Préserver les tortues marines : « Le premier contact du touriste avec le département »

Indexés par l’association Sea Sheperd pour leur laxisme face aux braconniers, les gardiens du Département se disent sous-équipés et en sous-effectifs. Ça va un peu s’améliorer, mais une co-gouvernance est espérée.

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Sea Shpherd, tortues, Mayotte
Les tortues marines à surveiller de prés (Photo JDM)

La presse locale se fait régulièrement l’écho de braconnage de tortues sur les plages de l’île. Aux Naturalistes qui veillaient ces grandes nageuses venues s’échouer le temps d’une ponte nocturne, s’est jointe la voix de Sea Sheperd il y a quelques années. Qui rapporte sur son site les statistiques du REMMAT (Réseau d’Echouage Mahorais de Mammifères marins et de Tortues marines), « plus de 230 tortues marines ont été braconnées à Mayotte en 2016 et près de 300 en 2015 ».

Sea Shepherd patrouille régulièrement sur les plages de l’île, et le fait savoir, « en cinq semaines, nous avons fait avorter six tentatives de braconnage sur les plages de Papani, Moya et Charifou et nous avons protégé plus de 200 tortues », indiquent-ils sur leur site. Protéger les océans de manière générale, c’est l’objectif de Sea Shepherd (‘Berger de la mer’), et plus particulièrement les tortues à Mayotte, « chaque nuit, nous parvenons à protéger à minima 4 plages en simultané du crépuscule à l’aube mais nous sommes contraints de faire des choix et tous les soirs, c’est la roulette russe pour les tortues », se plaignent-ils.

Outre les braconniers, dans leur viseur les gardiens du conseil départemental, « toujours absents à leur poste », et le manque de moyens matériels et humains affectés à la protection des tortues marines de Mayotte, qui « font pourtant l’objet d’un Plan National D’Action à hauteur de 1,4 million d’euros ».

Passionnés et impliqués

Pour la ponte, un aller-retour sur la plage épuisant pour la tortue

Le manque de moyens avait justement été au centre de la grève de 48h au conseil départemental, un rappel de la précédente qui n’avait pas débouché sur une mise en place des points de l’accord de fin de conflit. Véhicules, chaussures, lampes torche en ordre de marche… les gardiens ne demandaient pas d’augmentation de salaires, mais d’être dotés à hauteur de leur mission. Certains sont passionnés par leur métier, nous avions même rencontré l’un d’entre eux, intarissable sur le sujet, formé par un des meilleurs spécialistes des tortues marines, Jacques Fretey. Mais mal considérée, leur flamme a du mal à être entretenue.

Autrefois, ils effectuaient le tour de toutes les plages de Mayotte, environ 200, à bord de leurs véhicules et de leur bateau, « nous effectuions un comptage régulier », nous explique l’un d’eux au téléphone. Sans voiture, les sites ont été réduits à 2 principaux, le Nord à Moya, et Charifou, prés de Majicavo. Depuis 2007, il n’y a pas eu d’augmentation d’effectifs, ils sont en tout 20 agents. Sur Moya, les 12 qui y sont affectés sont répartis en 4 équipes, et vont bientôt bénéficier, il était temps, d’une cabane digne de ce nom. Mais le climat d’insécurité ne les incite pas à se sentir maitre de la situation, même à 3, face à des braconniers qui ont montré de la détermination, notamment contre les membres de Sea Shepherd en 2017, en brûlant leur voiture.

Braconnage massif pendant le confinement

Une émergence de bébés tortues comme on en voit beaucoup à Saziley

Nous avons contacté Ali Saindou Dimassi, Directeur de l’environnement, du développement durable et de l’énergie (DEDDE) au conseil départemental, qui chapeaute le Service Tortues marines. Il nous rassure sur les moyens matériels, moins sur les moyens humains. « Les agents ont reçu des véhicules pour mener à bien leur travail et les lampes à vision laser sont en cours de distribution. » Il goute peu la mise en cause totale du travail des gardiens par Sea Shepherd, « s’ils ne faisaient vraiment rien, il n’y aurait pas eu un carnage de braconnage pendant la période de confinement où ils ne pouvaient se rendre sur site, avec plus d’une trentaine de tortues dépecées en un mois. Même avec peu de moyens, ils gèrent. » Le « peu de moyens » a été partiellement revu à la hausse, mais grâce au mouvement de grève des gardiens. Le cadre du CD invoque le contexte, « même si on mettait l’ensemble des 3000 agents sur Département sur l’ensemble des plages on n’y arriverait pas avec cette insécurité qui ne nous permet plus de nous déployer comme avant. » La présence des gendarmes qui fut occasionnelle par le passé n’est plus qu’un souvenir selon lui.

Mais quand on évoque le rachat d’un bateau, il met en avant les difficultés de trouver un pilote, alors que l’Ecole d’Apprentissage Maritime ne demande qu’à former. Un manque d’ambition politique, mais pas seulement. Il plaide pour une coordination avec les associations en charge du sujet, « il faut que toutes les associations en charge de l’environnement à Mayotte se mettent au tour d’une table pour gérer ce patrimoine. » Une co-gouvernance qui est à l’étude, annonce-t-il, « l’étude de préfiguration a été faite, le marché est lancé ».

Alors demain, verra-t-on les Sea Shepherd main dans la main avec les gardiens départementaux ? Ces derniers ne demandent en tout cas que ça.

Un enjeu plus important qu’il n’y paraît tant la tortue marine est l’emblème de Mayotte, comme nous le glisse un gardien, « ça devrait même être le service le mieux géré du Département, car souvent les gens arrivent de Paris avec leurs valises directement à Moya, pour observer les tortues. C’est leur 1er contact avec l’île. » Le bruit court que l’ancienne et vétuste cabane se transformera par une nuit de pleine lune en salle d’exposition et en centre de projection de documentaires sur les tortues marines.

Anne Perzo-Lafond

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