une pierre,

o Le 31 août 2019, aux abords du lycée de Sada, un adolescent de 19 ans, est décédé à l’issue d’une violente rixe au cours de laquelle il a été la cible de jets de galets.

III. Impact de la violence institutionnelle sur la violence sociétale

Alors que l’histoire de cette île a été marquée par de longues périodes caractérisées par diverses formes de violence physiques et symboliques : les razzias, l’islamisation massive de la population, l’esclavage qui a été supprimé en 1846 alors que, la traite était condamnée par la France dès 1823. Ce rappel ne tend pas à dissimuler la réalité de l’engagisme, derrière lequel il y avait souvent un travailleur forcé, qui devrait succéder à l’esclavagisme et qui a été marqué par de nombreux abus et excès de toutes sortes.

Par ailleurs, le colonialisme est vécu durement à Mayotte. Dans un remarquable article publié dans l’ancien hebdomadaire Upanga10 , Mlaili Condro (11) rappelait que le concept connu à Mayotte sous le nom de Sirkali : « [désigne l’Etat (ou l’autorité) colonial(e), caractérisé par son autoritarisme et sa violence. L’autorité qui distinguait des citoyens français et des sujets français, qui imposait aux derniers le Code de l’Indigénat et réservait aux premiers le Code civil du droit commun français] ». Durant cette période, les Mahorais ont subi les travaux forcés (hazi ya manufa « travaux d’intérêt général »), ont connu le fouet (cravache) (karavashi), ont payé des impôts de capitation (latete), ont porté le palanquin (fitako), ont connu la réquisition de leurs biens, les restrictions et les obligations nombreuses marquaient la figure de l’autorité coloniale. Toujours, pour Mlaili Condro, « [le Sirikali, c’est en somme cette autorité du Blanc (Bamzungu) qui s’imposait aux colonisés de façon implacable. Pour les Mahorais, Bamzungu ne tolère qu’une seule réponse: « oui, mshe (monsieur)] ».

L’administration française et des différents régimes successifs malgache entre 1912 et 1946 ou encore le régime dit d’autonomie interne des Comores entre 1946 et 1975 qui déléguait aux responsables politiques comoriens les pouvoirs de la France sur la population mahoraise. Ces régimes ont utilisé, monopolisé tous les moyens pour développer leurs îles au détriment de Mayotte abandonnée. Et enfin, le retard apporté à la mise en place d’un véritable statut à Mayotte, sous administration française lors de la sécession des Comores en 1975, a contribué également à augmenter les inégalités et les injustices.

1Enquête emploi.
2 Recensement 2017.
3Rapport Observatoire des mineurs isolés de 2016.
4 Observatoire des mineurs isolés.
5 Rapport Préfecture de Mayotte : Etat-major de Sécurité –octobre 2019
6 Il est acheminé principalement des Comores (Anjouan) ou de Madagascar en « Kwassa ».
7 Expression empruntée de Mlaili Condro : la violence juvénile à Mayotte : un nouveau paradigme –Océan Editions -2013.
8 Première déléguée aux droits des femmes (1993-1996).
9 Ancien Procureur de la République à Mayotte.
10 N°45 du 20 juillet 2011.
11 Dr HDR en Sciences du langage.

Salim Mouhoutar
(Auteur et Conférencier)
Responsable de l’Observatoire des violences à Mayotte

insécurité, Mayotte
Banderoles contre l’insécurité en octobre 2017

Tableau d’une jeunesse violente, au préalable violentée

Les chiffres de la délinquance à Mayotte décrivent une situation extrêmement grave. Il s’agit d’un des territoires ultramarins où le taux de vols et dégradation de biens est très élevé, pas loin de la Guadeloupe et de la Guyane. Les crimes et délits de coups et blessures volontaires sont nettement en croissance ces dix dernières années, se montant à 535 cas pour 1.000 habitants en 2014, soit 9,34% de plus que dans l’Hexagone et dans la quasi-totalité des territoires ultramarins. Ce chiffre est globalement en augmentation chaque année, tandis que le nombre de violences sexuelles n’a pas baissé.

