Ateliers des Assises de la sécurité : de la fin du non-dit à la construction

« Mayotte est malade ». A l’origine, un problème de parentalité, reconnaissaient l’ensemble des intervenants de l’atelier « Education et prévention ». Les raisons sont multiples, et ont été abordées sans censure, avec un réel désir de surmonter le problème avec les outils offerts par la République, mais aussi, en proposant d’autres ouvertures.

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Participants de l'atelier Education et prévention, à la MJC de Kawéni

« Des écoles coraniques, pourquoi faire ? Ça fatigue les enfants », « S’abriter derrière le concept des ‘enfants du juge’, c’est pratique, ça permet de ne pas s’en occuper ! ». Des affirmations comme celle-là, auraient été la pensée dominante d’un atelier d’échanges organisé par des métropolitains il y a encore quelques années. Au lieu de quoi, pour ces Assises de la Sécurité et de la citoyenneté, c’est la population mahoraise qui est aux commandes, se félicitaient les organisateurs du côté de la mairie de Mamoudzou. Peu de wazungu (occidentaux) dans la salle de l’atelier « Education et prévention » à la MJC de Kawéni. Présidents, animateurs et rapporteurs étaient tous issus de la société civile locale. Les choses ont été dites.

La méthode choisie ne faisait pas l’unanimité, mais place était aussi laissée à la contestation. Sur les 500 proposition portés par plusieurs habitants sur ce thème « Education et prévention », 11 grands sujets étaient retenus, et distribués aux 5 tables demandeuses : Les moyens pour scolariser tous les enfants, le respect de la citoyenneté, s’appuyer sur l’éduction religieuse et les traditions, l’offre de loisirs pour lutter contre l’oisiveté, la création de centres pour les jeunes délinquants, etc. « Ceux qui veulent proposer autre chose peuvent créer une autre table », indiquait Zoubair Alonzo, directeur de la CCI, qui animait l’atelier.

Nous commencerons par celle des rebelles. « Mayotte est malade, et l’origine de la maladie, c’est l’absence de parents. Pourquoi ? Parce qu’on est entrain de nous accuser de ne pas avoir fait ce qu’on voulait faire ! » La dualité de l’éducation à l’ancienne, avec châtiment corporel, interdit par la loi, refait surface aussitôt, ces « enfants du juge », qui ont « vite compris leurs droits et les ont utilisés pour menacer leurs pères. » Une « opération marketing qui n’a pas marché », qui laisse des enfants dans la rue, « plutôt que de les placer, il faut retrouver leurs pères et trouver des solutions d’éducation ». Il est suggéré que les parents dépassés puissent contacter rapidement des structures de référence pour parler de leur problème avant de lâcher prise totalement sur l’éducation. Une de meilleures préconisations portait sur une vraie prévention, « il faut dès la naissance, expliquer aux parents comment élever leur enfant. » Un cadi extrayait des versets du Coran pour expliquer que « le prophète n’a jamais frappé un enfant, il faut donner d’autres outils aux parents. »

« La paternité pour un sac de riz »

L’animateur Zoubair Alonzo aux côtés du président de l’atelier et des rapporteurs

Cette notion de l’’enfant du juge’, Abdou Dahalani, président du CESEM et de l’atelier, la décortiquait : « Tout le monde s’est mis à parler des droits et pas des devoirs à Mayotte. Donc, les fundis des écoles coraniques qui tapaient sur les doigts ont fermé boutique, sans que quelqu’un leur donne une autre méthode d’enseignement. Les seuls à s’en sortir, ce sont les enfants des parents qui ont baigné dans les deux cultures occidentale et mahoraise, et qui font la différence entre taper et commettre des sévices. Les Mahorais sont légalistes, ils appliquent. Les parents ont alors décroché les enfants ont compris la faille. »

Et quand des réminiscences de polygamie s’invitent au débat, la situation s’éclaircit : « Quand un papa a une femme légitime bien placée dans la société, il ne reconnait pas l’enfant qu’il a eu avec une autre, et pense s’acquitter de son rôle de père avec un carton de mabawa et un sac de riz. Ça ne peut pas fonctionner ! », remarquait Sophiata Souffou, présidente de Maison famille rurale.

Si la place de la religion est actuellement largement débattue au plan national, à Mayotte, la demande est quasiment unanime d’un retour en force des écoles coraniques, portée notamment par Zalifa Hassani : « Nous sommes musulmans à 95%, on demande juste le respect de notre culture et de notre culte. Il y a beaucoup de dégâts là, on ne peut pas tout balayer. » Concrètement, et « pour ne pas empiéter sur le temps scolaire », une harmonisation est souhaitée avec l’école coranique, « trois fois par semaine par exemple. A Chiconi et à Sada, nous avons noté que les meilleurs élèves sont ceux qui vont aussi dans les madrassas. » Pour le père catholique Bienvenu Kasongo, il ne faut pas « rompre le triangle, famille-éducation avec au sommet l’église ou la mosquée. L’école coranique comme l’église porte des valeurs morales importantes. »

Un parcours non encadrant pour le jeune

« Scolariser tous les enfants en laissant une large place aux madrassa », les échanges étaient intenses sur certains thèmes

Le rôle du maire pour identifier les jeunes délinquants était mis en avant. Contre le décrochage, un vrai lycée de la seconde chance et demandé, et pour les bacheliers non titulaires de papiers, une coopération avec les pays voisins. On connaît le délabrement du système scolaire aux Comores où régulièrement les enseignants ne sont pas payés, « il faut une meilleure implantation d’une école française là-bas. »

Depuis quelques jours, les échanges se font sans tabou sur ces sujets, et on ne peut que s’en réjouir, jusqu’à présent une chape de bonnes pensées tout droit venues de la métropole les empêchait de s’exprimer, perturbant la recherche de solutions. Cependant, pour Abdou Dahalani, plusieurs préalables doivent être mis en place en parallèle de ces Assises de la sécurité et de la citoyenneté. « Nous n’avons pas fait de bilan des dispositifs de droits communs manquants ici. Par exemple, nous n’avons pas de Centre éducatif fermé. Que fait-on ? On le crée ou on envoie les enfants ailleurs ? Nous sommes dans un parcours qui ne fonctionne pas : une fois le méfait commis, le jeune passe devant le juge et est aussitôt remis dans l’espace où il commet ses méfaits. Il n’a plus peur de l’institution religieuse, ni d’une punition divine, ni de l’autorité parentale. »

Autre problématique traitée par un autre atelier, le manque de données sur la capacité du territoire à gérer les flux migratoires, « la massification du système éducatif ne peut pas amener au même accompagnement qu’en métropole. » Une coopération avec les Comores est souhaitable selon lui sur le plan éducatif, et judiciaire, « notamment pour les peines de prison », et se pencher sur les protocoles de délivrances des titres de séjour, « avant la mairie vérifiait que le demandeur avait des conditions de résidence décentes. »

Les ateliers se poursuivent demain sur les thèmes des responsabilités parentales, de la participation citoyenne et la médiation, et de la lutte contre la pauvreté et pour l‘insertion sociale.

Anne Perzo-Lafond

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