Les deux grands thèmes de l’échange avec les médias ce samedi au bout de la semaine de découverte de François-Xavier Bellamy de Mayotte à l’invitation du député Mansour Kamardine, portaient sur l’immigration clandestine et le développement économique, dans son volet de fonds européens puisque c’est sa partie et que c’est censé être la manne principale pour Mayotte.
Il l’a déjà dit, le député n’est pas favorable à une intégration de Mayotte dans l’espace européen Schengen*, dont sont d’ailleurs exclus les autres DOM. Mais il n’est pas non plus favorable à une circulation des détenteurs de titres de séjour sur l’ensemble du territoire français, toujours pour une raison d’appel d’air : « Vous aurez des arrivées continues depuis les Comores et l’Afrique, qui voudront gagner la métropole notamment. A l’image de l’île grecque de Lesbos que j’ai visitée, notamment le camp inhumain de migrants à Mória, avec des arrivées continues depuis la Turquie. Si on fait la même promesse à Mayotte, cela multipliera par 5 ou 10 l’immigration illégale. Il faut plutôt mettre fin immédiatement à la délivrance de titres de séjour d’un an, et protéger efficacement nos frontières. Il faut mettre en place des moyens supplémentaires. »
Parmi eux, Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen. Mayotte ne faisant pas partie de cet espace de libre circulation, la question se pose de l’éventuel recours à ce dispositif. « J’y suis favorable, d’autant plus que Frontex se déploie dans des pays européens non membres de l’espace Schengen. J’ai proposé à la sous-préfète LIC et à Jean-Marie Cavier, Directeur territorial de la Police nationale, d’organiser une visio-conférence avec le directeur de Frontex pour développer une assistance technique à Mayotte, voir, une installation. Surtout que le professionnalisme des équipes de lutte contre l’immigration clandestine ici et les stratégies mises en place peuvent l’intéresser. »
« Une sous-consommation qui sonne comme une trahison »
Le développement de Mayotte est l’autre sujet fort, qui a donné lieu à des échanges houleux avec la représentation de l’Etat à Mayotte. Rappelons que Mayotte à peine département en 2011, a basculé Région Ultrapériphérique (RUP) européenne en 2014, sans avoir été dotée d’infrastructures à la hauteur de son potentiel (routes, assainissement, etc.), et avec un commandement, consommer les fonds européens ou mourir. On connaît la suite, avec un turnover des SGAR, sous-préfet en charge du développement économique et des affaires européennes. Car le Département à qui échoit la gestion des fonds européens avait préféré laisser la gestion des 320 millions d’euros à l’Etat, comme jadis les autres RUP. Un des premiers sous-préfets en charge des affaires économique et européennes (SGAR), François Mengin Lecreulx, avait alerté en 2011 alors que nous n’étions encore ni département, ni RUP, « il faudra mettre en place un guichet unique du type AGIL à La Réunion ». Mais rien n’a été fait. Nous avions rapporté en exclusivité le rapport de la Commission Interministérielle de Coordination des Contrôles (CICC) qui pointait les déficits de la préfecture : ressources humaines, compétences, querelles internes, services déconcentrés immatures, et qui donnait un constat sans appel, « la mission a constaté une absence significative de pilotage : la préfecture n’a pas été capable de donner les montants des Programmes Opérationnels ».