Lors des crises que Mayotte a traversées, les doléances des manifestants portaient certes sur l’accès à une vie moins chère et la faible croissance économique du territoire, mais l’une des revendications majeures de la population concernait l’insécurité à laquelle les mahorais sont quotidiennement confrontés. À cette délinquance que l’on peut qualifier « de droit commun » s’ajoutent des défis spécifiques auxquels Mayotte est confrontée, Il s’agit tout d’abord de l’immigration illégale. En faisant abstraction de l’immigration clandestine à l’origine d’une « délinquance de survie », Mayotte est touchée par un phénomène important de délinquance.
Les mouvements sociaux ont eu un effet sur l’augmentation de la délinquance tant en matière d’atteintes aux personnes que d’atteintes aux biens. Les services judiciaires de Mayotte ne disposent pas d’outils performants permettant de quantifier le phénomène de délinquance des mineurs. Les mineurs représenteraient environ 63% des auteurs d’infractions non identifiés et non interpellés en zone police (commune de Mamoudzou), soit le triple de la moyenne nationale (20 %). En revanche, les délinquants seraient de plus en plus jeunes : les premières infractions seraient commises dès 12-14 ans. Les phénomènes de délinquance s’expliquent principalement par l’absence d’espoir chez les jeunes.
Parallèlement, les outils destinés à encadrer et à accompagner les mineurs délinquants font défaut à Mayotte. L’ASE propose 200 places pour 280 mineurs délinquants relevant d’une décision judiciaire. L’aide sociale à l’enfance (ASE) est une compétence obligatoire du département de Mayotte depuis 2009. Si elle intègre les spécificités de ce territoire, en particulier les flux migratoires incessants, difficiles à maîtriser, cette mission est insuffisamment mise en œuvre en raison de moyens limités ne permettant pas d’apporter une réponse à l’ensemble des besoins de la population et aux obligations posées par le code de l’action sociale et des familles (CASF). Jusqu’alors la mise en conformité avec l’article D. 226-3-2 du code de l’action sociale et des familles n’est pas effective pour avoir un bon fonctionnement de la prise en charge des jeunes. Il est à rajouter que la prison de Majicavo ne dispose que de six places pour des mineurs délinquants alors que le double voire le triple de mineurs est actuellement incarcéré dans cet établissement.

Raphaël Souf Mohamed
Chargé de mission Pôle Europe du Département de Mayotte
Doctorant en Droit Public à l’Université de Strasbourg

Zalifa Hassani : « La transmission des valeurs familiales ne peut se faire qu’à condition qu’il y ait interconnexion entre les générations »

Décrochage scolaire : du décrochage institutionnel au décrochage parental

Le décrochage scolaire est devenu en quelques années la principale désignation des problèmes du système éducatif en France. Il semble résumer l’ensemble des manquements de l’école à ses missions. Médias et responsables politiques utilisent de plus en plus le terme « décrocheurs » pour désigner à la fois des victimes de l’échec scolaire, des jeunes désocialisés, de futurs chômeurs ou délinquants, voire de possibles terroristes. Pourtant, si on considère le décrochage scolaire comme l’inachèvement d’une scolarité secondaire complète, force est de considérer que le problème ainsi identifié a eu une ampleur bien plus importante par le passé et qu’il diminue tendanciellement dans le temps.

La question qu’on se pose aujourd’hui est : pourquoi le décrochage scolaire n’était-il pas un problème dans les années 1980 à Mayotte?
Il est question de se pencher sur les conditions sociales et historiques dans lesquelles s’est construite cette question du décrochage pour interroger le rôle qu’a joué l’institution scolaire, et plus généralement encore, notre société. Il convient d’envisager le problème du décrochage scolaire comme une construction historique et sociétale. Historique au sens où il est nécessaire de le situer dans la temporalité des politiques publiques de la jeunesse, en comprenant la politique scolaire. Sociétale parce qu’il s’inscrit dans des rapports entre les structures sociales, leurs institutions.

I. Le décrochage institutionnel

La scolarisation de masse à Mayotte a pris son envol en 1976 pour atteindre une généralisation du processus dans l’ensemble des 17 municipalités durant les années 90. Depuis une dizaine d’années Mayotte connaît la problématique de surpopulation scolaire due à l’immigration non maitrisée alors que chaque année des écoles primaires, des collèges et des lycées sont construits dans les localités. A ce jour, on compte au moins un collège par commune sauf pour Acoua qui possède son lycée. Pour la seule commune de Mamoudzou, on enregistre six collèges et trois lycées. Dans la commune de Koungou, il y’a deux collèges et un lycée en projet. Kaweni, par exemple, voit ainsi naître une cité éducative regroupant pas loin de 10.000 élèves. En dix ans le nombre d’élèves a augmenté de 80% avec un effectif, dépassant les 100.000 élèves à la rentrée de septembre 2020.
Le système éducatif de Mayotte est classé en REP, parfois REP+ car l’Etat a établi qu’il est indispensable de fournir les personnels nécessaires aux allégements d’effectifs de classes. Le territoire devrait voir se développer plus de dispositifs palliatifs tels que le lycée de la seconde chance pour la lutte contre le décrochage scolaire, notamment dans le second degré. En 2014, entre 100 à 400 élèves mahorais étaient considérés en situation de décrochage et sans accompagnement.

Par ailleurs, certaines structures de socialisation telles que les écoles coraniques disparaissent en même temps que la société mahoraise connait des mutations, fragilisant le positionnement de la famille. Le flux migratoire venu des Comores, de Madagascar et de l’Afrique des Grands lacs redéfinissent les structures sociales qui ont façonné la société Mahoraise doublé d’une émigration massive des Mahorais vers d’autres cieux, principalement à la Réunion et en France métropolitaine.
Cette configuration a une réelle influence sur l’évolution des modes de vies à travers les modifications des modes de transmission dans les rapports intrafamiliaux. L’enjeu aujourd’hui est de réussir à transmettre des valeurs familiales capables d’accompagner la mission éducative dans un contexte :
– de surpopulation scolaire,
– de difficultés de socialisation de la jeunesse,
– de violences urbaines et scolaires,
– de non intégration des enfants de migrants,
– de chômage
– de précarité de l’habitat
– et d’extrême pauvreté

II. Le décrochage parental

Les évolutions démographiques qui ont un impact sur les valeurs de transmission au sein de la famille ont affecté les fonctions et les compétences parentales. Le premier échelon de socialisation est-il en train de s’éclater et d’abandonner ? L’école, les foundis, les associations sont-ils en mesure d’agir sans le soutien parental ?
L’organisation de la vie des familles à Mayotte est confrontée à de sérieux changements socio-historiques. L’école de la République a manifestement fait évoluer les liens entre les parents et les enfants, ajoutée à cela, l’arrivée des médias et des nouvelles technologies qui creusent un réel fossé culturel entre les générations.
D’un autre côté, les parents revendiquent leur impuissance dans la capacité d’assurer une transmission de valeurs qui soit cohérente avec l’identité Mahoraise et les enjeux sociétaux : la justice et l’éducation nationale ont confisqué leur rôle éducatif et par conséquent ont confisqué l’avenir de leur enfant. La FCPE Mayotte a décidé de questionner la parentalité comme le principal levier dans l’accompagnement des jeunes en décrochage scolaire.

III. Le décrochage scolaire

L’école n’est pas le seul lieu de redistribution des chances. L’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants est fondamentale. Certains n’hésitent pas à inclure dans leur modeste budget des cours de soutien afin d’optimiser les chances de réussite.

QUI SONT LES DECROCHEURS ?
– Des élèves allophones,
– des élèves en grandes difficultés scolaires avec une expérience scolaire négative, souvent synonyme de souffrance,
– des élèves qui rejettent l’institution scolaire (orientation non choisie, organisation de l’école très compliquée…),
– des élèves issus du milieu social qui ne peuvent pas les aider dans le domaine scolaire « les désengagés »,
– parfois des bons élèves qui ont connu des évènements personnels difficiles,
– des élèves difficiles qui ont un problème de comportements.

La transmission des valeurs familiales ne peut se faire qu’à condition qu’il y ait interconnexion entre les générations. Si les parents ne sont plus en contact direct avec les enfants alors la transmission du patrimoine culturel et cultuel sera affectée. Face aux problématiques de violences scolaires, familiales et urbaines, tous les acteurs de médiation doivent-être pris en compte :
– les parents,
– les fundis,
– les enseignants,
– les grands-parents,
– les oncles,
– les tantes,
– les frères
– les sœurs,
– les sages des villages,
– les intervenants sociaux,
– les responsables associatifs.

L’éducation est un projet complexe et complet parce qu’elle ne peut plus se suffire à une seule vision culturelle car les détenteurs de ces valeurs éducationnelles doivent réussir l’équilibre entre une logique d’ouverture et celle du refus parce qu’elle est avant tout protectrice.

Zalifa Hassane
Présidente de la FCPE – Mayotte
Doctorante en Anthropologie à l’Université de la Réunion

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