François-Xavier Bellamy ne cachait pas une exaspération non feinte, et ne mâchait pas ses mots : « Le bilan de la consommation des fonds européens de cette première enveloppe 2014-2020 pour Mayotte est inacceptable. Une sous-consommation qui sonne comme une trahison des mahorais. Il y a des fonds sur l’étagère, ils ne sont pas dépensés. C’est le dernier département français où l’Etat détient l’autorité de gestion, son rôle était de monter en compétence les services. »
Seulement 20% des fonds dédiés à l’appui technique sollicités
Comme l’avait glissé le président Macron à Mayotte, les représentants de l’Etat ne savent plus faire, puisque la compétence de gestion des fonds européens est territorialisée dans les autres RUP. Raison de plus pour solliciter l’aide européenne dédiée à la formation des gestionnaires, nous avons alerté dès 2013 sur sa non-utilisation. Le député en livre un constat édifiant : « La sous-consommation de l’appui à l’assistance technique pour les agents chargés des fonds européens est éloquente : les 2 millions d’euros annuels prévus à la formation n’ont été consommés qu’à hauteur de 20% ! Et on doit aborder en l’état la 2ème enveloppe. »
Le député rapporte l’entretien avec le Sous-préfet SGAR actuel de la préfecture, Yves-Marie Renaud, « il se plaint d’une perte constante de mémoire dans la consommation des fonds européens à la préfecture. Sur deux ans, trois SGAR ont défilé. La préfecture doit trouver les moyens pour faire stopper ce turnover et que ceux qui sont chargés de ce sujet se forment et restent un minimum de temps. »
Il faut aussi que les sous-préfets successifs à ce poste arrêtent la langue de bois, en se glorifiant pour la consommation des fonds, quand une part ridicule était engagée, ce n’est pas faute de l’avoir dénoncé. « On note une absence de transparence et de lisibilité dans la gestion de ces fonds. La directrice de l’ARS nous indiquait ne pas savoir s’ils existaient sur la construction d’un 2ème hôpital, et nous avons remarqué que des fonds européens avaient été alloués à des projets dont personne n’avait entendu parler ». Un jonglage qui a failli avoir raison de la sécurisation de la piste d’aéroport, les 12 millions d’euros alloués aux lits d’arrêt ayant été détournés vers le port de Longoni par un préfet, ce qui avait obligé l’Europe à nous octroyer une dérogation d’un an pour les travaux. « Nous avons eu un échange avec des mots forts hier en préfecture, aucun moyen n’a été déployé pour former les élus, et ceux qui l’ont été en préfecture sont partis. »
Mayotte, un prétexte vite oublié
La mise en place d’un guichet unique est de nouveau évoquée, c’est ce que laissait penser en effet en février dernier, une coordination des acteurs Etat et département de la gestion des fonds. Pour gagner en compétence, le conseil départemental pourrait passer par la phase « organisme intermédiaire », « mais cela reste en périphérie de la gestion effective ». François-Xavier Bellamy souligne un paradoxe enrageant : « Ce sont les critères de Mayotte qui valent à la France un engagement de moyens importants de l’Europe, ce serait bien qu’elle en bénéficie ».
Preuve de l’implication de la préfecture dans la gestion des fonds européens, le dossier « L’Europe s’engage à Mayotte » remis à l’eurodéputé affiche en première page une photo… de Domoni (Anjouan) !
Il met ainsi en garde sur la 1ère programmation, il ne faut pas l’asphyxier avec un seul projet : « Vous ne pouvez pas tout mettre sur la piste longue au regard des besoins en routes, en eau, en établissements scolaires, etc. il va falloir une enveloppe conséquente ».
La pêche est un exemple de cette mauvaise gestion par les services de l’Etat, non seulement elle pourrait disparaître faute de diplômés avant la fin de l’année 2021, mais aussi « l’homologation du bateau de pêche inauguré par le président de la République n’a toujours pas été faite, il y a des lenteurs administratives. » Autre sujet, la renégociation de l’accord de pêche avec les thoniers Seychellois pêchant dans notre zone l’année prochaine, « j’ai demandé à en être le rapporteur ».
François Xavier Bellamy dit vouloir être le porte-parole de Mayotte au Parlement européen, « Mayotte ne se résume pas aux difficultés dont ont entend parler. S’invente ici un modèle dont demain la métropole aura besoin. »
Anne Perzo-Lafond
* Le territoire européen de la France fait partie de l’ »espace Schengen », réunion de plusieurs Etats situés sur le continent européen, pour constituer un espace commun de libre circulation des personne